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Burkina : La transition est en place… De nombreux problèmes en suspens

D 6 janvier 2015     H 05:06     A Bruno Jaffré     C 0 messages


Depuis l’insurrection les 30 et 31 octobre, on a beaucoup entendu parler dans nos médias de « coup d’Etat militaire », de « révolution trahie », « de militaires omniprésents détenant la réalité du pouvoir »… Qu’en est-il ? Retour sur un mois de novembre déterminant.

Nous vous proposons ci-dessous un article publié dans le mensuel Billets d’Afrique de SURVIE, publié début décembre 2014. La transition se met en place doucement et depuis la publication, peu de nouveau au Burkina. Mais les choses devraient bientôt s’accélérer, car le conseil national de Transition, après avoir édicté ses règles, vient juste de commencer à siéger pour s’attaquer au budget, que vient de proposer le gouvernement. D’autres annonces devraient suivre sur les questions de justice notamment. Nous y reviendrons bientôt.

Y a-t-il eu un coup d’Etat militaire ? Au plus fort de l’insurrection et pour éviter les pillages et le massacre devant le palais présidentiel, où la foule se pressait face à des hommes du RSP (régiment de sécurité présidentielle), l’arme au pied, ce sont des civils qui ont été demandés à l’armée de prendre leur responsabilité. Les plus connus d’entre eux, Guy Hervé Kam et Smockey du balai citoyen, Augustin Loada, tout nouveau ministre de la fonction publique, du travail et de la sécurité sociale. Des personnalités reconnues pour leur engagement ancien dans la société.

Transition consensuelle

Dès la fuite de Blaise Compaoré, exfiltré par les troupes françaises, pendant près de 15 jours, les autorités religieuses, les chefs traditionnels, les partis politiques, les militaires et la société civile ont discuté sans relâche pour aboutir à une charte de la transition, adoptée à l’unanimité. Une issue somme toute remarquable. Les militaires ont certes pesé de tout leur poids. Mais cette issue montre que l’affrontement a été évité et que la situation nouvelle ainsi créée résulte d’un consensus accepté par tous les acteurs de ce début de transition.

Le Président Michel Kafando et le premier ministre, le lieutenant-colonel Zida, affirment assez vite vouloir lutter contre l’injustice et la corruption. Ils promettent aussi réouverture des dossiers judiciaires et des réformes importantes dans les secteurs de la défense, de la justice et l’économie. La nomination au poste de ministre de la justice, des Droits humains et de la Promotion civique, Garde des Sceaux, de Joséphine Ouedraogo, ancienne ministre de Thomas Sankara permet de garder un peu d’optimisme sur les dossiers en cours.

Transition arrangeante ?

Si beaucoup de piliers du régime se sont enfuis et quelques uns ont été arrêtés, comme le secrétaire exécutif du CDP (congrès pour la démocratie et le progrès), Assimi Kouanda, la présence ostentatoire du général Gilbert Diendéré, véritable numéro 2 de l’ancien régime posait problème. Chef du régiment de la sécurité présidentielle depuis plus de 27 ans, il est donc impliqué dans l’assassinat de Thomas Sankara, mais aussi dans celui du journaliste Norbert Zongo. Pour la presse, la réouverture du dossier est évidemment une priorité. Diendéré, décoré en 2008 de la légion d’honneur, lors d’un séjour en France a aussi été plusieurs fois cité lors du procès de Charles Taylor pour avoir fourni des armes au RUF. Cité aussi dans un autre rapport plus récent sur la Côte d’Ivoire pour avoir contribué à contourné l’embargo. Enfin Gilbert Diendéré disposerait du meilleur service de renseignement du pays.

Plusieurs articles de la presse, très virulent au Burkina, affirment que l’on aurait laissé déménager les papiers compromettant pour les tenants de l’ancien régime. Ils laissaient entendre que Diendéré, et Djibril Bassolet, ministre des affaires étrangères mais aussi général de gendarmerie, auraient tous les deux manœuvré pour que Zida soit nommé chef d’Etat.

Pression populaire

Le peuple qu’on avait presque oublié durant ces deux semaines de conclave s’est rapidement chargé de rappeler qu’il fallait compter avec lui. Les populations ont vite exigé que les maires de Bobo Dioulasso et Ouahigouya soient destitués, le premier ayant été arrêté. Surtout le ministre de la culture Adama Sanon a dû démissionner deux jours après sa nomination, les manifestations s’étant déroulées presque en continu devant le ministère. Et pour cause, il était procureur dans l’affaire sur l’assassinat de Norbert Zongo ! De nombreuses manifestations se déroulent dont il est difficile de faire l’inventaire contre des directeurs de différents services pour demander leur démission.

