Vous êtes ici : Accueil » Afrique de l’Ouest » Burkina Faso » Burkina Faso : l’avenir du pays, à l’heure actuelle, se trouve dans la rue

Burkina Faso : l’avenir du pays, à l’heure actuelle, se trouve dans la rue

D 8 juillet 2011     H 05:03     A Bertold de Ryon     C 0 messages


Interview d’ Issa SORY, président de l’Association des étudiants burkinabè
en France (AEBF), et secrétaire aux relations extérieures de l’Union
générale des étudiants burkinabè (UNEB) - Interview donnée le 1er juillet
2011 à Paris ; propos recueillis par Bertold du Ryon, du Groupe de travail
Afrique du NPA.

Bertold du Ryon : Qu’est-ce qui a allumé le feu de la révolte qui
a commencé le 22 février, quel en a été le déclencheur, et y a-t-il
des points communs avec ce qui s’est passé en Afrique du Nord
(Tunisie et Egypte) ?

Issa SORY : La crise ne date pas de fin février 2011. La crise
au Burkina Faso va en s’approfondissant. Il faut savoir que depuis
1990, lorsque notre pays a décidé d’aller au Programme
d’ajustement structurel, toutes les organisations de la société
civile – et surtout (celles) de gauche -, à savoir la CGT-B, le
Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples, et
l’UGEB, ont condamné cette politique aventuriste du président
Blaise Compaoré. Donc, les origines de la crise se trouvent dans
les conséquences des Programmes d’ajustement structurel ; et
depuis lors, ça a été des grandes batailles. Surtout au niveau des
étudiants. D’abord, en 1990, l’un des nôtres a « disparu », Dabo
Boukari, qui était un étudiant en septième année de médecine. Il
avait été arrêté par la Garde présidentiel et amené au
« Conseil », c’est-à-dire à leur poste. Jusqu’à aujourd’hui, on n’a
pas retrouvé son corps. C’est avec l’assassinat du journaliste
Norbert Zongo, le 13 décembre 1998, que le peuple s’est
véritablement organisé et s’est dressé contre le régime criminel
du capitaine Blaise Compaoré, à travers le Collectif des
organisations démocratiques de masse et de partis politiques. Là,
certains pensaient qu’immédiatement, on allait prendre le
pouvoir ; et le président, à l’époque, du Mouvement burkinabè
des droits de l’homme et des peuples avait dit que c’était une
crise qui était installée pour longtemps, qu’il fallait s’organiser
davantage, pour pouvoir faire face à l’impérialisme notamment
français. A l’époque, il y a eu des grandes manifestations, ce qui
a entraîné la fermeture de l’université. Depuis lors, les luttes ont
continué : que ce soit en 1999/2000 avec les étudiants, les
étudiants en 2002, en 2005 ; et depuis 2007 à nos jours, les
étudiants se sont toujours dressés contre le pouvoir au Burkina
Faso.
Actuellement, il y a une certaine accalmie, que les gens essaient
de montrer. Au Burkina Faso, les périodes de reflux du
mouvement social, c’est plus en saison de pluie, où les étudiants,
qui constituent en fait le moteur de la lutte, sont en vacances.
Mais à la rentrée, ça va reprendre, que ce soit au niveau des
élèves, au niveau des étudiants… Parce que rien n’a été résolu !
Ca n’a été que des promesses ! Que ce soit la promesse que les
assassins de Justin Zongo soient jugés « avant la fin juin » : nous
sommes au 1er juillet, et rien n’a été fait…

Bertold du Ryon : A propos de Justin Zongo : j’ai bien compris
que les causes des mouvements sociaux étaient structurels, et ne
datent pas d’hier. Mais il y a donc eu un déclencheur, la mort du
jeune Justin Zongo… Est-ce que tu comparerais ce déclencheur
avec la mort du jeune Mohamed Bouaziz, en Tunisie, même s’il
s’est tué lui-même après avoir été maltraité par des policiers ?

