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Burkina Faso : Les frappes de drones contre des civils constituent des crimes de guerre apparents

Les autorités devraient diligenter une enquête impartiale sur les attaques aériennes menées par l’armée, et indemniser les victimes et les familles

D 12 février 2024     H 06:00     A Human Rights Watch     C 0 messages


-* Depuis août 2023, trois frappes de drones militaires qui, selon le gouvernement, visaient des combattants islamistes au Burkina Faso, ont tué des civils sur deux marchés bondés et lors d’un enterrement.

  • L’armée burkinabè a utilisé l’une des armes les plus précises de son arsenal pour attaquer de larges groupes de personnes, causant de nombreuses pertes de vies civiles en violation des lois de la guerre.
  • Le gouvernement devrait rapidement diligenter une enquête impartiale sur ces crimes de guerre apparents, traduire les responsables en justice, et fournir un soutien adéquat aux victimes et à leurs familles.

Trois frappes de drones militaires du Burkina Faso qui, selon le gouvernement, visaient des combattants islamistes, ont tué au moins 60 civils et en ont blessé des dizaines d’autres au Burkina Faso et au Mali entre août et novembre 2023, en touchant deux marchés bondés et un enterrement auquel assistaient de nombreuses personnes, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Les frappes de drones ont violé les lois de la guerre qui interdisent les attaques ne faisant pas de distinction entre civils et cibles militaires, et constituent des crimes de guerre apparents. Le gouvernement burkinabè devrait rapidement diligenter des enquêtes indépendantes, impartiales et transparentes sur ces attaques, traduire les responsables en justice et indemniser convenablement les victimes et leurs familles.

« L’armée burkinabè a utilisé l’une des armes les plus précises de son arsenal pour attaquer de larges groupes de personnes, causant de nombreuses pertes en vies civiles en violation des lois de la guerre » a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse principale sur le Sahel à Human Rights Watch. « Le gouvernement burkinabè devrait enquêter de toute urgence et de manière impartiale sur ces crimes de guerre apparents, demander des comptes aux responsables et fournir un soutien adéquat aux victimes et à leurs familles. »

De septembre à novembre, Human Rights Watch a mené des entretiens par téléphone et/ou sur place avec 30 personnes, dont 23 témoins de ces frappes et 7 membres d’organisations non gouvernementales nationales et internationales. Human Rights Watch a également analysé 11 photographies et une vidéo qui ont été directement envoyées à ses chercheurs par des témoins et qui montrent des personnes blessées et les séquelles des frappes, ainsi que 3 vidéos mises en ligne qui montrent les attaques des drones ainsi que des images satellite des trois sites. Le 20 décembre, Human Rights Watch a envoyé une lettre au ministre de la Justice burkinabè pour partager ses conclusions et demander des réponses à des questions spécifiques. Human Rights Watch n’a pas reçu de réponse.

L’armée burkinabè a mené les attaques avec des drones Bayraktar TB2 de fabrication turque, acquis en 2022. Ces véhicules aériens de combat pilotés à distance peuvent surveiller, cibler avec précision et lancer jusqu’à quatre bombes MAM-L guidées par laser. Human Rights Watch a documenté les pertes en vies humaines et les dommages causés par les effets de détonation et de fragmentation résultant de l’utilisation de ces munitions téléguidées sur des groupes de personnes concentrées au même endroit.

Les médias contrôlés par le gouvernement ont déclaré que les trois attaques avaient tué des combattants islamistes, sans aucune mention des victimes civiles.

Le 3 août, la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB), la chaîne de télévision nationale du Burkina Faso contrôlée par le gouvernement, a fait état d’une opération aérienne réussie exécutée « sur la base de renseignements » concernant un groupe de combattants islamistes qui préparaient « plusieurs attaques d’ envergure » à Bouro, dans la région du Sahel, et a diffusé une vidéo d’une munition guidée frappant des dizaines de personnes et d’animaux dans une clairière. En s’appuyant sur cette vidéo, Human Rights Watch a géolocalisé le site de l’attaque à environ 135 mètres de la limite nord du village de Bouro.

Des témoins ont déclaré que l’attaque avait touché le marché hebdomadaire du jeudi à Bouro. Human Rights Watch a examiné une image satellite enregistrée cinq mois plus tôt, le jeudi 2 mars, montrant des personnes et des animaux rassemblés au même endroit. Des habitants ont déclaré qu’au moins 28 hommes avaient été tués le 3 août, et que de nombreux autres avaient été blessés.

Des témoins ont déclaré que le Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, GSIM), lié à Al-Qaïda, contrôlait Bouro et les zones des environs. Trois survivants ont déclaré que quatre motos conduites par des « djihadistes », ou combattants islamistes, avaient pénétré dans le marché au moment de l’attaque, alors que des centaines de civils s’y trouvaient. Sur la vidéo, quelques secondes avant l’attaque, on peut voir trois motos se diriger en direction du site de l’attaque à 30 mètres à l’ouest. Les individus sur ces motos correspondent généralement aux descriptions données par les survivants.

