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Burkina Faso, Afrique : limitation du nombre de mandats présidentiels, aucune exception n’est plus acceptable

D 30 octobre 2014     H 05:05     A Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politique en Afrique     C 0 messages


Les limitations du nombre de mandats présidentiels ont été ajoutées dans les constitutions des ex-colonies françaises en Afrique au début des années 1990, lors du début de l’instauration du multipartisme. Depuis, les dictateurs ont détourné les processus électoraux et se sont renforcés au travers d’une démocratie factice. Plusieurs ont supprimés les limitations du nombre de mandats.

Au Burkina Faso, Blaise Compaoré, arrivé au pouvoir en 1987 suite à l’assassinat de Thomas Sankara et très soutenu par de nombreux gouvernements français depuis 27 ans, a lui aussi empêché la démocratie de s’installer. A la présidentielle du 21 novembre 2010, il a gagné avec 80,15% des voix, avec un taux d’inscription sur les listes électorale d’environ 54% par rapport au fichier électoral de 2007[1], et une participation de 54,80%[2], alors que le débat se portait déjà sur la limite de 2015. Lors des législatives du 2 décembre 2012, le parti au pouvoir, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) l’a emporté avec 70 sièges sur 127, et un nouveau Chef de file de l’opposition, Zéphirin Diabré de l’Union pour le changement (UPC) s’est imposé loin devant les autres partis d’opposition[3].

La limitation a été enlevée en 1997 puis remise en 2000 après les manifestations populaires qui ont suivi l’assassinat du journaliste Norbert Zongo par le régime. Depuis les élections législatives, les revendications des partis politiques d’opposition et de la société civile, dont le Balai citoyen formé par les artistes Smockey et Sams’k le Jah, se sont concentrées sur le respect de la constitution et le refus de toute modification de son article 37 comportant la limitation du nombre de mandats. S’il se réussissait pas à modifier l’article 37, le président burkinabé aurait beaucoup de mal à imposer un successeur issu du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) actuellement en crise profonde. Il craint aussi d’être poursuivi en justice bien qu’il ait fait voter par l’Assemblée nationale une amnistie des anciens présidents. Depuis deux ans, les manifestations se sont multipliées contre la modification de l’article 37. La dernière, qualifiée d’historique par la presse, a mobilisé « plus de 100.000 manifestants » selon les organisateurs, le 23 août 2014 à Ouagadougou[4].

Malgré cette pression populaire, après avoir tenté de diviser l’opposition par différentes tentatives de ‘dialogue’, profitant d’une Assemblée nationale sous sa coupe, le président burkinabé a décidé de modifier la constitution. Le 21 octobre 2014, le conseil des ministres a adopté une proposition de loi, proposant la tenue d’un référendum sur l’article 37. Les députés doivent se prononcer le 30 octobre. Les trois quarts du parlement pourraient modifier directement la constitution[5] ou, sinon, un référendum pourrait se tenir en décembre 2014, l’élection étant prévue en novembre 2015[6]. Il y a quelques semaines, le Chef de file de l’opposition indiquait « Si le référendum a lieu, la machine à fraude va tourner à plein régime »[7]. L’opposition connait bien les méthodes qui permettent au pouvoir de gagner toutes les élections, et craint, à juste titre, la tenue d’un référendum dont la garantie de transparence n’est pas assurée. Après un appel à la « résistance citoyenne » de la société civile le 21 octobre[8], le 22 octobre, les Chefs de partis de l’opposition ont appelé à une journée de protestation le 28 octobre et décidé une campagne de « désobéissance civile »[9].

Par la voix de son porte-parole, Romain Nadal, et par écrit, le Ministère des affaires étrangères français a indiqué le 23 octobre la position officielle : « La France réitère son attachement au respect des principes définis par l’Union africaine sur les changements constitutionnels visant à permettre aux dirigeants de se maintenir au pouvoir. Le président de la République a écrit en ce sens au président Compaoré le 7 octobre. .. Il est primordial qu’il (le Burkina Faso) envisage son propre avenir de manière consensuelle et apaisée. »[10] La Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance de 2007 précise dans son Article 10, alinéa 2 : « Les Etats parties doivent s’assurer que le processus d’amendement ou de révision de leur Constitution repose sur un consensus national comportant, le cas échéant, le recours au référendum. »[11] Au 23 octobre, il est déjà évident que le référendum est impossible à organiser de « manière consensuelle et apaisée ». Par oral au micro de RFI[12], Romain Nadal a fait référence à l’article 23 [13] : « Son article 23 est très clair en matière de révision des Constitutions qui aurait pour objectif d’empêcher des alternances démocratiques. En affirmant ce principe et en rappelant ce principe, la position de la France est très claire ».

Les années 2015 et 2016 seront essentielles pour la démocratisation de l’Afrique : 25 présidentielles, auxquelles s’ajoutent 3 présidents élus par les parlements, 21 législatives, 46 élections dans 54 pays sur 2 ans[14]. Plusieurs autres présidents africains se confronteront à la limitation du nombre de mandats[15]. Comme le montre le tableau suivant des présidentielles où se pose la question, au moins quatre présidents, au Burkina Faso, au Togo, au Congo Brazzaville et en RDC, s’opposent ou s’opposeront à la limitation et aux mobilisations populaires qui ne feront que s’intensifier. A ces pays, s’ajoutent le Burundi, où le président essaye de rester face à une forte résistance de son opposition et à des pressions internationales liés aux accords de paix d’Arusha de 2000, et s’ajoutera peut-être le Rwanda.

