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Burkina Faso : Emeutes de Koudougou. Contagion révolutionnaire ?

D 27 mars 2011     H 14:28     A Boureima OUEDRAOGO     C 0 messages


Sale temps pour les dictateurs arabes ! Hier, c’était Ben Ali et Hosni Moubarak. Ils ont été dégagés, sans ménagement, par les peuples tunisien et égyptien. Aujourd’hui, c’est Mouammar Kadhafi de Libye qui est dans la tourmente. On croyait pourtant leurs régimes liberticides très solides. Ils régnaient par la terreur, usant tantôt de complots, d’assassinats et de tortures, tantôt de corruption, d’appropriation privée de l’Etat et de ses biens. Mais, en quelques jours, des manifestants ont fait chuter, comme des châteaux de cartes, ces citadelles que l’on croyait imprenables. Dans d’autres pays du continent, certains chefs d’Etat sont dans l’incertitude. Sont de ceux-là Paul Biya du Cameroun, où des voix commencent à lui demander de « dégager ». Au Burkina Faso, la mort suspecte d’un élève à Koudougou a semé le désordre dans plusieurs localités du pays. Certes, ce n’est pas encore la révolution acte 2. Mais personne ne sait jusqu’où peut conduire la bêtise qui se manifeste par cette tendance à vouloir camoufler, coûte que coûte, vaille que vaille, la vérité. Le réveil des opprimés gagne progressivement du terrain. Il atteindra, certainement, tous les pays où la démocratie est verrouillée au profit de régimes qui règnent sans partage sur des populations exclues du bénéfice de la justice, des services sociaux et des richesses nationales.

Disons-le tout de suite ! Le Burkina Faso n’échappera pas à la révolution populaire tant que persisteront le règne de l’impunité et du mépris vis-à-vis de l’intelligence des petites gens. Les manifestations suite à la mort de l’élève Justin Zongo, le 20 février 2011, ont révélé l’état d’esprit des citoyens. Cet état d’esprit est caractérisé, d’une part, par une crise de confiance profonde entre gouvernants et gouvernés, au point de faire du recours à la violence le moyen le plus sûr pour faire entendre la voix des sans-voix. Et, d’autre part, par la promptitude à défier l’autorité de l’Etat en s’en prenant à ses symboles. A force de cultiver l’impunité, le pouvoir a fini par créer les bases de sa propre fragilité. Tout se passe comme si l’Etat et ses représentants locaux ont perdu tout attachement à la vérité et à la justice. Pire, le gouvernement manque cruellement d’une capacité d’anticipation sur les crises, même quand les signes sont évidents. Comme si l’Etat ne sait réagir que quand il est acculé. Ce qui s’est passé ces derniers jours, notamment du 22 au 25 février, est très grave. En effet, les premières manifestations consécutives à la mort de l’élève Justin Zongo (encore un Zongo !) ont commencé le mardi 22 février. Le lendemain, pendant que Koudougou était dans une situation insurrectionnelle, le Conseil des ministres, après avoir entendu une communication orale du chef du département de la sécurité, n’a pu prendre toute la mesure de la situation. Une équipe gouvernementale était pourtant, la veille, dans la ville de Koudougou. Il a fallu attendre que d’autres citoyens perdent la vie et que les manifestations gagnent plusieurs autres villes dont la capitale, avec des destructions de biens publics et privés, pour que le gouvernement se résolve à prendre des mesures concrètes pour désamorcer la bombe sociale. Cette bombe était en train de se constituer à son nez et à sa barbe. Et elle risquait même de lui exploser à la face. Sont de ces mesures, la mise aux arrêts des policiers incriminés et l’ouverture d’une enquête judiciaire. On aurait pourtant pu faire l’économie de morts supplémentaires et des destructions de biens publics.

Koudougou 1

Mais cette situation a eu l’avantage de montrer à la face du Burkina tout entier combien ce pouvoir, malgré toute sa supposée solidité, peut facilement se faire surprendre par le cours des évènements. Ce n’est pas la première fois. C’est la preuve que son assurance ne repose sur aucun fondement solide. Du reste, ce qui se passe en Afrique du nord montre clairement que la force d’un pouvoir ne réside pas seulement dans sa capacité à anticiper sur les évènements, ni à réprimer des manifestations, mais bien plus dans son ancrage démocratique. Or, sur ce plan, le pouvoir Compaoré doit avoir du souci à se faire. Sa conception de la démocratie est pour le moins singulière et aux antipodes des principes universels qui font du droit à la vie et de l’alternance au sommet de l’Etat des valeurs incontournables et non négociables. A cela s’ajoute la lancinante question de la redévabilité envers les gouvernés. Or, ici, l’impunité est, selon l’imaginaire populaire, l’une des marques de ce régime. Cette impunité touche à la fois les crimes économiques et de sang, selon que les suspects soient issus d’un quelconque maillon du système. Les exemples sont légion et il serait fastidieux de les énumérer tous.

