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Le syndicalisme étudiant dans l’histoire moderne de la Haute Volta et du du Burkina

D 15 août 2016     H 05:29     A     C 0 messages


Genèse du syndicalisme étudiant en Haute-Volta

Les étudiants de la Haute-Volta des années 1950 jusqu’en 1970 étaient beaucoup politisés. Ils en ont payé le prix à travers les expulsions et par les multiples changements de siège de l’UGEV d’un pays à un autre.

Dans les années 1950 apparait la première association des étudiants voltaïques, l’Association des étudiants voltaïques en France (AEVF). Elle est créée entre deux congrès de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF). Son premier président a été Joseph Ki-Zerbo, figure emblématique uelques années plus tard de la politique voltaïque et homme de science de renommée internationale. L’AEVF est considérée à l’époque comme une section territoriale de la FEANF. Son modèle d’organisation va servir d’exemple à la création de l’Union générale des étudiants voltaïques (UGEV) en 1960.

La politisation des étudiants voltaïques se fera sur le campus universitaire de Dakar (Sénégal) à travers l’Association des scolaires voltaïques (ASV) plus qu’à Paris en France. L’ASV a été créée en 1956. C’est à partir de Dakar également que le Mouvement de libération nationale (MLN) de Joseph Ki-Zerbo a été lancé. Il avait pour consigne le vote du NON au référendum de 1958 contre la Communauté franco-africaine. Dakar est une pépinière politique pour l’élite de la Haute-Volta. Le noyau qui a créé le Parti Africain de l’Indépendance (PAI) vient également de l’Université de Dakar. Les figures connues de ce parti sont : Amirou Thiombiano, Adama Touré Lénine, Zoungrana Ali Pascal (ZAP)… Parallèlement aux activités politiques, ils se retrouvaient à l’Union générale des étudiants de l’Afrique de l’ouest (UGEAO). Les activités de l’Union sont à peine tolérées par le gouvernement de Senghor. Elles sont frappées d’interdiction par les autorités sénégalaises en 1964. En 1960, l’Union générale des étudiants voltaïques (UGEV) voit le jour. Le journal Jeune Volta qui était l’organe d’information de l’AEVF, paru en 1958, devient le journal de l’UGEV. La nouvelle union estudiantine n’hésite pas à prendre politiquement position. Elle s’insurge, dès sa naissance, contre la position monopartisane du régime de Maurice Yaméogo. Le siège de l’UGEV qui était à Paris sera transféré à Dakar en 1965. Il va y resté jusqu’en 1968.

Parmi les fondateurs de la structure étudiante, certains deviendront ministres en Haute-Volta. Il s’agit entre autres de Raphael Medah et de Charles Tamini, dans le gouvernement de Maurice Yaméogo.

La direction de l’UGEV est tenue dès sa naissance par les forces de gauche contraintes à la clandestinité. En 1964, le 2ème congrès de l’UGEV est interdit ainsi que la parution du Jeune Volta. En 1965, l’UGEV enregistre les nouvelles sections qui sont : l’Association des étudiants voltaïques en Côte d’Ivoire, l’Association des étudiants voltaïques de Ouagadougou avec la création du Centre d’étude supérieur (CESUP), l’ancêtre de l’Université de Ouagadougou.

Pendant plusieurs années, l’UGEV est encore à l’extérieur de la Haute-Volta, mais donne de la voix sur les déroulés des événements au pays. La trame du débat en 1966 va se focaliser sur le soulèvement populaire qui a évincé de la présidence de la République Maurice Yaméogo. La vision de l’union estudiantine est intitulée « La Révolution du nouvel an ». Elle s’aligne à la thèse du MLN qui a fait le choix de participer au gouvernement mis en place par les militaires. Les années qui suivent, l’AEVF qui est influencée par le PAI va assener des critiques acerbes contre le budget d’austérité instauré par les militaires. La section française est très acerbe contre la « Garangose », du nom de l’inspirateur Tiémoko Marc Garango alors Ministre du Commerce et des Finances. A la suite de la crise de mai-juin 1968 qui a provoqué l’expulsion des étudiants voltaïques à Dakar, le siège de l’UGEV est transféré de nouveau à Paris. Elle y restera pendant deux décennies. Cette situation a permis aux étudiants de se mettre en contact avec des nouvelles idéologies qui se développent dans le monde pendant la période de 1960 à 1970. Les militants étudiants sont à l’abri de toute velléité de répression de la part du pouvoir en Haute-Volta. Ils entretiennent également un élan de solidarité entre étudiants par des soutiens mutuels tant sur le plan matériel que relationnel. Mais cela n’a pas tué les clivages qui existent au sein du mouvement. L’enjeu du contrôle de la direction du mouvement par les partis clandestins était énorme d’où les clashs.

