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Burkina Faso - Plantation d’anacardier de Yendéré : Les populations expropriées de leurs terres par la force

D 28 août 2012     H 22:50     A Franck Régis Tapsoba     C 0 messages


Ce qui était présentée comme une opportunité d’affaire et de promotion économique pour Yendéré est en train d’échapper aux supposés bénéficiaires. Le chef des infrastructures à la présidence du Faso, Boukary Niampa est le nouveau propriétaire du champ d’anacardier réalisé au profit du village il y a maintenant trente ans. François Compaoré s’est fait attribuer lui-aussi les champs d’anacardier de Guénako à Orodara. Le gouvernement serait responsable de ce détournement de plantations à des fins personnelles.

Au départ, projet gouvernemental, le projet anacardier a été confié à une société d’intérêts mixte, Flex Faso, dont le rôle est l’exportation et la commercialisation. Cette société s’est par la suite faite propriétaire des quatre champs d’anacardier de plusieurs hectares chacune. A sa faillite, les terrains sont mis aux enchères et des personnalités du pouvoir s’en sont appropriées en violation des textes. La société, comme elle le reconnait elle-même, ne dispose pas de titre de propriété, ni de permis d’exploitation. Elle se base sur une ordonnance de justice pour vendre ces terrains. Si dans les autres localités, les populations ne se sont pas encore révoltées, à Yendéré, les jeunes, confrontés à un problème de terre, ne veulent pas se laisser spolier.

A Yendéré, le dernier gros village du Burkina avant la frontière avec la Côte d’Ivoire, s’étend une vaste plantation d’anacardier. Etalé sur une superficie de 548 hectares sur un parcours de plusieurs kilomètres, cette plantation impressionne de par sa taille et sa beauté. Toutes les plantes sont au stade de production. Ce verger d’anacardiers fait la beauté de ce village, mais aussi, il représente une partie de l’histoire et de la vie de ce village. La population retrace l’historique de cette plantation sans omettre le moindre détail. Au commencement, ils étaient tous présents de tout âge et de sexe. Les femmes se souviennent toujours de la pénibilité du travail sur le site. Le village aurait tout donné pour la réussite de la plantation. Et aujourd’hui, les plantes ont grandi et font leur fierté.

Tout commence en 1980, lorsque le gouvernement, avec l’appui des partenaires au développement, essaie la vulgarisation de la plante d’anacarde dans les pays du Sahel. C’est l’institut de recherche des fruits (IRFA) qui pilote depuis 1976 le projet fruitier qui est également chargé de celui de l’anacardier. Les villages de Yendéré et de Guénéko respectivement dans les communes de Niangoloko et de Orodara qui sont retenus pour l’expérimentation. En 1980, la population de Yendéré accueille une mission gouvernementale pour présenter le projet. Les premiers responsables seraient des expatriés appelés pour leurs expertises.

Le projet fut présenté comme un programme de l’Etat au profit des populations. Le village ne pouvait espérer mieux. C’est un pas vers le développement d’autant que le projet coïncidait avec la construction de la première école. Ce projet entre dans le cadre de la fixation des jeunes dans leurs terroirs. A travers cette réalisation, le gouvernement voyait une source de revenus pour la population, surtout pour les jeunes et les femmes. « Du fait de notre proximité avec la Côte d’Ivoire, les jeunes quittaient le village et le blanc avait dit qu’avec ce projet, les jeunes trouveraient du travail. Ils n’iront plus ailleurs », se souvient encore le chef du village Dan Héma. La collaboration et l’engagement du village ont été les conditions préalables au lancement des travaux.

Personne dans le village ne voulait laisser filer cette grosse opportunité. Le village s’est ainsi mis à la tâche. Le chef de Terre, Mandien, choisit les meilleures terres pour la plantation. Les bénédictions et l’accompagnement des ancêtres sont aussi sollicités à travers des sacrifices pour la réussite du projet. Les travaux furent aussitôt lancés et les plantes grandissent sous la protection de l’ensemble du village. En 1991, la première phase du projet prît fin et les expatriés sont retournés laissant quelques collaborateurs. Joachim Soulama, fils du village, serait devenu le nouveau leader. C’est en ce moment que les plantes portaient aussi leurs premiers fruits.