L’affaire la plus scandaleuse est l’assassinat de Norbert Zongo et de ses compagnons où tout semble indiquer que le politique a simplement pris le dessus sur le judiciaire. Concernant le pillage économique, l’on ne cessera de rappeler au gouvernement que cette affaire d’achat à crédits des villas de la CNSS par des hauts dignitaires du régime est un scandale qui va au-delà du non-respect des engagements. Un ministre viole la Constitution pour s’acquérir un bien auquel il n’a pas droit et l’on n’a pas trouvé mieux que de lui demander de payer le reliquat de ce qu’il devait et de jouir de ce bien indu. C’est simplement déroutant. Plus grave, lui et les autres « gourous » de la république ont montré qu’ils étaient capables de payer mais semblaient bien décidés à faire main basse sur les cotisations sociales des pauvres travailleurs burkinabè. En effet, quand le pot au rose a été découvert par la Cour des comptes et révélé à l’opinion publique par Le Reporter, le Premier ministre actuel leur avait donné un an pour solder leurs créances estimées à plusieurs dizaines de millions chacun. Et ils se sont exécutés. Mais d’où ont-ils sorti de telles fortunes en un an ? Cela ne semble intéresser personne, pas même le gouvernement !

Démocratie sans perspective d’alternance ?

Cette impunité au sommet fait croire à certains individus qu’ils peuvent, eux aussi, se permettre tout, en abusant de la petite parcelle de pouvoir qu’ils détiennent. Ainsi, certains éléments des forces de sécurité n’hésitent pas à bastonner de pauvres citoyens pour un oui ou pour un non. Combien de fois, pour une altercation avec des individus, des éléments des forces de l’ordre ont organisé des expéditions punitives dans nos quartiers et dans nos villes ? Combien de fois a-t-on entendu des accusations de tortures avec mort d’homme contre des commissariats de police, notamment celui de Wemtenga, à Ouagadougou, sans qu’aucune suite judiciaire ne soit donnée ? A force de ne donner suite à ces interpellations, le plus souvent fondées sur des faits concrets, l’on contribue à conforter certains éléments des forces de l’ordre que l’uniforme est synonyme de droit de vie ou de mort sur des citoyens, en lieu et place de leur protection. A l’inverse, du côté des populations, toute accusation de tortures fondée ou non contre un policier, a tendance à passer comme une vérité. C’est certainement cette situation qui a prévalu à Koudougou et que, malheureusement, le gouvernement n’a pas perçue très tôt !

Concernant l’ancrage de la démocratie, tant que, en plus de la cruciale question de l’impunité, la perspective de l’alternance démocratique s’éloignera du fait d’un tripatouillage de la Constitution, la rue restera le seul recours pour rétablir le peuple dans ses droits. Le peuple burkinabè, contrairement à ce que d’aucuns peuvent penser, n’est pas différent des autres. Il a, certes, une forte capacité à encaisser les coups, mêmes les plus douloureux, mais il ne saurait tenir, tout le temps, sans réagir. Il faut donc se garder de tester sa capacité de réaction en cas de légitime défense.

Pour éviter donc au Burkina ces vents violents de révolution, Blaise Compaoré et son clan doivent se résoudre définitivement à donner plus de gage de bonne foi et s’engager à apporter des réponses claires et concrètes aux aspirations du peuple à plus de pain, de liberté, de justice et d’espaces d’expression et d’éclosion de leur génie et de leur créativité. Ils doivent, enfin, se décider à régler définitivement les problèmes majeurs liés au respect du droit à la vie.