L’influence de l’UGEV à l’avènement de la Révolution d’Août 1983

Les débats entretenus par les étudiants dans les années 1970 dans leur mouvement ont préparé le changement intervenu en Haute Volta le 4 Août 1983. Les anciens clivages vont également dessiner une ligne de front dans l’appréciation et la participation au processus révolutionnaire conduit par le capitaine Thomas Sankara.

A l’avènement de la Révolution en 1983 en Haute-Volta, le premier constat que l’on fait, c’est le changement de ton dans le discours et l’introduction d’un nouveau vocabulaire dans l’adresse aux masses. Les figures jeunes qui tiennent les rênes du pays étaient dorénavant connus sur les campus universitaires en France et pour certains sur les campus des pays africains. Mais bien avant la Révolution, sous le Conseil du salut du peuple (CSP)1, des visages qui avaient animé le mouvement étudiant avaient déjà fait une brève apparition. Sous le CSP1, le regretté Issa Tiendrébeogo qui avait été expulsé de l’Université de Dakar dans les années 1960, militant pendant cette période du MLN, avait été nommé Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la recherche scientifique. Eugène Dondassé, militant ULC, occupait le poste de ministre du Plan. Le PAI dont on soupçonnait des accointances avec Thomas Sankara avait deux de ses représentants dans le gouvernement. Il s’agit d’Ibrahima Koné au Sport et Loisir et Emmanuel Dadjiouri à l’Education Nationale.

Après l’éviction du Jean Baptiste Ouédraogo du pouvoir, le Parti Africain de l’Indépendance (PAI) qui a joué un grand rôle dans le mouvement étudiant est partie prenante dans la Révolution avec ses grandes figures que sont feu Adama Touré Lénine qui occupe le maroquin de l’Information, Philippe Ouédraogo s’approprie le strapontin de l’Equipement… L’ULC, issue du fractionnement de l’ex l’Organisation des communistes voltaïques (OCV) dont les militants se recrutaient dans le M21 et que d’aucuns appellent le Nouveau courant opportuniste liquidateur (NCOL) sont également dans le gouvernement. Basile Guissou est ministre des Affaires Etrangères, Eugène Dondassé est de nouveau appelé dans le gouvernement et Valère Dieudonné Somé plus tard sera nommé ministre de l’Enseignement Supérieur. Au sein des deux partis politiques, des ex animateurs du mouvement étudiant occupent de postes de direction. Kader Cissé est le patron du Conseil Révolutionnaire Economique et Social (CRES), Moïse Nignan Traoré est nommé premier responsable de l’Union révolutionnaire de banques (UREBA).

Soumane Touré, une des figures emblématiques du syndicalisme voltaïque, secrétaire général de la Confédération syndicale voltaïque (CSV) et membre de la LIPAD-PAI, n’occupe pas un poste politique, mais il est influent dans le régime. Il est même membre du CNR. Valère Somé dit avoir été influencé dans sa jeunesse par le même Touré Soumane pour l’avoir fait lire son premier livre sur le Marxisme écrit par un Sénégalais.

Malheureusement pour ses dirigeants de la Révolution démocratique et populaire (RDP), les querelles des chapelles qui avaient cours dans le mouvement étudiant n’ont pas pu être stoppées. Les divergences ont apparu dès la prise du pouvoir. La composition du premier gouvernement du CNR a tardé par le fait que chaque partie avait cru avoir joué le rôle crucial à l’avènement de la Révolution. Ce triomphalisme va entretenir un clash permanent entre les organisations membres du CNR, notamment l’ULC et le PAI. Le PAI est congédié dès le premier anniversaire de la Révolution en 1984.

D’autres organisations comme l’UCB et le GCB ont contribué à l’exacerbation de la crise dès qu’ils ont été admis dans les instances de la Révolution. L’élite dirigeante actuelle, à quelques exceptions près, qui dirige le Burkina Faso depuis 1983, a été aussi à l’avant-poste des luttes estudiantines des années 1970.

Mouvement étudiant voltaïque Le NCOL et le MONAPOL dans la lutte politique et syndicale

Juin est une date importante dans la marche du mouvement étudiant. C’est le 21 juin 1978 qu’une pétition a été lancée par une dissidence au sein de l’Union générale des étudiants voltaïques (UGEV) pour décrier à tort ou à raison le sectarisme de la direction de l’UGEV. C’est ainsi que naquit le Mouvement du 21 Juin, appelé communément M21. Nous prétextons du mois de juin pour revenir sur l’Histoire du syndicalisme étudiant voltaïque.