La plantation fut parcellée pour la population. Les travaux, la cueillette et la commercialisation sont supervisés par Joachim Soulama. Les premières plaintes sont apparues dès cet instant. Les producteurs, surtout les femmes, estimaient qu’ils n’étaient pas bien rémunérés. Mais ils avaient espoir que le marché d’anacarde va s’améliorer et ils pourront faire de bonnes affaires. La plantation est passée sous leur gestion. « On avait dit que la plantation revenait au village à la fin du projet », déclare le chef de terre soutenu par l’ensemble de la population. Le village fut d’ailleurs informé de la fin de cette phase. On leur fait comprendre également que conformément à l’objectif de départ, la plantation d’anacardier échoit désormais aux populations. La parcellisation du verger était une première étape. « Joachim Soulama est venu me dire que c’est une société du gouvernement qui a loué les terres et c’est à elle que les récoltes étaient vendues », poursuit le chef de terre Mandien Sirima.

Le chef de terre et ses frères se sont trompés sur le ministère de l’Agriculture qui pilotait ce projet. La désillusion a été grande. Le village ignorait qu’à la fin de la première phase du projet, la plantation d’anacardier était gérée par Flex Faso. La population travaillait donc désormais pour le compte de cette société. La société ne revendiquait pas seulement le droit de gestion, mais aussi celui de propriétaire. Et c’est en vertu de ce droit qu’elle a mis la plantation à la vente aux enchères quelques années plus tard.

Créée en 1987, FLEX FASO, société d’économie mixte (Etat et privé) est issue d’un projet fruitier. Le Projet de Développement des Cultures Fruitières (Projet Fruitier) a été réalisé en 1976 par le Ministère du Développement Rural, sur financement de la Caisse Centrale de Coopération Economique. FLEX FASO fut une société d’exportation de fruits et légumes. La société a géré la plantation de Yendéré sans un échange, ni de concertation avec les populations. Le seul interlocuteur était Joachim Soulama, unique représentant au niveau local. Le ministère de l’Agriculture n’a pas aussi informé le village du changement de statut de la plantation. Le village a été simplement écarté de la gestion de la plantation. Pendant ce temps, le sort de la plantation se joue à Ouagadougou.

Confronté à des difficultés, la société Flex Faso ferme ses portes en 2006. Elle saisit le tribunal de grande instance de Ouagadougou à travers son syndic liquidateur, le cabinet africain de gestion informatique et comptable (CGIC) Afrique International pour sa liquidation afin d’assurer son passif. Flex Faso demande la vente des plantations d’anacardier des villages de Yenderé, de Gueneko I et II respectivement dans les communes de Niangoloko et de Orodara, ainsi que celles situées dans les provinces du Bazèga et de la Tapoa. La juge Nigna née Somda Julie autorise la liquidation des biens de la société. Les fermes du gouvernement passées sous la gestion de la société sont considérées par la justice comme sa propriété. Ses bureaux installés à la zone aéroportuaires furent par contre restitués à l’ASECNA, propriétaire des lieux.

En 2009, les plantations de Yenderé d’une superficie de 548 hectares furent ainsi vendues à Boukary Niampa, le directeur des infrastructures à la présidence du Faso, par ailleurs maire de la ville de Titao. La plantation de Orodara d’une superficie de 480 hectare est revenue à François Compaoré, conseiller économique à la présidence et frère cadet du chef de l’Etat. Boukary Niampa a obtenu la plantation de Yendéré contre la somme de 92 millions et il en a fait cadeau à sa fille, architecte de profession du nom de Ouédraogo Haoua née Niampa.

C’est juste après la vente de la plantation que l’information est parvenue au village. La nouvelle fît l’effet d’un grand choc pour l’ensemble du village. De l’indignation à la colère, le village organise la riposte. Les habitants estiment qu’on a abusé de leur confiance. C’est d’abord le maire de la commune de Niangoloko qui est saisi afin de s’imprégner de la véracité de l’information et les mobiles de cette décision gouvernementale. Depuis 1995, le chef de terre avait déjà été informé que la gestion de la terre n’était plus de sa seule responsabilité, mais plutôt de la mairie.

« On nous a dit que le chef de terre ne gère plus la terre, mais c’est la commune mandaté par le gouvernement », confie le chef Mandien Sirima. Si les terres devaient être vendues, le maire Abraham Soulama était certainement impliqué. La réponse du maire n’a pas apporté d’éclairage, mais plutôt de la confusion dans l’esprit de la population. Il ne connaît pas ce dossier et ne dispose d’aucune information sur « la vente de la plantation par le gouvernement ». En principe, les textes stipulent que la gestion de la terre au niveau local est placée sous le contrôle de la commune. Toute cession ou de location de terrain est soumise à une étude, suivie d’une autorisation express des autorités communales. Les actes de propriété ou de permis d’exploitation sont délivrés par la mairie. Abraham Soulama n’a reçu aucun dossier de demande de titre de propriété, ni de demande de permis d’exploitation.

