Vous êtes ici : Accueil » Afrique de l’Ouest » Entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest, un libre-échange à sens unique

Entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest, un libre-échange à sens unique

D 19 décembre 2014     H 12:19     A     C 0 messages


Les ministres des Affaires étrangères européens paraphent ce vendredi un « partenariat économique » avec les 15 Etats de la Cedeao et la Mauritanie qui supprime 75% des droits de douane sur les importations en provenance de l’UE et réduit la marge de manœuvre des Etats africains pour leur politique commerciale.

En juillet 2014, à l’issue de mois de chantage et de pression de la Commission européenne, les Accords de partenariat économique, dits APE, entre l’Union européenne et l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique australe et l’Afrique de l’Est ont finalement été paraphés. Ces accords, malheureusement méconnus, visent, selon le sacro-saint dogme de la Commission européenne, à « développer le libre-échange » entre l’Union européenne et les pays dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). L’UE maintenait jusqu’alors avec ces pays - ses anciennes colonies - des préférences commerciales unilatérales : elle acceptait qu’ils continuent à frapper de droits de douane leurs importations venant de l’UE tout en bénéficiant de l’accès au marché européen sans en payer. Elle leur impose désormais la suppression de leurs droits de douane sur 80% des exportations européennes.

Avec ces APE, le dogme libre-échangiste s’exprime dans toute sa splendeur. En obligeant des Etats souvent en grande difficulté financière, dont des centaines de millions d’habitants vivent encore avec moins d’un dollar par jour, à supprimer leurs droits de douane, l’UE va les priver de recettes budgétaires considérables. Des recettes pourtant indispensables pour améliorer les infrastructures de santé, les établissements scolaires, les réseaux d’eau, énergétiques, de transports, les biens et services foncièrement utiles aux populations locales.

De plus, la mise en œuvre de ces APE va considérablement affaiblir la compétitivité des petites exploitations agricoles et des petites industries locales des pays ACP, incapables de rivaliser avec des produits européens standardisés, qui plus est bénéficiant de généreuses subventions publiques pour les produits agricoles. Ces pertes de recettes budgétaires sont particulièrement dramatiques pour les pays les plus pauvres (les PMA, ou pays les moins avancés) qui représentent douze des seize Etats d’Afrique de l’Ouest et quatre des cinq Etats d’Afrique de l’Est.

Par cette politique commerciale agressive, et la pression qu’elle fait subir à des Etats économiquement fragiles, l’Union européenne joue une nouvelle fois les pompiers pyromanes. Elle met gravement en péril le développement de certains secteurs économiques de ces pays, et donc leur capacité à diversifier leurs économies. Pire, ces accords menacent les processus d’intégration régionale, et ce au nom même du développement de ces pays. En agissant ainsi, l’UE se fait le principal pourvoyeur des milliers de candidats à l’immigration fuyant la misère depuis l’Afrique vers l’espace Schengen. Quel sens cela a-t-il de s’engager sur des objectifs du millénaire pour le développement tout en refusant le droit minimum des pays en développement de protéger leurs marchés des importations ? Ce qui garantissait justement leur sécurité alimentaire et leur développement économique et social dans le cadre de stratégies régionales d’intégration.

La schizophrénie continue de la majorité des dirigeants européens sur ce point prêterait à sourire si elle ne mettait pas en danger les moyens d’existence de centaines de millions d’hommes et de femmes. Comme l’avait si justement déclaré Mamadou Cissokho, président honoraire du Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles d’Afrique de l’Ouest (Roppa), devant l’OMC en octobre : « Tous les pays qui se sont développés ont commencé par créer les conditions pour le faire en se protégeant et ce n’est qu’après qu’ils se sont ouverts aux autres. On ne peut demander aujourd’hui à l’Afrique d’être le premier exemple qui montrera que c’est en s’ouvrant d’abord au commerce qu’elle va se développer. » On ne saurait être plus clair.

A l’instar de l’accord de partenariat transatlantique (TTIP ou Tafta) contre lequel les opinions publiques européenne et américaine se mobilisent actuellement, les APE en cours de finalisation sont un instrument de marginalisation qui met en danger le développement d’un continent, l’Afrique, sur lequel se joue une bonne partie de l’avenir du monde. Si les grandes ONG et associations d’aide au développement, tant en Afrique qu’en Europe, dénoncent avec raison ces Accords de partenariat économique, elles sont encore bien trop seules à hurler dans le désert. Pour éviter à l’UE de se fourvoyer dans une autre aberration économique, une erreur géostratégique et un crime politique, nous appelons les parlementaires européens à refuser la ratification de ces accords en l’état. Œuvrons enfin, pour de bon, à une véritable politique de développement dans l’intérêt des populations. Non plus dans celui des multinationales.

Par :

 Michèle Rivasi, eurodéputée Europe Ecologie, vice-présidente de la Délégation à l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE ;
 Eva Joly, eurodéputée Europe Ecologie ;
 Olivier De Schutter, ancien Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation ;
 Jacques Berthelot, économiste (conseil scientifique d’ATTAC) ;
 Jean Gadrey, économiste (conseil scientifique d’ATTAC)

Source : http://www.liberation.fr