Le Mouvement de libération national (MLN) a influencé le mouvement étudiant dans les années 1960 par la présence de ses militants à la direction de l’Union générale des étudiants voltaïques (UGEV). Ce parti sera éjecté de la direction au début des années 70.

C’est le PAI qui a le vent en poupe. Mais la mainmise du Parti Africain de l’Indépendance (PAI) sur l’UGEV sera de courte durée. A partir du congrès de 1975, une bonne frange des étudiants se démarque des thèses prosoviétiques du parti créé par Amirou Thiombiano. Ceux qui ont tourné dos au PAI professent l’idéologie maoïste qui n’a d’yeux que pour la Révolution nationale démocratique et populaire (RNDP).

Au congrès de 1977, les étudiants de la Ligue patriotique pour le développement (LIPAD-PAI) sont soumis à une critique acerbe. Ils sont traités de Nouveau courant réformiste (NCR) pour les distinguer des étudiants MLN, connus sous le sobriquet d’« anciens réformistes impénitents ». Ces débats houleux se déroulent d’abord en France à la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) où les étudiants voltaïques y sont en grand nombre. Au cours de la même année de 1977, l’hégémonie du marxisme_léninisme à la FEANF et à l’Association des étudiants voltaïques de France (AEVF) se traduit par l’apparition au plan politique de l’Organisation communiste voltaïque (OCV), même si elle n’a pas longue vie. L’OCV fait long feu parce qu’il y a entre ses dirigeants. Un courant cautionne le communisme albanais d’Enver Hodja et un autre courant récuse le modèle albanais. Le chef de file du premier courant est Drissa Touré, actuellement professeur de Philosophie à la retraite à Bobo-Dioulasso. Ses adversaires de l’autre courant sont Valère Dieudonné Somé, présentement chercheur à l’Institut des sciences et des sociétés (INSS) et Basile Guissou qui a présidé à la destinée du CNRST avant d’être admis à la retraite. Les pro-albanais vont créer en 1978 le Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV). Leurs adversaires fondent l’Union des luttes communistes (ULC). L’affrontement politique des deux courants occasionne une scission au sein de l’UGEV. A la suite ’une pétition en date du 21 juin 1979, les frondeurs dénoncent le sectarisme de la direction de l’UGEV de la période et réclament la tenue d’un congrès extraordinaire. Ceux qui veulent la convocation du congrès sont implantés dans la sous- section AEVF de Paris où ils contrôlent la direction, mais dans les autres sections, ils sont minoritaires. Ils sont également majoritaires à Dakar et en URSS. Le 9ème Congrès tenu en août 1979 confirme la scission et les deux courants s’étripent. Les pro-albanais sont appelés Mouvement national populiste liquidateur (MONAPOL) et le courant adverse de Nouveau courant opportuniste liquidateur (NCOL). A la même période, le mouvement étudiant à Ouagadougou connaît une tentative de dissidence.

Une Assemblée générale des étudiants de Ouagadougou (AGEO), à l’initiative des étudiants PAI, tente une dissidence mais ce mouvement est de moindre envergure que celui conduit par le M21.

Les conséquences des clivages étudiants dans la vie politique

Ces débats étudiants ont eu une conséquence énorme dans la vie politique et syndicale en Haute-Volta.

Pour s’en rendre compte, c’est au sein de la dissidence UGEV-M21 que les idéologues de la Révolution d’Août 1983 sont sortis. On peut citer entre autres Valère Dieudonné Somé et Basile Guissou. Le courant majoritaire proche de l’Albanie va contribuer au renouvellement du mouvement syndical à partir de 1980. Un clivage va naitre entre les militants du mouvement étudiant qui ont accepté s’allier avec les militaires dans le cadre d’un projet révolutionnaire de conquête du pouvoir d’Etat ( le PAI et l’ULC) et ceux qui ont rejeté cette alliance, notamment le PCRV. Il existe deux itinéraires du syndicalisme étudiants en Afrique et la Haute-Volta en est un cas d’école. Le premier conduit à l’exercice du pouvoir d’Etat avec l’expérience de la Révolution Démocratique et populaire (RDP) à partir du 4 Août 1983. Le second s’est taillé la place de contre-pouvoir dans le mouvement syndical où certains des dirigeants ont été les anciens animateurs du mouvement étudiant.