Mais bien plus, Blaise Compaoré et les siens doivent se résoudre à se contenter de ce dernier mandat. Ce n’est ni une prophétie apocalyptique, ni une incitation à la révolte. C’est une simple interpellation que commande toute analyse lucide de la situation actuelle du processus démocratique et de l’état d’esprit des Burkinabè dans leur majorité. Une démocratie sans perspective d’alternance fait forcément le lit d’autres formes d’expression du peuple. La présidentielle de novembre 2010 a montré qu’une partie importante des citoyens ne se sent plus intéressée ou motivée par les processus électoraux. De nombreux Burkinabè ne croient plus en la volonté du pouvoir d’aller vers une démocratisation réelle de la société. Blaise Compaoré et ses soutiens peuvent se satisfaire du plébiscite de 80%, de 54%, de 20% de la population et fermer les yeux sur la clameur inquiétante qui gronde sournoisement contre la patrimonialisation de l’Etat et du pouvoir, avec, notamment, l’omniprésence du président du Faso et de sa famille. De la politique à l’économie, excepté quelques rares battants et autres chanceux, seuls ceux qui ont une proximité avec la famille ou qui lui font une allégeance totale sont assurés de prospérer dans leurs affaires ou carrières. Mais pour combien de temps ?

Ces signes qui ne trompent pas…

Koudougou 3

En tout état de cause, toute révision de l’article 37 de la Constitution pour instaurer un pouvoir à vie sera incontestablement une erreur historique et irréparable. Les arguments fallacieux selon lesquels Blaise Compaoré n’a pas encore d’égal en matière de capacité à gérer ce pays et à le maintenir dans la stabilité politique et institutionnelle sont une insulte à la mémoire collective que beaucoup de Burkinabè ne toléreront plus longtemps. Certains signes ne trompent pas. Ceux qui savent écouter la clameur sournoise mais de plus en plus explosive, comprennent que le moment est venu pour Blaise Compaoré d’accepter qu’il n’y a pas qu’au palais de Kosyam qu’il peut servir ce pays. Si dans son intime conviction, il pense pouvoir apporter encore sa contribution à la construction de son pays, l’engagement le plus patriotique sera d’abord de lui donner une chance de faire l’économie des dérives déstabilisatrices des longs règnes. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre le pouvoir actuel. Il s’agit surtout de rappeler à tous, qui qu’ils soient, que le Burkina Faso n’est pas et ne sera jamais la propriété personnelle de qui que ce soit ; que tous les Burkinabè aspirent à la liberté, à de meilleures conditions de vie et à l’avènement d’un environnement politique et institutionnel propice à la saine émulation de leurs compétences et de leurs énergies. Blaise Compaoré devrait donc envisager sérieusement sa retraite et en négocier les conditions dans le cadre des réformes politiques et institutionnelles qu’il a promises. Le Burkina et ses fils sauront lui reconnaître ses efforts et ses mérites. Ce n’est certainement pas une décision facile mais il est un soldat au service de la nation et son devoir est de la protéger contre toute déstabilisation. Il ne peut donc pas se permettre d’être à la base de la déstabilisation. Les sirènes des courtisans ou des individus qui ont peur des compétitions honnêtes où ils partent à égalité de chance avec leurs compatriotes ne doivent nullement influencer sa mission de soldat au service de la nation. Ces individus-là tentent maladroitement de faire perdurer un système qui leur autorise les courtes échelles, les conforts et l’opulence sans effort. Ne dit-on pas que les révolutions naissent quand les uns mangent et que les autres regardent ? Si, en plus, ceux qui mangent sur le dos des autres poussent le cynisme jusqu’à banaliser leur droit à la vie, tout en leur signifiant qu’ils n’ont d’autre choix que cette vie de misère et d’indignité, c’est plus que la révolution que l’on suscite ! En chacun des hommes, sommeille une bête. La différence réside dans la capacité à la maintenir dans son sommeil. Il faut donc se garder d’atténuer cette force de domestication du mal qui sommeille en l’homme. Comme disait l’artiste musicien Zêdess, « si vous semez la misère, vous récolterez la colère ». Et Dieu seul sait comment cette colère peut s’exprimer. C’est ce qui est arrivé à Ben Ali, à Moubarak et à Kadhafi.

Comme quoi, le deuxième cinquantenaire des indépendances pourrait être celui de la libération des peuples des dictatures et du départ de la démocratisation réelle du continent. Seuls les peuples qui se satisfont de leur propre misère resteront soumis aux dictatures. Ceux qui ne l’ont pas compris fonceront fatalement vers leur propre perte.

Par Boureima OUEDRAOGO

Source : http://www.reporterbf.net