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Burkina Faso : Après la chute de Compaoré, quel avenir ?

D 5 novembre 2014     H 12:30     A Marc Botenga, Tony Busselen     C 0 messages


Pendant trois jours, des centaines de milliers de Burkinabé ont manifesté pour exiger le départ du président Blaise Compaoré. La répression des manifestations a fait 30 morts. Après avoir instauré l’état de siège et avoir dissout le gouvernement, Compaoré a dû s’enfuir chez son ami, le président de la Côte d’Ivoire, Allassane Ouattara. Pourquoi cette énorme mobilisation du peuple burkinabé et quelles sont les perspectives de changement ?

Le Burkina Faso a connu des mouvements de grèves et de manifestations importantes en 1998, 2006 et en 2008 contre la répression et contre la vie chère. Mais c’est depuis 2011 que le régime autocratique de Compaoré commence vraiment à craquer. Le 22 février 2011, la mort d’un élève battu par les policiers est à l’origine de grandes manifestations. Elles sont réprimées dans le sang, mais continuent jusqu’en mars. En avril, des soldats mécontents de leur sort et du sort de leurs familles se lancent dans des mutineries qui enflamment la quasi-totalité des casernes du pays. Compaoré lui-même doit fuir la capitale, mais arrive à reprendre le contrôle et, avec l’aide de l’armée française, réussit à renouveler l’ensemble de la chaîne de commandement de l’armée.

En août 2013, Compaoré réagit d’abord d’un ton arrogant à des manifestants qui s’opposent à l’installation au Sénat de chefs traditionnels qui lui étaient favorables. Avec mépris, il affirme qu’« une marche dans la rue n’a jamais retiré une loi ». Aujourd’hui, 15 mois plus tard, l’homme a dû fuir le pays après l’une des plus grandes manifestations que l’Afrique de l’Ouest aie connu depuis le temps de la lutte pour l’indépendance.

« Le Blaiso » met le feu aux poudres

A la surprise générale, le 21 octobre, le Président convoquait un Conseil extraordinaire des ministres pour discuter d’un projet de loi portant sur la révision de la Constitution qui lui aurait permis de rester président, malgré l’opposition populaire. Après deux heures de conclave, la déclaration suivante circulait : « Le Conseil a marqué son accord pour la transmission de ce projet de loi à l’Assemblée nationale. » La date du vote à l’Assemblée était fixée pour le 30, dix jours à peine après le Conseil extraordinaire.

Sciemment ou non, « le Blaiso », comme l’appelle le très populaire journal satyrique d’opposition Le Journal du Jeudi, a mis le feu aux poudres : les partis d’opposition lancent un appel pour manifester le 28 octobre et cette initiative incitera des centaines de milliers de Burkinabé à défiler dans les rues de la capitale, le 28. Mais comme lors des mouvements de 2008, ce sont les syndicats, rassemblés dans la Coordination contre la vie chère (CCVC) qui ont pris le devant. Mercredi 29 octobre, la CCVC avait planifié, depuis des semaines, une manifestation nationale dans le cadre d’une vaste campagne pour une école démocratique et populaire accessible aux enfants du peuple. Deuxième revendication : « Blaise Compaore, au pouvoir depuis 27 ans, sera en fin mandat en novembre 2015 et il devra partir. L’entreprise de revoir la constitution au parlement consacre la volonté de Compaoré de régner à vie et constitue une menace pour la paix et les libertés démocratiques dans le pays », selon Chrysogéne Zougmoré, vice-president de la CCVC.

« Blaise dégage »

Les manifestants portaient des slogans comme « Blaise dégage », « Judas, libérez les lieux » et « je veux le changement, donc je suis ».
Sourd aux appels de la rue, le « doux dictateur » convoque le lendemain de la mobilisation pacifique, le mercredi 29, veille du vote, tous les députés à l’Hôtel Azalaï, à quelques centaines de mètres des bâtiments de l’Assemblée, pour une séance de briefing sur la tenue du vote du 30 et... les y garde enfermés jusqu’au lendemain !