« C’est avec la crise que nous avons été informé par la population. Normalement, les titres et les permis d’exploitation sont délivrés par les services de la mairie. Mes services n’ont pas été impliqués. Comme le dossier est à la justice, je fais confiance à la justice. », nous confie Abraham Soulama qui regrette la violation des textes. Il conseille donc à la population de saisir le délégué du médiateur du Faso. Ce qui est immédiatement fait. Une lettre de non reconnaissance de vente de la plantation est aussitôt adressée au médiateur. Le maire et le délégué du médiateur font le déplacement de Yendéré pour un échange. Cette rencontre qui a invité la population au calme a permis néanmoins au chef Dan Héma et sa population de connaître la vérité. « Le délégué du médiateur est venu à Niangoloko et il a fait savoir qu’aucun papier de vente de la plantation par le gouvernement n’existe nulle part », confie les jeunes.

Dès lors, Yendéré avait la certitude que quelqu’un les avait simplement expropriés. Le gouvernement ne pouvait pas être aussi méchant envers sa population. Et pourtant, il est complice, en accordant plein pouvoir à la société Flex Faso d’agir. En dépit de cet appel au calme et à la retenue, les relations entre les deux parties vont dégénérer.

La riposte du Village : Yendéré refuse de se faire exproprier

Le projet ne peut pas être détourné de son objectif de départ. « On n’a pas vendu nos terres, les responsables avaient dit que c’est pour le développement socioéconomique du village. La plantation nous revenait à la fin du projet », font comprendre les notables du village. Le comportement du nouveau propriétaire désigné est aussi dénoncé par les notables de Yendéré. Ce qui rend encore difficile la cohabitation des deux parties. Haoua Ouédraogo ne se serait jamais présentée dans le village. Yendéré s’attendait à ce qu’elle vienne informer et échanger avec les notables. C’est une règle non écrite, mais recommandée dans les usages coutumiers pour tout nouveau venu dans le village.

« Cette arrogance » n’est pas appréciée par les deux chefs du village. C’est tout naturellement qu’ils ont refusé de faire les sacrifices demandés par l’émissaire de Haoua Ouédraogo. Cependant, ce refus, signe d’une opposition à l’exploitation de la plantation, n’a pas empêché la nouvelle propriétaire de démarrer ses travaux. Une équipe de plusieurs ouvriers débarquent de Ouagadougou et se mettent immédiatement à la tâche. La propriétaire et son équipe sont aussitôt invitées par les notables à une rencontre de concertation. Une délégation fut mandatée auprès des premiers responsables de l’équipe d’exploitation pour demander l’arrêt de l’exploitation avant la concertation. Les échanges entre les deux parties sont restés tendus.

La délégation du village est retournée sans rien obtenir. « Ils nous ont dit qu’ils ne reconnaissent pas le chef de terre, si on veut nos terres, on doit s’adresser à Ouagadougou. Haoua Ouédraogo ne souhaiterait pas nous rencontrer », indique un jeune, membre de cette délégation. La rencontre n’a donc pas eu lieu, les travaux sur le site n’ont pas été non plus suspendus. Une situation qui présageait déjà une cohabitation difficile, voire impossible.

C’est d’abord la mise en fourrière des animaux qui déclenche l’affrontement entre les deux parties. Les jeunes sont allés exprimer leur mécontentement. La plantation d’anacardier jouxte à proximité du village. Il est par endroit confondue aux habitations. En 1980, la plantation était éloignée, mais plus de trente ans après, le village s’est étendu et s’est par endroit trop coincé à la plantation. La population reproche également à l’équipe de Haoua Ouédraogo de se livrer à une coupe abusive du bois. C’est plusieurs milliers de tonnes de bois qui sont sortis de la plantation et évacués sur les marchés de Ouagadougou. A l’exception de l’anacardier, toutes les espèces sont menacées. C’est surtout la coupe du Karité et du Néré qui déplait au village, surtout aux femmes qui y voient une perte de revenus.

La première grande manifestation est survenue en février 2010. Les jeunes et les femmes exaspérés par le comportement de cette équipe ont saccagé leurs installations. Leurs matériels de travail sont récupérés. Les travailleurs sont délogés et se replient à Niangoloko pour revenir des jours après. Cette violente manifestation a fait intervenir la gendarmerie. C’est elle qui a réinstallé les travailleurs par la suite, trois jours seulement après le saccage. Ce que les notables n’admettent pas. « Le commandant de la brigade a dit : comme vous les chassez par force, je les installe par force. Il a dit que l’ordre vient de Ouaga ; et on lui a dit qu’il porte l’entière responsabilité de ce qui pourrait arriver », affirment les deux chefs du village. Le parquet du tribunal de grande instance de Banfora interpelle aussi plusieurs dizaines de personnes.

