Vous êtes ici : Accueil » Afrique de l’Ouest » Le ralentissement du commerce céréalier nigérian menace la sécurité (...)

Le ralentissement du commerce céréalier nigérian menace la sécurité alimentaire au Sahel

D 7 juin 2013     H 09:55     A IRIN     C 0 messages


DAKAR/KANO - Le commerce céréalier du nord du Nigéria, qui fournit près de la moitié des céréales consommées au Sahel, a fortement ralenti. Le prix anormalement élevé des céréales de base au Sahel suscite l’inquiétude quant à la sécurité alimentaire dans cette région vulnérable.

Les zones les plus à risque sont le sud-est et le centre du Niger, hautement tributaires de l’importation de céréales du Nigéria, ainsi que le nord du Nigéria et du Bénin. Avec une récolte satisfaisante en 2012, le Tchad est relativement épargné, selon le Réseau de systèmes d’alerte précoce contre la famine (FEWS NET).

Les analystes du Programme alimentaire mondial (PAM) signalent que l’offre de céréales est restreinte dans nombre des principaux marchés de la région et que les commerçants du Niger et d’ailleurs sont moins nombreux à traverser la frontière pour se réapprovisionner au Nigeria. Selon le PAM, les ventes destinées à l’exportation sont nettement en baisse sur les marchés nigérians de Maigatari (près de Zinder au Niger), d’Illela (près de Tahoua), de Jibya (près de Maradi) et de Damassack (près de Diffa).

Au Niger, pays qui dépend fortement des importations, « la situation doit être considérée comme un signal d’alarme », a dit Jean-Martin Bauer, analyste des marchés pour le PAM, en faisant référence aux mauvaises conditions commerciales qui ont alimenté la crise de 2005 au Niger et, dans une certaine mesure, celle de 2010. « Si le commerce entre le Nigeria et le Niger ralentit, cela pose un gros problème pour tous les pays qui dépendent du Nigeria », a-t-il dit.

Dans les zones les plus touchées, les prix des céréales de base sont plus élevés qu’en 2012, lorsque la région a été frappée par une crise alimentaire de grande ampleur. À Kano, sur le plus grand marché aux céréales de la région, un sac de 100 kg de maïs coûtait 7 400 nairas nigérians (47 dollars) en mars 2013, contre 6 000 nairas (38 dollars) l’année dernière à la même époque. Quant au sac de 100 kg de millet, il coûtait 8 000 nairas (51 dollars) en mars 2013, contre 7 500 nairas (47 dollars) un an plus tôt.

Selon l’office humanitaire de la Communauté européenne (ECHO), les familles sahéliennes les plus pauvres sont totalement tributaires des marchés pour se nourrir et peuvent dépenser 80 pour cent de leur revenu en denrées alimentaires. « La hausse des prix exclut ces personnes du marché », a dit Hélène Berton, coordinatrice de l’ECHO au Sahel.

Pourquoi de telles pénuries ?

Ce problème ne peut pas être résumé à une seule cause. Selon Sonja Melissa Perakis, conseillère de FEWS NET en matière de marchés et de commerce, les pénuries locales au nord du Nigéria peuvent non seulement être attribuées aux grandes inondations qui ont dévasté la région l’année dernière, mais aussi à l’insécurité [ http://www.irinnews.org/report/96504/NIGERIA-Worst-flooding-in-decades ].

En outre, comme le signale un rapport de FEWS NET publié en mai 2013, de nombreux producteurs nigérians de millet et de tubercules se sont convertis l’année dernière aux cultures commerciales, provoquant une pénurie de ces produits de base. La production de millet dans le nord du Nigéria a ainsi baissé de 13 pour cent en 2012 par rapport à la moyenne sur cinq ans [ http://www.fews.net/docs/Publications/West_SR_Nigeria%20Impact_050413.pdf ].

L’insurrection de Boko Haram a obligé de nombreux agriculteurs à abandonner leurs cultures pour se rendre plus au sud lors de la saison des semailles, a dit Aminu Mohammed, secrétaire de l’association des négociants en grains du marché de Dawanau à Kano, un syndicat regroupant les commerçants des plus grands marchés céréaliers d’Afrique de l’Ouest. Parallèlement, les combats continus et le conflit qui oppose Boko Haram aux forces de sécurité nigérianes ont poussé les commerçants à faire profil bas ces derniers mois. De nombreux transporteurs ont d’ailleurs trop peur pour traverser la frontière [ http://www.irinnews.org/fr/reportfrench.aspx?reportid=98084 ].

L’Agence nigériane de gestion des urgences (National Emergency Management Agency, NEMA) estime que 65 pour cent des agriculteurs du bassin fertile du lac Tchad, dans le nord-est du Nigéria, ont fui vers le sud pour échapper aux violences liées à l’insurrection.

FEWS NET et le PAM sont actuellement en train d’évaluer les moteurs de cette dynamique et publieront bientôt un rapport sur la question.

Dans de nombreux pays du Sahel, la production de millet et de maïs était en hausse en 2012. Selon FEWS NET, en raison de la taille du marché nigérian, le déclin de six pour cent dans la production de ces céréales (ainsi que de l’igname et du manioc) au Nigéria en 2012 annule cependant les trois quarts de la croissance de la production enregistrée ailleurs.

