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Francis Kpatindé : « Compaoré a été le pompier pyromane de la région »

D 8 novembre 2014     H 12:40     A Christophe Champin, Francis Kpatindé     C 0 messages


Journaliste spécialiste de l’Afrique, Francis Kpatindé a suivi tous les soubresauts du continent africain de ces 30 dernières années. Il revient sur le rôle ambigu de Blaise Compaoré dans les conflits qui ont secoué la région. Il rappelle que le président burkinabè déchu a souvent été appelé comme médiateur dans des crises qu’il a parfois lui-même contribué à provoquer…Il répond aux questions de Christophe Champin.

RFI : Quel regard portez-vous sur Blaise Compaoré ? Médiateur ou pyromane ?

Francis Kpatindé : Blaise Compaoré apparaît comme étant l’allié de l’Occident, le médiateur dans des crises sociopolitiques en Afrique : en Guinée, au Mali, en Côte d’Ivoire, même au Togo où il était venu soi-disant ramener la paix ; ça c’est l’image que certains veulent donner de ce personnage.Mais on oublie un peu trop vite que Blaise Compaoré a aussi un côté un peu pyromane. Un exemple : Charles Taylor, qui a été chef de guerre puis président du Liberia, avait sa maison à Ouagadougou et jusqu’à une date récente, il avait son numéro téléphone dans l’annuaire. Or, Blaise Compaoré s’est servi des hommes de Taylor pour mater la rébellion dans son propre pays et il a entraîné les troupes de Taylor pour aller à la conquête du pouvoir au Liberia. Par ailleurs, il y a un pays où son intervention est symptomatique de l’aspect pyromane du personnage, c’est la Sierra Leone. Vous vous souvenez qu’il y avait le Front révolutionnaire uni (RUF), les gens qui coupaient les bras des enfants, ils avaient pignon sur rue, ils avaient leur quartier général à Ouagadougou.

En 2000, un rapport des Nations unies avait même évoqué la présence de combattants burkinabè dans les rangs du RUF…

Absolument. Les gens du RUF ont été entraînés à Pô, là où l’armée, les parachutistes s’entraînent. Le rapport des Nations unies dont vous parlez a été établi et écrit par des chercheurs et a fait beaucoup de bruit depuis sa publication. On peut s’étonner, d’ailleurs, dans ces conditions que, lorsque Charles Taylor a été jugé par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone à La Haye, Blaise Compaoré n’ait pas été appelé, même comme témoin.

On a aussi parlé, dans un autre rapport des Nations unies de la même année, de liens entre Blaise Compaoré et les rebelles de l’Unita, le mouvement anti-communiste de Jonas Savimbi, en Angola.

Absolument. Blaise Compaoré est comme le Kub Maggi en Afrique…Il était dans toutes les sauces. Il était en Angola aux côtés de Jonas Savimbi, car il y avait des diamants en jeu ; en Sierra Leone, il y avait de l’or et également des diamants, les fameux « diamants du sang ». Blaise Compaoré, on le dit souvent - et c’est dommage que les capitales occidentales ne l’aient pas assez souvent rappelé - a été impliqué dans toutes les opérations de déstabilisation en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Il est même intervenu en RDC.

De quelle manière ?

Il soutenait des opposants, il les amenait chez lui, il les formait et après il les renvoyait sur le terrain. Il a été impliqué dans leur formation. Et ce n’étaient pas des opposants « classiques ». Il avait le droit d’accueillir des opposants « classiques » chez lui, des opposants républicains, mais pas des gens qui menaient des opérations de déstabilisation. Le Front révolutionnaire uni de Sierra Leone avait son quartier général à Ouagadougou. Et il en a été de même pour les rebelles de Côte d’Ivoire.

L’autre gros dossier concernant Blaise Compaoré et la région, c’est évidemment la Côte d’Ivoire. Dès le début de la tentative de coup d’État de 2002, l’ancien président Laurent Gbagbo avait pointé du doigt le Burkina Faso. Blaise Compaoré qui finalement a été médiateur dans la crise. Quel rôle a-t-il joué ?

C’est un secret de polichinelle que les combattants du MPCI [Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire, ndlr], principal mouvement rebelle ivoirien rebaptisé par la suite Forces nouvelles, ont été entraînés et équipés par le Burkina Faso. Vous croyez que cela sort de la stratosphère les armes, les téléphones satellites, les équipements militaires, les treillis dont ils disposaient. D’ailleurs, ce n’est pas un secret que les premières villes à être tombées, c’étaient Korhogo, Bouaké, toutes les villes qui étaient le plus au nord de la Côte d’Ivoire. La plupart des dirigeants des Forces nouvelles se sont, par la suite, installés avec pignon sur rue à Ouagadougou, ce n’est un secret pour personne. Plus tard, Blaise Compaoré a participé à ce qu’on a appelé la solution interne. Laurent Gbagbo a fait le premier pas dans sa direction pour pouvoir l’associer. Il s’est dit qu’il fallait que le pyromane l’aide à éteindre le feu. Donc Gbagbo s’est rapproché de lui pour trouver une solution interne. Il y a eu ce rapprochement entre Guillaume Soro et Gbagbo, et ils ont essayé de gouverner tant bien que mal grâce à l’action de Blaise Compaoré. Il a donc peut-être contribué à résoudre des problèmes internes à la Côte d’Ivoire, mais après avoir déstabilisé ce pays.