A l’échelle du continent, le respect d’une limitation à deux mandats, si possible de 5 ans, constitue l’un des rares leviers qui facilitera les alternances, le renouvellement des classes politiques, la fin des dictatures, une véritable démocratie et, indirectement, la prévention des crises.

Le Collectif de Solidarité avec les luttes sociales et politiques en Afrique soutient la population burkinabé, la société civile et les partis politiques en lutte contre la modification de la constitution, souligne le risque de violences et de répression, appelle le gouvernement français à éviter tout soutien au président burkinabé, à prendre position pour la démocratie en Afrique et pour un respect strict des limitations du nombre de mandats présidentiels.

Collectif de Solidarité avec les luttes sociales et politiques en Afrique

Balai Citoyen Paris (Burkina Faso), Alliance Nationale pour le Changement Ile-de-France (ANC-IDF, Togo), Fédération des Congolais de la diaspora (Congo Brazzaville), Ça Suffit Comme ça ! (Gabon), Forces Vives tchadiennes en exil, Union pour le Salut National (USN, Djibouti), Collectif des Organisations Démocratiques des Camerounais de la Diaspora (CODE), Union des Populations du Cameroun, Conseil National pour la Résistance – Mouvement Umnyobiste (Cameroun), Mouvement pour la Restauration Démocratique en Guinée Equatoriale (MRD), Afriques en lutte, Sortir du colonialisme, La Plateforme Panafricaine, Parti de Gauche, Ensemble !, Parti Communiste Français.

Notes

[1] 30.3.10, http://www.fasozine.com/presidentielle-burkinabe-lreporter-les-elections-daccord-mais-pourquoi-fairer/

[2] http://presidence.bf/les-dossiers-2/la-democratie-au-burkina-faso/

[3] Mi-septembre 2014, Zéphirin Diabré a été reçu à Paris par le Parti socialiste qui s’est exprimé : « toute révision constitutionnelle d’ampleur doit se faire en plein accord avec toutes les forces politiques et dans le respect des règles de l’Union africaine et de la Charte de l’Organisation internationale de la francophonie. ».

[4] 23.8.14, Burkina Faso : manifestation d’ampleur contre un potentiel référendum, http://www.africa1.com/spip.php?article46835=

[5] 3/4 : 96 sur 127, 70 CDP (?) + 11 alliés + 18 RDA = 99, 23.10.14, RCarayol, le référendum, la seconde option de Blaise Compaoré,
http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20141023091934/blaise-compaore-burkina-faso-opposition-burkinabe-decryptage-burkina-faso-le-referendum-la-seconde-option-de-blaise-compaore.htm
26.10, L’alternance piégée, http://lepays.bf/burkina-faso-lalternance-piegee/

[6] 16.9.14, Déclaration du CFOP sur la situation nationale, http://www.upcbf.org/

[7] 23.9.14 Jeune Afrique : http://www.jeuneafrique.com/Videos/x26gzsj/zephirin-diabre-si-le-referendum-a-lieu-la-machine-a-fraude-va-tourner-a-plein-regime.html

[8] 22.10.14, Révision de la constitution burkinabé : la société civile appelle à une résistance populaire,
http://www.wikiburkina.net/2014/10/22/revision-de-la-constitution-burkinabe-la-societe-civile-appelle-a-une-resistance-populaire/, http://www.blaisecompaore2015.info/Blaise-Compaore-lance-la-procedure?artsuite=0#sommaire_3

[9] 22.10.14, Burkina : l’opposition appelle à une ‘’désobéissance civile‘’ à partir du 28 octobre,
http://www.aib.bf/m-1643-burkina-l-opposition-appelle-a-une-%E2%80%98-desobeissance-civile%E2%80%98-a-partir-du-28-octobre.html

[10] 23.10.14, MAEDI, http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/vues/Kiosque/FranceDiplomatie/kiosque.php?type=ppfr#Chapitre8

[11] 30.1.7, Charte Africaine de la Democratie, des Elections et de la Gouvernance, http://www.achpr.org/files/instruments/charter-democracy/mincom_instr_charter_democracy_2007_fra.pdf

[12] 24.10.14, RFI, http://www.rfi.fr/afrique/20141024-burkina-projet-revision-referendum-constitution-vote-deputes-verdict-octobrecompaor/ : Romain Nadal : « Ce n’est pas à nous de nous ingérer dans ce débat. Mais la France a une position de principe qui est son attachement à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. C’est un texte que l’ensemble des Etats africains doivent respecter. Et son article 23 est très clair en matière de révision des Constitutions qui aurait pour objectif d’empêcher des alternances démocratiques. En affirmant ce principe et en rappelant ce principe, la position de la France est très claire. Et elle a cette position à l’égard de l’ensemble des Etats africains car il en va de la crédibilité de l’Union africaine et de la Charte. ».

[13] Article 23 : « Les Etats parties conviennent que l’utilisation, entre autres, des moyens ci-après pour accéder ou se maintenir au pouvoir constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement et est passible de sanctions appropriées de la part de l’Union : … 5. Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique. »

[14] Agenda élections Afrique 54 pays de 2009-2018 http://regardexcentrique.wordpress.com/2012/08/04/calendrier-des-elections-en-afrique/#3

[15] Synthèse agenda élections Afrique 54 pays 2015-2016 + Présidentielles : limitation nombre mandats + mascarades prévisibles en dictature sans limitation mandats https://regardexcentrique.files.wordpress.com/2012/08/141012syntheseagendalectionsafrique2015-2016limitationnombremandats1.pdf

[16] Les dates sont les dates prévisibles en fonction du début du mandat, sachant que les reports sont fréquent