Des personnalités charismatiques ont été placées à des postes de tout premier plan, comme Sy Cherif, choisi comme président du conseil national de transition. Militant de la liberté de la presse, il a créé avec beaucoup de courage à l’époque le premier journal de l’opposition. Citons encore Luc Ibriga, juriste de tout premier plan, porte-parole du Front de la Résistance citoyenne engagé depuis longtemps pour le renforcement de la démocratie, nommé contrôleur général d’Etat. Par contre les manœuvres sont apparus aussi au sein de la société civile. Plusieurs représentants, choisis pour représenter la société civile, seraient des membres de partis politiques, le MPP, Mouvement du peuple pour le progrès, notamment, un parti constitué à l’origine par d’anciens dirigeants de tout premier plan du CDP.

Puis les 27 et 28 novembre les choses semblent s’accélérer. Au niveau de la présidence, on annonce que Diendéré est relevé du commandement de la sécurité présidentielle ! Les choses iraient-elles donc plus vite qu’on aurait pu le croire ? La place qui lui revient serait plutôt en prison, compte tenu de ses antécédents, ce qui achèverait de convaincre bien des gens encore sceptiques sur la véritable volonté du lieutenant-colonel Zida de s’affranchir de son ancien patron.

Zida volontariste ?

Lors d’une rencontre avec la presse, Zida le premier ministre va bien plus loin que le président. Tous les dossiers de justice vont être ouverts, affirment-ils, et pour la plupart seront jugés sous la transition, ce qui est vrai aussi pour l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. Il affirme même être prêt à demander l’extradition de Blaise Compaoré du Maroc si une nouvelle plainte est déposée, ce qui ne devrait évidemment pas tarder.

Il déclare en outre : « "Il y a des dossiers des crimes économiques qui seront ouverts. S’il le faut nous allons nationaliser des entreprises parce que ce qui a été construit avec l’argent du peuple doit revenir au peuple" ! De son côté le ministre des mines le Colonel Boubacar Ba a déclaré vouloir passer à la loupe les contrats miniers signés et les permis d’exploration octroyés dans l’opacité sous le défunt régime de Blaise Compaoré, car selon lui, le secteur minier a manqué de transparence. Un document d’Afrique confidentiel a fait récemment l’inventaire des proches du régime ayant des intérêts dans les mines, mais celles-ci sont le plus souvent exploitées par des sociétés canadiennes1.

Selon un communiqué de l’agence Ecofin « Le Burkina Faso est devenu, ces dernières années, la destination des grandes compagnies minières qui ont arraché à tour de bras des permis sur l’or et autres métaux précieux et rares. Sa production d’or a augmenté à la faveur de la mise en valeur des projets d’envergure et devra croître davantage avec les débuts de production annoncés pour les prochaines années » ajoutant que le Burkina a rejoint le peloton de tête des pays producteurs d’or. Cette fois les intérêts en jeu sont d’un tout autre ordre de grandeur, que le devenir de tel ou tel ancien dignitaire du régime.

Ces annonces ont quelque peu surpris. On en apprend un peu plus sur le lieutenant-colonel Zida et les doutes demeurent sur ses intentions. Selon Jeune Afrique « Plusieurs sources affirment qu’il aurait été l’officier de liaison envoyé par Compaoré auprès de Guillaume Soro et des rebelles ivoiriens, en 2002 et les années suivantes. L’entourage de Soro nie, celui de Compaoré un peu moins, tandis que celui de Laurent Gbagbo confirme ». Et plus loin « C’est d’ailleurs à l’issue de la crise ivoirienne (et au lendemain des mutineries de 2011 dans les casernes burkinabè) que Zida a été promu au grade de lieutenant-colonel et est monté dans la hiérarchie du RSP. Il a ensuite enchaîné les missions spéciales. » Les premiers articles sur son passé faisaient plutôt état de difficultés avec la hiérarchie du RSP. Comme tout militaire burkinabè, il est probablement fasciné par Thomas Sankara, mais ça n’en fait pas un révolutionnaire. Ses premières déclarations comme premier ministre vont dans le sens de ce que réclamaient les insurgés. Mais du temps est encore nécessaire pour y voir clair.

Transition sous surveillance

On a vu l’ambassadeur de France tenter de s’immiscer dans les tractations lors de l’insurrection. Si aujourd’hui rien ne filtre sur les tentatives de la France et des USA, qui ont des bases militaires dans ce pays, pour défendre leurs intérêts dans ce pays géographiquement stratégique, leurs hommes sont à l’œuvre. Si les dirigeants continuent à affirmer leur volonté de changement, la partie promet d’être serrée.

Bruno Jaffré

1. La domiciliation artificielle au Canada des multinationales de l’industrie minière fournit d’importants avantages à celles-ci (voir Paradis sous terre Ecosociétés/Rue de l’Echiquier 2012, d’A. Deneault et W. Sacher).