Dernier dossier polémique sur le rôle de Blaise Compaoré : le nord du Mali. Compaoré a d’abord été l’un des médiateurs, jouant un rôle important. Puis son action a suscité la controverse. Selon vous, quel a été le rôle réel de Blaise Compaoré dans cette crise ?

Il a joué d’abord un rôle capital dans la récupération des otages occidentaux et c’est pourquoi on lui passe tout. Mais il est évident que la plupart des rebelles touaregs, surtout le MNLA [Mouvement national de libération de l’Azawad, ndlr], étaient à Ouagadougou également. De tout temps et de longue date, la plupart des rebelles touaregs, nigériens comme maliens, étaient installés à Ouagadougou. Il les accueillait, il les conseillait et après il les renvoyait sur le terrain. Son implication dans la crise au Mali est tellement vraie que quand le nouveau président Ibrahim Boubacar Keïta a été élu, il a demandé que Blaise Compaoré ne soit plus l’unique médiateur dans la crise. Blaise Compaoré, ce qu’on a oublié de rappeler, n’était pas le médiateur de la Cédéao [Communauté économique des Etats l’Afrique de l’Ouest, ndlr], c’était un médiateur autoproclamé. Il a forcé la main pour être l’unique interface entre les groupes rebelles et les pouvoirs. Vous avez le Maroc qui est intervenu, l’Algérie également, qui a négocié récemment avec la rébellion malienne. Vous voyez, c’est l’histoire du petit de la classe qui veut se donner des airs de grand. Son pays n’est pas le plus riche de la région, mais il a voulu en faire une place incontournable. Pour cela, il captait les rébellions, cela lui permettait, après, de se mettre en valeur et de s’imposer comme négociateur. Donc, il allumait, en quelque sorte, des feux et il demandait à venir pour les éteindre. On se demande aussi si tout cela était gratuit…

Vous pensez qu’il a tiré un profit personnel de ces crises ?

Il y avait un intérêt politique évident pour montrer que sans lui rien ne pouvait se décider ni se régler en Afrique de l’Ouest. Il y avait aussi un intérêt géostratégique, passer son pays sous les spots et en faire un interlocuteur incontournable pour les pays occidentaux, les Américains et les Français. Et le dernier intérêt est purement financier. Quand vous avez un pays qui est désertique, où il n’y a rien, il faut trouver l’argent où il est. Donc il est permis de penser qu’il y avait des intérêts pécuniaires, dans les matières premières, les diamants, le café-cacao, l’or. Vous savez que la famille de Blaise Compaoré était impliquée dans les ports de l’Afrique de l’Ouest, beaucoup dans les minerais. C’est tout cela qui ressort aujourd’hui en surface. Beaucoup ont feint, pendant des années, d’ignorer cet aspect du personnage, mais c’est un président businessman, un président pyromane, et cela tout le monde le savait, y compris à Paris et à Washington.

Blaise Compaoré était effectivement un interlocuteur privilégié de la France...

Depuis la disparition de Houphouët-Boigny en 1993, la France, qui n’avait plus un interlocuteur privilégié, a décidé de faire de Blaise Compaoré cet allié-là. C’est le successeur, si l’on veut forcer un peu le trait, de Houphouët-Boigny en Afrique de l’Ouest. Cet interlocuteur était là, quand il y a eu l’assassinat de Thomas Sankara, et on lui a passé cela. Il y a eu l’assassinat de ses collègues militaires, et on lui a passé cela. Il y a eu un journaliste qui a été assassiné, Norbert Zongo, et on lui a passé cela. On lui passait tout, parce qu’on avait besoin d’un allié là-bas pour défendre, en cas de besoin, les intérêts français. Je vous fais remarquer qu’aujourd’hui les forces spéciales françaises sont installées au Burkina Faso, mais également les forces spéciales américaines. Les deux pays font bloc et se trouvent à Ouagadougou. Ils ont leur mot à dire dans la transition et sur ce qui se passe actuellement.

Donc les États-Unis, eux aussi, se sont appuyés sur Blaise Compaoré ?

Oui. Cela fait plusieurs années que le Washington Post a révélé que le Burkina serait une place forte pour les équipements américains, drones, appareils d’écoute. C’est un secret de polichinelle qu’à partir de Ouagadougou les Américains écoutent la sous-région. Le Washington Post a, plusieurs fois, fait des révélations là-dessus. Les Américains s’entendaient très bien avec Blaise Compaoré, non parce qu’ils l’aimaient, mais parce qu’ils pensaient que le régime était stable, qu’il faisait preuve d’autorité et qu’il avait une bonne connaissance de la région au-delà de l’Afrique centrale.

Par Christophe Champin

Source : http://www.rfi.fr/afrique/20141031-burkina-faso-compaore-cote-ivoire-liberia-sierra-leone-angola-trafic-rebelles/ ?ns_campaign=reseaux_sociaux&ns_source=FB&ns_mchannel=social&ns_linkname=editorial&aef_campaign_ref=partage_aef&aef_campaign_date=2014-11-01