A cette nouvelle (bien que les plus chers d’Afrique dans un des pays les plus pauvres, les réseaux gsm fonctionnent très bien au Burkina), la mobilisation et la colère font bouillir la capitale toute la nuit et au petit matin du 30 octobre, la foule s’attaque au Parlement. Elle entre dans l’hémicycle et empêche le vote sur le changement de constitution, puis met le feu à l’édifice.

Compaoré essaie de sauver son pouvoir en déclarant qu’il a « compris le message du peuple » et qu’il retire la proposition de révision de la constitution, mais, en même temps, il annonce l’état de siège et dissout le gouvernement. Après une réunion avec ses généraux, il disparaît le vendredi après-midi et réapparaît le samedi matin chez son ami, Ouattara, président de la Côte d’Ivoire, qu’il avait aidé avec la France en 2011 à conquérir le pouvoir.

Pourquoi Compaoré était-il tant haï ?

Compaoré a pris le pouvoir après avoir fait assassiner le président de gauche et révolutionnaire Thomas Sankara le 15 octobre 1987. Sankara, qu’on appelle aussi le Che Guevara africain, avait, en 1983, renversé avec son frère d’arme, un certain Blaise Campaoré, la dictature néocoloniale de la Haute-Volta, qu’il rebaptisa Burkina Faso (Pays des Hommes Intègres).

Sankara dénonce la situation tragique dans son pays causée par le colonialisme et la politique du Fonds Monétaire International. Il défend les droits sociaux et les droits des femmes. Il nationalise les ressources naturelles du Burkina Faso et utilise les richesses du pays pour investir dans les services sociaux (hôpitaux, écoles...). Et il tente de créer un large front des pays africains contre la dette que l’Occident avait imposé à l’Afrique depuis les indépendances.

La tentative de Thomas Sankara d’installer une démocratie populaire et apporter un vrai changement pour le peuple n’était pas sans failles (par exemple, il ne réussit pas à trouver une unité avec les puissants syndicats voltaïques de gauche et de nombreux syndicalistes sont arrêtés), mais, en quelques années, il apporte au Burkina Faso la souveraineté alimentaire. Désormais, le pays ne dépend plus de l’étranger pour sa nourriture. Même la Banque mondiale doit admettre que le taux de croissance de l’agriculture atteignait 7,3 % par an.
Une fois Sankara assassiné et le pouvoir confisqué, Compaoré renoue avec la France (l’ancien colonisateur) et le Fonds Monétaire International. Il détruit les acquis sociaux arrachés par Sankara, n’hésite pas à réprimer dans la violence les vagues de protestations et fait assassiner nombre de témoins gênants. Pendant 27 ans sous Compaoré, le Burkina Faso restera un des pays les plus pauvres d’Afrique. Aujourd’hui, il se trouve à la 181e place sur 188 pays de l’indice du développement humain de l’ONU. L’espérance de vie n’atteint pas les 57 ans et 63 % de la population vit dans la pauvreté extrême.

Le Burkina, pilier central des USA et de la France dans la région

Sans surprise, sous Compaoré, le Burkina Faso devient le pilier central pour les Etats-Unis et la France pour intervenir dans les pays de la région. A Ouagadougou se trouve le quartier général de la rébellion de Touaregs qui déstabilise le pays voisin, le Mali. Compaoré collabore avec l’Unita en Angola, le criminel de guerre Charles Taylor au Liberia et le Front révolutionnaire unifié (RUF) au Sierra Leone.

En 2011, il appuie la rébellion contre Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire et ensuite, avec l’armée française, la prise du pouvoir par Ouatarra. Les Etats-Unis et la France présentent Compaoré comme un grand « médiateur » régional capable de conclure des « accords de paix » qui arrangent leurs intérêts géostratégiques dans la région. Les armées française et étasunienne installent toutes les deux une base dans le pays. Le Washington Post a, à plusieurs reprises, révélé qu’à partir de Ouagadougou les Américains écoutent toute la sous-région de l’Afrique de l’Ouest.

A quoi s’attendre maintenant ?

