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Burkina Faso : Une population mobilisée et organisée

D 17 octobre 2015     H 05:28     A Jean-François Cabral     C 0 messages


L’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 n’a pas été un soulèvement simplement spontané d’une population décidée à en finir avec la dictature...

C’est aussi le résultat d’une longue lutte pour ses droits démocratiques et sociaux dans un pays où jusqu’à présent – et en grande partie pour cette raison – les questions ethniques et religieuses ont été pratiquement absentes de la scène politique, à la différence de bien d’autres pays de la région.

Sankaristes et communistes

A gauche (et à l’extrême gauche), deux courants existent réellement. Le premier se réclame de l’expérience sankariste. Longtemps divisé en une myriade de forces politiques durant la dictature de Compaoré, le mouvement sankariste a commencé à s’unifier autour de la figure de l’avocat Bénéwendé Sankara et de son parti Unir-PS. Il était crédité de 8-10 % des voix avant la tentative de putsch. Le discours reste cependant un peu confus : à la fois radical sur certains points en exigeant depuis octobre dernier la dissolution du RSP, tout en s’inquiétant quelques mois après de la vague de grèves parfois « exagérée » même si elle était « légitime », au nom de l’impératif de la reconstruction d’une « économie nationale »...

Le PCRV (Parti communiste révolutionnaire voltaïque) est l’un des trois partis d’origine maoïste qui compte à ce jour en Afrique, avec celui du Bénin et de Tunisie. Opposant à Sankara, il est resté jusqu’à aujourd’hui clandestin. Son influence réelle fait l’objet de nombreuses controverses, oscillant entre groupuscule et parti supposé diriger en coulisse l’essentiel du mouvement social à l’exception du « Balai citoyen ». Pour l’instant, il n’a pas fait le choix de construire un parti large et légal, et les candidats qu’il soutient aux législatives se présentent comme des « indépendants » (en supposant que la législation ne leur fasse pas barrage précisément pour cette raison…).

Le développement du Balai citoyen

Dans un pays très majoritairement rural où la malnutrition fait des ravages, où la population est à 60 % analphabète, et où la population active est à 90 % non-salariée, l’organisation de la population pauvre est une gageure. C’est pourtant une réalité !

Fortement inspiré par le « printemps arabe » en 2011, le Balai citoyen a commencé à se structurer dès l’été 2013 avec le soutien du mouvement « Y’en a marre » apparu à la même époque au Sénégal. Ses principaux animateurs sont le rappeur Smockey (lequel n’est pas parti en fumée mais avait envie de « se moquer » !) et l’avocat Hervé Kam. Il a fait depuis des émules dans les pays limitrophes, et se structure dans le pays avec ses comités Cibal jusque dans la diaspora très nombreuse en Côte d’Ivoire.
Se référant en permanence à Thomas Sankara, il a joué un rôle très important et parfois controversé lors de l’insurrection d’octobre 2014. Il se définit comme une « sentinelle », refusant de s’impliquer directement sur le terrain électoral.

Richesse du mouvement social

Principalement autour de la CGT-B, le mouvement syndical joue un rôle très important, car extrêmement présent dans les lieux où sont concentrés les pouvoirs politiques et économiques du pays. Son influence tient aussi à la convergence politique et idéologique assez sensible que l’on peut observer avec le reste du mouvement social dont l’ensemble forme une assez grande complémentarité autour de trois pôles :

Au sein de la population pauvre avec le « Comité contre la vie chère » qui regroupe à la fois les petits commerçants, artisans, la grande masse du secteur informel, les gens des quartiers, en étant capable d’initier des mouvements de grève ou de boycott souvent en lien avec la CGT-B.
Au sein de la jeunesse avec l’UGEB qui a toujours participé activement à la politisation de la jeunesse étudiante. Et depuis les années 2000, l’ODJ (Organisation démocratique de la jeunesse) qui tente d’organiser la jeunesse pauvre, parfois illettrée dans les campagnes, en s’appuyant sur une partie des étudiants de l’UGEB.

Sur le terrain démocratique, avec le MDHP (Mouvement pour les droits de l’homme et des peuples), et avec le Ren-Lac dont l’action sur le terrain de la lutte contre la corruption rencontre un écho très important. Sans oublier le « Manifeste des intellectuels pour la liberté » fondé dès 1998 après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo qui a joué un rôle de creuset pour toute l’opposition radicale.

Au total, c’est bien l’ensemble de la population qui est touchée de près ou de loin, y compris les plus pauvres, y compris les femmes qui jouent un rôle très important au travers de ces organisations, dans un pays où pèse en même temps tout le poids des traditions héritées du passé.

Jean-François Cabral