Issa SORY : Il y a des similitudes, mais je ne fais pas ce lien
d’abord. Au Burkina Faso, depuis que nous avons eu notre
Conseil syndical de l’UGEB, à Bobo Dioulasso, on a dit que la
décennie 2010 à 2020 serait une décennie de crise, parce que
tous les éléments étaient réunis. On a dit qu’en 2010, Blaise
Compaoré allait se présenter (NOTE : à sa propre succession), et
qu’il va « gagner l’élection », ce qu’il a fait, avec 80 %. Et de
2010 à 2015, il faut tout modifier, parce que l’affaire de
l’assassinat de Thomas Sankara, l’affaire du Liberia, l’affaire de
l’Angola – où Blaise Compaoré agit en déstabiliseur de la zone,
qui a soutenu les rebelles (ivoiriens) contre Laurent Gbagbo, qui
a soutenu (en Angola) l’UNITA contre le MPLA pour le diamant,
avec lequel il s’est enrichi malgré un embargo de l’ONU – sont
autant de problèmes irrésolus.
Avec tout ce qui passe au Maghreb, et pas seulement en Tunisie,
nous sommes en lien ! En Tunisie, il y a l’UGET (Union générale
des étudiants de Tunisie), qui est en relation que l’UGEB. Les
deux, nous avons pratiquement le même fondement. L’élément
fédérateur, c’est la longévité de tous les dirigeants, c’est les
dictatures, c’est la corruption, c’est l’application des régimes
néocoloniaux ; ce sont des points similaires. Mais il y a des
spécificités ; est-ce qu’au Burkina Faso, ça va produire les mêmes
effets, par exemple le fait de s’immoler soi-même (NOTE :
comme Mohamed Bouazizi) ? Ce n’est pas évident. Mais au
Burkina Faso, nous baignons dans une crise depuis longtemps. En
novembre 2010, nous avons fait une déclaration, en disant que
les élections (présidentielles) sont « une mascarade ». On a dit
aux jeunes – où l’Organisation démocratique de la jeunesse fait
un travail au niveau de la jeunesse populaire -, aux étudiants,
qu’il faut se démarquer de ces élections, soutenir les luttes
populaires. Quand ça a commencé (en février 2011), ça ne nous
a point surpris. Nous, on attendait la rue ! Nous pensons que
l’avenir du pays, à l’heure actuelle, se trouve dans la rue.
Maintenant, il faut que les forces progressistes se donnent
davantage de moyens pour davantage isoler le régime.

Bertold du Ryon : Quelles sont les perspectives à ce propos,
dans un très proche avenir ?

Issa SORY : Quand Blaise Compaoré avait (au printemps
2011) fui à Ziniaré – son village d’origine - , on a déjà commencé
à faire le bilan du régime sur France 24, RFI, sur d’autres
chaînes, partout. Certains disent d’ailleurs qu’il avait fui à Ziniaré,
d’autres disent qu’il se trouvent dans un autre palais, qui est très
loin de l’ambassade de la France. Or, dans toutes les ex-colonies
françaises en Afrique, le palais présidentiel se trouve toujours à
côté de l’ambassade ! Donc, quand il se sentait en danger, Blaise
Compaoré a pu se rendre dans un ancien palais, qui est très
éloigné, et utilisé par le Premier ministre actuellement. On l’avait
sorti de sa présidence dans une ambulance… Pour la France, au
Burkina Faso, Blaise Compaoré avait fait son affaire jusqu’ici. Mais
maintenant, il est usé. La France veut actuellement le changer,
mais elle ne souhaite pas qu’il soit renversé par la gauche. On ne
sait pas si un coup d’Etat peut advenir, demain, si l’armée le
remplace.
Nous, on dit au niveau des mouvements : le pouvoir est dans la
rue ; il faut le prendre pour aller vers la libération véritable de
notre pays. On a lancé, au niveau de la Coalition, des luttes
sectorielles. A partir de là, les enseignants du primaire et du
secondaire sont sortis dans la rue ; les agents du ministère de
l’économie et des finances ; les artisans, partout. Et actuellement,
les agents du BTP (bâtiment – travaux publics) sont dans la rue,
en ce moment. Les agents des impôts étaient là, hier, ils étaient
dans la rue.