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Burkina Faso 2011 : Chronique d’un mouvement social

D 25 novembre 2012     H 05:28     A Gisèle Felhendler     C 0 messages


Dans une démarche à la fois thématique et chronologique,
Lila Chouli décrit et analyse le vaste mouvement social de
2011 qui ébranla le pouvoir de Blaise Compaoré, bon
élève de la Françafrique au Burkina Faso.
Fluide, rigoureux, résolument anticapitaliste et anticolonialiste, ce
livre, publié aux fort sympathiques éditions Tahin Party, relate les
émeutes de 2011, leur déclenchement et leur évolution dans tous
les secteurs de l’économie et de la société. Le tout dans un
contexte de corruption, d’accaparement d’une bonne partie de
l’économie par le clan Compaoré, de paupérisation de la
population, de spoliation de terres au profit des suppôts du
régime et de l’agrobusiness.

C’est là encore la mort d’un jeune homme, le collégien Justin
Zongo, passé à tabac dans un commissariat, qui provoqua
l’explosion de colère, le début du soulèvement populaire dans les
écoles et les universités. La jeunesse envahit les rues, brûlant
tous les symboles du pouvoir : villas des dignitaires du régime,
bâtiments administratifs, locaux de la police.

La répression sanglante et la violence d’État qui s’ensuivirent ne
firent qu’élargir la protestation, conduisant à une grève générale
en avril, renforcée par la participation massive des acteurs de
l’économie informelle (chômeurs, commerçants) ainsi que de la
petite paysannerie.

Le pouvoir, acculé, joua la stratégie de la criminalisation, faisant
passer les révolté(e)s pour des délinquant(e)s afin de dépolitiser
le mouvement social qui le menaçait, allant jusqu’à utiliser la
misère sociale et payer des milices issues du lumpenprolétariat
pour infiltrer les manifestations et les discréditer : mensonges et
manipulations.

Une fois encore, la France ne faillit pas à sa réputation d’expertise
dans la répression, fidèle à sa tradition de pourvoyeuse de
matériel de maintien de l’ordre. Au même moment, Michèle Alliot-
Marie faisait la même offre de service pour éteindre
l’embrasement qui mena à la chute de Ben Ali en Tunisie.
Lila Chouli relève d’ailleurs d’étranges similitudes entre le destin
des deux dirigeants : date d’accession au pouvoir, fonctionnement
clanique, bourgeoisie mafieuse.

Au Burkina Faso, gouverné par le même président depuis vingtcinq
ans et livré au néolibéralisme, les raisons du
mécontentement sont multiples : violences policières, vie chère,
conditions de travail inacceptables, affaires, clientélisme,
népotisme.

De l’éducation, le soulèvement se propagea aux mines, à la
justice, entraînant des grèves très suivies. Jusqu’au boycott de la
production de coton par les paysans eux-mêmes, accusés alors
de vouloir saboter et détruire l’économie du pays.
Des mutineries, nées d’une banale affaire de moeurs mais
révélant un malaise plus profond, éclatent au sein de l’armée,
omniprésente dans ce pays fortement militarisé. Mais elles sont
empreintes de corporatisme et ne conduisent pas à une
convergence des révoltes.

L’exaspération populaire fit émerger une réactivité sociale
extrêmement dynamique, et le mouvement insurrectionnel
emporta l’adhésion populaire. Le front syndical en fut impacté,
créant un lien entre radicalité populaire et organisations
syndicales.

L’ouvrage aborde également la question des perspectives pour le
Burkina, avec la bataille constitutionnelle autour de l’article 37 et
la possibilité pour Compaoré de briguer un nouveau mandat. A
moins qu’après avoir fait voter une loi d’amnistie pour se
protéger, il ne pousse son frère François Compaoré au rang de
successeur potentiel, à la manière du duo Poutine Medvedev.
Le mouvement de 2011 a remporté quelques victoires sectorielles
et mis à jour les bouleversements sociaux, syndicaux,
internationaux qui agitent le pays.

La mobilisation, quoique affaiblie, ne semble pas terminée.
L’auteur parle de trêve sociale. Elle constate l’émiettement de
l’opposition, coupée du vécu des couches populaires ainsi que
son absence sur le terrain des transformations sociales.
La spécificité de cette séquence réside peut-être dans une
perspective révolutionnaire de changement et non en un simple
aménagement du système. Au Pays des hommes intègres, il y
aura un avant et un après 2011.

Gisèle Felhendler

Lila Chouli, Burkina Faso 2011, Chronique d’un mouvement social,
Éditions Tahin Party, 2012 8 € en Europe (3,40 €, en Afrique, soit
2227 F CFA).