Un « moteur économique » cassé

Les agriculteurs, les éleveurs et les commerçants d’autres pays dépendent du Nigéria, qui, avec sa population de 162,5 millions d’habitants et sa puissance économique, est le marché le plus important de la région pour leurs produits. La forte réduction de la demande de produits à haute valeur commerciale comme le sésame et de bétail au Nigéria tire les prix vers le bas. « Le Nigeria est le moteur économique de l’Afrique de l’Ouest. S’il casse, c’est un gros problème », a dit M. Bauer.

Habituellement, un éleveur nigérien pouvait échanger une chèvre contre 100 kg de millet avec un commerçant nigérian. Mais en avril 2013, une chèvre ne valait plus que 93 kg de millet, selon le système d’information sur les marchés du PAM au marché nigérien d’Abalak, dans la région de Tahoua.

La situation a également bouleversé les flux commerciaux : selon FEWS NET, le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Niger exportent désormais du millet et du maïs vers le Nigeria, plutôt que l’inverse.

« Ne pas perdre de temps »

Il faut intensifier les efforts humanitaires, a dit Mme Berton, de l’ECHO, alors que les quelques organisations humanitaires présentes dans le nord du Nigeria sont « surchargées ».

« Davantage de ressources sont nécessaires pour contrer la crise alimentaire qui se profile actuellement au Nigeria [...] Celle-ci pourrait avoir de graves répercussions sur les pays voisins », a-t-elle dit.

L’ECHO, l’un des principaux bailleurs de fonds pour le Sahel, a versé 9,8 millions d’euros au Nigeria pour financer des projets de nutrition, d’aide en espèces, de soutien aux moyens de subsistance et autres, principalement dans le nord et dans les secteurs touchés par les inondations. Cette somme est relativement faible en comparaison des 55 millions d’euros versés au Tchad et au Niger pour l’aide humanitaire d’urgence.

Le PAM donne à des familles nigériennes 32 500 CFA (65 dollars) par mois, contre 25 000 (50 dollars) il y a deux ans. Cette somme risque de devoir être revue à la hausse étant donné la dévaluation de la monnaie causée par l’augmentation des prix. « Nous pourrions au moins compenser cela », a-t-il ajouté.

Cela pourrait fonctionner là où de la nourriture est disponible, a dit Louali Ibrahim, conseiller de FEWS NET en matière de marchés au Mali. Dans les zones où ce n’est pas le cas, une aide alimentaire d’urgence sera nécessaire. « Il n’y a pas de solution unique à ce problème ».

Grâce au débat sur la résilience, le Sahel n’a pas été oublié depuis la crise alimentaire de l’année dernière, a dit M. Bauer, mais des pénuries de fonds subsistent. Le PAM a besoin de 312 millions de dollars en nourriture et en espèces pour son intervention au Sahel de mai à décembre 2013, a-t-il ajouté [ http://www.irinnews.org/fr/reportfrench.aspx?reportid=97640 ].

Le 24 mai, l’appel aux dons pour le Sahel n’était financé qu’à hauteur de 28 pour cent, alors que la période de soudure était déjà bien avancée.

Réponse nationale

Dans la plupart des pays, selon M. Ibrahim, les gouvernements font face à l’épuisement des stocks d’urgence, car toutes les réserves ont été utilisées pour répondre à la crise de 2012 au Sahel. La plupart des stocks ont été reconstitués à moins de 50 pour cent, a précisé FEWS NET.

Pour se sortir de la situation actuelle, les gouvernements et les commerçants ne doivent pas restreindre les flux commerciaux de la région, a averti M. Bauer. « Les marchés du Sahel favorisent la sécurité alimentaire. Lorsqu’ils ne fonctionnent pas bien, cela se traduit par des problèmes à l’échelle des foyers », a-t-il dit. « Nous avons observé cela en 2005, puis en 2010 [...] Nous avons besoin de fluidité dans les échanges commerciaux ».

Si aucune entrave officielle au commerce n’a été mise en place, il est impossible de dire ce qui se passe officieusement, a dit M. Ibrahim. Les gouvernements doivent essayer de réduire les droits de douane et faciliter les déplacements des transporteurs autant que possible. « Dans le cas contraire, la situation ne fera qu’empirer ».

Or, selon M. Mohammed, de l’association des négociants en grains de Dawanau, les tensions s’accentuent sur le marché. La faiblesse de l’offre et la forte demande du Niger exercent une importante pression sur le marché du nord du pays, où les réserves de céréales sont pratiquement épuisées, a-t-il dit. « Les commerçants nigériens s’emparent de toutes les céréales qu’ils peuvent trouver », a-t-il dit. De nombreux commerçants payent en avance, a-t-il ajouté, ce qui leur donne un avantage sur les consommateurs locaux.

« Parfois, nous nous rendons dans les villages pour glaner [acheter] tout ce que nous pouvons trouver sur les marchés locaux afin d’éviter de nous retrouver complètement à court de produits. »

M. Mohammed s’attend à ce que la situation empire lors du ramadan, qui aura lieu en juillet. La demande de millet devrait en effet monter en flèche. Le prix de ce produit a augmenté mois après mois depuis février, a-t-il dit.

source : http://www.irinnews.org