« Le marché était rempli de civils lorsque le drone a frappé », a déclaré un homme de 25 ans. « Des gens de toute la région viennent au marché pour acheter et vendre des animaux. »

Le 24 septembre, la RTB a diffusé une vidéo d’un drone militaire burkinabè qui montre l’attaque d’un village non identifié dans la région du Nord lors d’un reportage sur les opérations militaires contre les groupes armés islamistes. Le journaliste qui commente la séquence vidéo a déclaré que des « vecteurs aériens » avaient détecté 18 motos venant de la frontière malienne et se dirigeaient vers Koumbri, et qu’ils les avaient « frappées avec succès » pendant qu’elles avaient « marqué un arrêt dans un village ».

Bellingcat, un collectif indépendant de chercheurs qui utilisent des informations disponibles en sources ouvertes, s’est servi de la vidéo pour géolocaliser le site de l’attaque en l’identifiant comme correspondant au village de Bidi. La vidéo montre des hommes qui conduisent au moins six motos sur une route non goudronnée. La vidéo fait ensuite un gros plan de l’enceinte située à environ 45 mètres. Au moins deux hommes se trouvent à l’entrée de l’enceinte juste avant l’attaque, et des dizaines d’autres s’enfuient après l’attaque. La vidéo ne permet pas d’identifier combien de temps s’est écoulé entre l’arrivée des hommes à moto et l’attaque de l’enceinte.

Le reportage de la RTB diffère des récits des personnes interrogées, qui ont déclaré qu’une centaine de personnes assistaient aux funérailles d’une femme de Bidi et qu’il n’y avait pas de combattants islamistes dans l’enceinte à ce moment-là. Les survivants ont déclaré que 24 hommes et un garçon avaient été tués et que 17 autres personnes avaient été blessées, toutes civiles. Les forces du GSIM assiègent Bidi depuis 2021.

« Ce jour-là, nous assistions à des funérailles et nous n’avons vu aucun combattant dans les environs », a déclaré un témoin âgé de 45 ans. « La frappe n’était qu’une terrible erreur. »

Le 18 novembre, un drone militaire burkinabè a frappé un marché bondé de l’autre côté de la frontière, au Mali, près de la ville de Boulkessi, tuant au moins sept hommes et en blessant au moins cinq autres. Des témoins ont déclaré que plusieurs combattants armés du GSIM se trouvaient sur le marché, mais que « presque toutes les personnes présentes [au moment de la frappe] étaient des civils ».

Les survivants des trois frappes ont décrit des scènes particulièrement horribles. « Les corps étaient noircis et carbonisés », a déclaré un survivant de l’attaque de Bidi âgé de 42 ans. « Nous avons eu du mal à les identifier car les corps étaient déchiquetés ». Un homme qui a perdu son frère de 32 ans dans l’attaque de Bouro a déclaré : « Son corps a été entièrement détruit. Son estomac a complètement disparu. J’ai dû mettre les morceaux du corps dans un sac en plastique pour les transporter pour l’enterrement ». Un homme de 30 ans, blessé lors de la frappe au Mali, a déclaré : « Des éclats [du drone] m’ont touché à l’estomac. J’ai failli mourir parce que mes intestins allaient sortir. … J’ai attrapé la partie blessée et j’ai rampé … pour m’éloigner de la zone. »

Les lois de la guerre applicables au conflit armé au Burkina Faso interdit les attaques qui prennent pour cible les civils et biens civils, qui ne distinguent pas entre civils et combattants, ou dont on peut s’attendre qu’elles causent aux civils ou à leurs biens des dommages disproportionnés par rapport à tout avantage militaire attendu. Les attaques indiscriminées comprennent les attaques qui ne sont pas dirigées contre un objectif militaire spécifique ou qui utilisent une méthode ou des moyens de combat dont les effets ne peuvent pas être limités comme il se doit.

Les violations des lois de la guerre commises avec une intention criminelle, c’est-à-dire délibérément ou par imprudence, constituent des crimes de guerre. L’utilisation d’armes très précises comme les drones Bayraktar TB2 équipés de bombes guidées au laser suggère fortement que les marchés et les funérailles étaient les cibles visées.

« L’armée burkinabè a procédé à plusieurs reprises à des frappes de drones dans des zones très fréquentées, sans guère se préoccuper des dommages causés aux civils », a déclaré Ilaria Allegrozzi. « Les gouvernements qui transfèrent au Burkina Faso des armes que l’armée utilise avec un mépris flagrant pour la vie des civils prennent le risque de se rendre complices de crimes de guerre. »