Vous êtes ici : Accueil » Afrique de l’Ouest » Burkina Faso » Burkina Faso : INTERVIEW de Lila CHOULI

Burkina Faso : INTERVIEW de Lila CHOULI

D 17 novembre 2014     H 05:16     A Lila Chouli , Moulzo     C 0 messages


Lila Chouli est chercheuse et travaille depuis quelques années sur le mouvement social au Burkina Faso. Elle a publié Burkina Faso 2011. Chronique d’un mouvement social, Tahin Party, Lyon (en téléchargement gratuit sur le site de l’éditeur : http://tahin-party.org/chouli.html).
Lila Chouli a également publié Le boom minier au Burkina Faso, Août 2014.

Afriques en lutte : Bonjour Lila, vous avez publié en 2011 « Burkina Faso 2011, Chronique d’un mouvement social » qui décrit bien les méthodes du régime Compaoré pour casser les mouvements sociaux au pays des hommes intègres. Pouvez-vous nous faire l’historique de ces précédents mouvements sociaux ?

Depuis le début de la période post-coloniale, la présence du mouvement social est un invariant dans le paysage sociopolitique burkinabè. Il y a une réelle tradition de lutte dans ce pays, dont « l’acte fondateur » est la chute de la Ie République le 3 janvier 1966 suite à un mouvement populaire. Pour ne parler que de la période récente – le régime de Blaise Compaoré – celui-ci a laissé un pays qui se caractérisait par des mobilisations prenant comme terrain la rue, dépassant largement les structures organisées et n’étant pas l’apanage des urbains et/ou des « intellectuels ».

Tant dans le monde rural que dans les zones urbaines, des questions saillantes, telles que l’accès à la terre, les déguerpissements, l’agro-business, les conflits fonciers, la corruption, l’impunité, l’état des aménagements collectifs, etc. étaient très régulièrement l’objet de révoltes spontanées. S’agissant des mouvements sociaux qui ont véritablement fait vaciller le régime il y a celui de 1998, consécutif à l’assassinat de Norbert Zongo.

Ce mouvement s’est étendu de manière soutenue sur plus de deux ans, sur tout le territoire, et a regroupé différentes composantes sociales. Depuis cette crise sociopolitique, on note un réel essor des mobilisations populaires. Le second, qui a lui aussi failli emporter le régime est celui de 2011.

Ce mouvement populaire – dont le déclencheur avait été la mort du collégien Justin Zongo, à la suite de multiples arrestations par la police et la répression meurtrière de manifestations, revendiquant la lumière sur cette affaire – avait déjà placé le pays dans une situation quasi insurrectionnelle.

À cette mobilisation s’étaient greffés une série de mutineries militaires et des conflits sociaux dans quasiment tous les secteurs de la vie économique (de la paysannerie à l’administration, en passant par les mines, etc.). Le pays était devenu ingouvernable. Tout au long de ce mouvement social, la question de l’alternance pour 2015 apparaissait en filigrane.

AEL : Qu’est ce qui a permis aux mouvements sociaux d’octobre 2014 contre le changement constitutionnel d’aboutir finalement à la chute de Compaoré ?

Ce qui a réellement permis d’aboutir à la chute de Compaoré est le ras-le-bol d’une population majoritairement jeune (60% des Burkinabè ont moins de 25 ans) et le degré de conscientisation de cette population par rapport aux raisons réelles du sort de la grande majorité. Il est significatif qu’il n’y a pas que parmi la classe intellectuelle et urbaine que les gens montraient du doigt le régime et se révoltaient contre lui, d’abord parce qu’ils expérimentaient sa nuisance de façon très concrète (accaparement des terres, dépossession, répression, etc.).

Cette dynamique protestataire doit aussi au travail d’ancrage populaire qu’ont effectué certaines organisations syndicales et associatives (Collectif contre l’impunité, Organisation démocratique de la jeunesse, Mouvement burkinabé des droits de l’Homme, Coalition contre la vie chère, etc.) qui ont élargi et politisé depuis des années l’action revendicative dans le pays. Le jour où Blaise Compaoré a démissionné, ce sont les jeunes manifestants – qu’ils soient membres d’une organisation de la société civile ou d’un parti politique ou pas – qui ont pressé l’opposition politique de demander son départ.