A l’issue de cette interpellation, le procureur informe la population de la suspension de l’exploitation en attendant le règlement du litige et la lumière sur le dossier. L’arrivée des travailleurs quelques jours plus tard sans aucune information préalable est perçue par la population comme du mépris et une gestion partisane de l’affaire. Une nouvelle manifestation est lancée et l’équipe expulsée de force par le village. La police et la gendarmerie interviennent à nouveau. La majorité des jeunes sont interpellés par le parquet de Banfora. Ils sont poursuivis pour « troubles de jouissance ». Ces troubles « consistent à des menaces et des destructions de plants d’anacardiers au seul motif argué que les défendeurs se prétendent propriétaires terriens sans autres formes de preuve ». La plaignante estime son préjudice subi à plus de 4 millions. Elle réclame également un dédommagement de plus de 45 millions Fcfa.

Le parquet abonde dans le même sens que la plaignante. Le procureur fait comprendre que Houa Ouédraogo est bien propriétaire de la plantation. Il est conseillé aux habitants de Yenderé d’accepter la situation. Il prévient en même temps que tout trouble sera puni. Et pour montrer l’exemple, Luc Lassina Soulama fut condamné pour outrage à magistrat, lorsque ce dernier a demandé plus d’explication sur le dossier. « Après plusieurs va et vient au tribunal de Banfora, le juge finit par nous informer qu’un texte en leur possession fait de Ouédraogo, la nouvelle propriétaire sans explication », affirme Tahéré Soma, un jeune du village.

« Les terrains en question n’ont fait l’objet d’aucune attribution régulière au profit de Flex Faso »

L’affaire de la plantation d’anacardiers de Yendré pose la question de l’expropriation des terres, en violation des textes. Ceux qui sont impliqués n’ignorent pas les textes et ils ont choisi délibérément de les violer. Boukary Niampa et François Compaoré, ainsi que ceux qui ont racheté les champs d’anacardiers savaient que Flex Faso n’a pas de titre foncier. La société le reconnait elle-même. En décembre 2008, le président directeur général du syndic liquidateur, Issa Barry, adresse un courrier au directeur général des impôts, pour l’évaluation des terrains et investissement. « Nous avons l’honneur de solliciter par la présente, l’évaluation des fermes (terrains) de l’ex Flex Faso situées dans les localités du centre de Bazèga (Kombissiri), centre de la Tapoa, centre de Guénako I et II (Orodara) et le centre de Yendéré (Niangoloko).

Nous tenons à souligner que les fermes sont bornées, mais ne disposent d’aucun document, notamment, titre de propriété ou autre document d’identification », écrit-il dans sa correspondance. Le directeur générale des impôts fait comprendre à la société plus tard qu’après investigation de ses services, il ressort effectivement que les terrains en question n’ont fait l’objet d’aucune attribution régulière au profit de Flex Faso. Par conséquent et s’appuyant sur des dossiers similaires traités, il invite le liquidateur à saisir la mairie du lieu de situation du terrain pour constituer un dossier de demande d’attribution de terrain. Le directeur général des impôts adjoint à la correspondance la démarche à suivre. Ce dossier comprend entre autres le procès verbal de palabre constatant l’accord des propriétaires terriens.

Ce procès verbal est signé par le maire, le service des domaines et la population. L’attribution est sanctionnée par un arrêté de l’autorité compétente (la mairie) sur proposition du service chargé des domaines et après avis des services techniques compétents. Mais le syndic liquidateur n’a pas suivi la procédure. Il est aidé par le tribunal de grande instance de Ouagadougou qui lui délivre une ordonnance aux fins d’autorisation de vente. Les terrains de plantation sont déclarés, sans documents, comme faisant partie des biens de la société. C’est donc muni des actes de la justice que Flex Faso a mis aux enchères la vente des quatre centres de plantation. En novembre 2009, le syndic liquidateur délivre une attestation de vente à Haoua Ouédraogo. C’est donc en vertu de cette attestation que la justice soutient qu’elle est l’unique propriétaire de la ferme de Niangoloko, sans titre de propriété. L’affaire est loin d’être terminée, les populations étant décidées à faire respecter leurs droits sur les terres de leurs ancêtres.

Source : MUTATIONS N. 11 de juillet 2012, Mensuel burkinabé paraissant chaque 1er du mois (contact : Mutations.bf@gmail.com)

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