L’avenir du Burkina Faso se fera en fonction d’un rapport de force concret. Tolé Sagnon, dirigeant du syndicat CGT-B et inspirateur de la CCVC, posait très pertinemment en janvier la question lors d’une interview : « Pour moi, le débat qui vaut la peine d’être mené est la nature du changement attendu par notre peuple. Si l’alternance à la tête de l’État signifie un changement de personne pour la remplacer par une autre personne du même système, qui va mettre en œuvre les mêmes politiques de dépendance, les mêmes politiques économiques, en quoi cela servira-t-il les intérêts du pays réel qui se retrouve dans les rues ? »

Jean-Marie Bockel, ancien ministre de la Coopération au développement sous Nicolas Sarkozy l’a très bien compris. Il commente la chute de Compaoré : « Quelles que soient les qualités d’un certain nombre de chefs d’Etat, à un moment donné, il y a l’usure du pouvoir. » En effet, prenons les exemples de Mobutu au Congo, Ben Ali en Tunisie ou Moubarak en Egypte. Tous ont été pendant plusieurs décennies des alliés majeurs des puissances occidentales et de leurs intérêts économiques. Mais tous sont arrivés au point de rupture, où ils n’étaient plus capables de contrôler leur peuple et gérer leur pays au seul profit des multinationales et des intérêts géostratégiques étasunien et français. Tous ont dû partir.

Les gouvernements occidentaux ont donc développé des stratégies pour « accompagner » ce genre de processus en garantissant « la relève ». Les dirigeants peuvent changer, mais leur politique pro-occidentale doit continuer. Nous avons ainsi vu comment les Etats-Unis et l’Europe ont essayé « d’accompagner » le Printemps arabe en Tunisie et en Egypte.

Le rôle de l’armée, et de « l’opposition »

Le danger existe qu’au Burkina Faso, cette insurrection populaire soit récupérée par ces forces. Le noyau dur au sein de l’armée, le Régiment de la sécurité présidentielle, sur lequel Compaoré s’appuyait, est toujours intact. Ce noyau dur a même réussi à mettre un des leurs chefs, le Lieutenant-colonel Zida, à la tête de l’État. Ces mêmes militaires ont laissé s’échapper Compaoré et les siens vers des pays voisins.

Les États-Unis voient qu’une simple reprise en main du pays à travers un régime militaire ne sera pas acceptée par le peuple burkinabé et insistent pour que les militaires « transfèrent immédiatement le pouvoir aux autorités civiles ». Et, en effet, dés dimanche 2 novembre après-midi, des concertations ont eu lieu entre le Lieutenant-colonel Zida et les partis de l’opposition.

Or, dans ce qu’on appelle les partis de l’opposition, il y a aussi des anciens collaborateurs de Compaoré. Zéréphin Diabré, par exemple, a le titre de « chef de file de l’opposition ». Diabré a été ministre du Commerce, de l’Industrie et des Mines, de l’Économie, des Finances et du Plan. Ensuite, il est devenu pendant 5 ans (2006-20011) directeur Afrique et Moyen-Orient de la multinationale française AREVA. Saram Sérémé, la dirigeante du parti d’opposition PDC et en même temps présidente de la coordination des femmes de l’opposition, réclame la direction de l’organe de transition. Elle a été jusqu’en 2012 membre du parti de Compaoré. On l’appelait la « Compaoré-girl ». Ce n’est que quand elle a senti le vent tourner avec les évènements de 2011 qu’elle a quitté le parti de Compaoré. On voit même apparaître la figure de Jean-Baptiste Ouédraogo, le président qui avait été renversé par Sankara en 1983.Et enfin le parti de Compaoré, le CDP, a sorti une déclaration en louant Compaoré et en disant être « disponible » pour travailler avec les autorités de la transition.

En face de ce beau monde se trouve le peuple burkinabé avec un mouvement syndical puissant et des partis qui se disent les héritiers de Sankara. Sauront-ils s’unir, orienter et organiser le peuple pour qu’il puisse défendre sa victoire ? S’unir pour que le peuple obtienne justice pour les nombreuses victimes de la dictature et impose un vrai changement ? L’avenir nous le dira.

Tony Busselen et Marc Botenga