La mobilisation pour l’alternance s’est organisée à partir de la création du Sénat en mai 2013, perçue par le plus grand nombre comme un moyen pour Blaise Compaoré de modifier la Constitution. Le 29 juin 2013, l’opposition politique – qui avait depuis longtemps enterré la mobilisation populaire comme mode de revendication politique – appelait à l’initiative de son chef à une marche contre l’installation de cette chambre et la modification de l’article 37. Cette marche a réuni une foule impressionnante, composée de différentes classes sociales, de tous âges, militants d’une organisation politique ou civile ou pas. Ce sera le départ d’une série de marches et meetings qui connaîtront toujours une participation très importante. Dans la même période, on a assisté à la création d’une floraison d’organisations contre la modification de l’article 37, dont le Balai citoyen, en juillet 2013. La démission, le 4 janvier, de membres du bureau politique du parti au pouvoir, dont trois caciques (Roch Christian Kaboré, Simon Compaoré et Salif Diallo, des piliers du régime Compaoré) et la création de leur nouveau parti, a aussi eu un effet retentissant. Après les mutineries militaires de 2011, notamment celle de la garde présidentielle, ayant exprimé une fragilité certaine du régime, le départ de ces caciques indiquait assez bien l’état du navire. Mais ce qui a permis la chute de Compaoré a bel et bien été la radicalité des masses populaires.

AEL : Au Burkina Faso, le Balai citoyen a pris aussi sa part dans la chute du régime de Compaoré. Qu’en pensez-vous ? Et que pensez-vous du fait qu’il ait soutenu le lieutenant-Colonel Zida ?

Indéniablement, il est parvenu à fédérer des gens ne se reconnaissant dans les organisations politiques établies, une part de la « masse critique » mobilisée contre Compaoré. Par ailleurs, il a aussi mobilisé sur des questions sociales (délestage, état des hôpitaux, etc). En cela, c’est un mouvement important. Cependant, le balai citoyen a eu une tendance à considérer que lutter pour le départ de Blaise Compaoré était en soi suffisant et considérait que les organisations insistant sur le fait que cette exigence et la nécessité de construire un projet politique et social alternatif n’étaient pas des étapes séparées, mais indissociables, étaient de fait des alliées objectives de Compaoré.

Ce travail de fond aurait sans doute évité un affaiblissement du débat sur l’après-Compaoré, qui s’est exprimé par ce soutien apporté à une tentative de détournement de la victoire populaire par le n°2 de l’ex-garde prétorienne d’un président balayé par le mouvement populaire. C’est l’expression d’un sens politique limité, voire confus : en un jour le Balai peut à la fois dire « on se méfie des politiciens donc nous restons prudents » et servir de caution au lieutenant-colonel Zida, proche de Gilbert Diendiéré, le chef d’État major particulier de Compaoré, pour qu’il prenne le pouvoir en estimant que l’armée a droit à « un minimum de confiance ».

AEL : Si la transition conduisait aux élections, pensez-vous qu’il y a une alternative politique crédible au Burkina Faso, notamment qu’en est-il des partis sankaristes ?

Le fait que lors de l’insurrection populaire, aucun homme politique n’ait été appelé par les manifestants est tout de même un bon indice de la crédibilité de l’opposition politique formelle…

Dans une opposition comptant des dizaines de partis, il n’y en a aucun incarnant une alternative. Responsable du parti l’Union pour le progrès et le changement (UPC) et chef de file de l’opposition, Zéphirin Diabré, par exemple, avait maladroitement affirmé l’an passé : « Aujourd’hui, le monde nous appartient, nous les néolibéraux ; nous l’avons vaincu et conquis » (ce qu’il a ensuite dénié).

À la journaliste Anne Frintz qui l’a interrogé le mois dernier à Ouagadougou, avant l’insurrection populaire, sur son programme, Z. Diabré a répondu : « l’UPC n’a pas de programme spécifique », « le projet, c’est celui des bailleurs de fonds ». Il lui a précisé : « Dans l’opposition, il y a une unanimité dans le discours. On s’attaque tous au même problème : la pauvreté. On travaille pour une meilleure éducation, l’accès aux soins et à la santé (…) une agriculture d’export et vivrière, et surtout à une meilleure gouvernance. On doit attaquer la corruption qui est un sport national ici. (…) La différence entre les équipes de l’opposition, c’est la capacité à mettre en œuvre le programme. La volonté et l’engagement »…

Concernant les partis sankaristes, se battant à juste titre pour que justice soit rendue sur l’assassinat de Thomas Sankara, ils ne peuvent pas être considérés comme porteurs d’un projet politique (économique, social, etc.) alternatif. Si l’on en juge par la masse de gens se réclamant de Sankara, l’on peut déduire de leur faible popularité qu’ils ne semblent pas être considérés comme ses héritiers véritables en termes d’alternative politique, refus de toute domination extérieure compris.

Propos recueillis par Moulzo