Les deux visions dans le mouvement étudiant se sont affrontées pendant la Révolution. Jusqu’à présent, ceux qui se reconnaissent dans la thèse RNDPiste considèrent le 4 Août 1983 comme un coup d’Etat au lieu d’une Révolution dans le sens classique. Le camp adverse ne manque pas de réfuter cette allégation avec des arguments aussi solides.

Les Etats d’exceptions et les revendications étudiantes

De 1978 à 1981, le mouvement étudiant a connu une activité intense par sa mobilisation pour les différentes revendications. Après cette période, elle a marqué une pause, cela au regard des situations de coups d’Etat que la Haute-Volta a connus. La pause peut également être expliquée par la nature répressive des régimes militaires poussés par l’autoritarisme contrairement aux régimes dirigés par les politiques civils. A cette justification s’ajoute une cause interne.

La mobilisation de 1978 à 1981 de l’AEVO a permis au PCRV d’avoir une hégémonie sur le mouvement étudiant. L’ULC minée par des querelles internes s’auto dissout au début de 1981. La situation de conjoncture politique s’installe. La direction de l’UGEV voit se développer une situation qui l’échappe. Le capitaine Thomas Sankara devient de plus en plus populaire dans le milieu scolaire et étudiant. Un des éléments déterminants de cette popularité a été sa démission en direct à la Télévision nationale le 12 avril 1982 du gouvernement du Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN).

Il est nommé par le régime qui a fait tomber le CMRPN, le Conseil du salut du peuple (CSP) Premier ministre, mais la cohabitation avec certains officiers sera de courte durée. Le 17 mai 1983, il est arrêté et interné à Ouahigouya et la Haute-Volta est en ébullition. Les 20 et 21 mai 1983, les artères de Ouagadougou sont assaillis par les manifestants au premier rang duquel il y a les scolaires et les étudiants pour demander la libération du capitaine Thomas Sankara. A cette occasion, des tracts pro-Sankara commencent à circuler sur le campus universitaire de Ouagadougou.

Malgré tout, la direction de l’UGEV refuse de s’associer à la mobilisation pour la libération de Sankara. A la faveur de l’avènement du Conseil national de la Révolution (CNR), l’Union des luttes communistes (ULC) réapparait sous le nom de l’Union des luttes communistes reconstruites (ULCR) à travers un groupe dont le noyau est constitué de l’UGEV-M21. Les Comités de défense de la Révolution (CDR) sont créés à l’Université. Les CDR tentent de prendre L’Association voltaïque des étudiants de Ouagadougou (l’AVEO) et de chasser la direction. Le projet des CDR de prendre la tête de l’AVEO qui deviendra plus tard l’Association nationale des étudiants burkinabè (ANEB) n’a pas prospéré. La situation est devenue plus difficile lorsque le Front syndical se crée en 1985.

L’ANEB est dans la semi-clandestinité et le siège de l’UGEV est transféré momentanément à Paris. Pendant la période révolutionnaire, la lutte pour le contrôle de l’Université ne se passe pas seulement entre les CDR et l’ANEB. A partir de 1984, une nouvelle organisation qui soutient la Révolution fait son apparition. Il s’agit de l’Union communiste burkinabè (UCB). Elle entre en lutte contre l’ULCR pour le contrôle de la direction des CDR à l’Université. Un conflit ouvert oppose l’UCB à l’ULCR. Le 1er septembre 1986, le Secrétariat général national des CDR suspend la direction des CDR de l’Université alors dominée par l’ULCR. La dernière tentative de la lutte sans merci entre les CDR de l’Université, c’est la manifestation des étudiants sankaristes le 17 mai 1988 après l’assassinat de Thomas Sankara.

Elle a été impitoyablement réprimée. Dans ouvrage intitulé « Syndicalisme étudiant Burkinabè », les auteurs Pascal Bianchini et Gabin Korbéogo, font une analyse du passage des CDR à l’Université et l’héritage qu’ils laissent à la postérité : « Au total, le bilan de l’activisme des CDR à l’Université demeure contrasté. Il y a d’abord le souvenir négatif des dérapages répressifs qui n’ont pas manqué. Plus qu’ailleurs, la présence des éléments armés dans l’espace universitaire a été contestée et décriée comme une remise en cause flagrante des franchises universitaires et du droit à la différence d’opinion. La contestation de cette délégation « illégale » du monopole d’usage de la violence physique aux étudiants CDR a constitué le ressort de la légitimité de l’ANEB durant l’épreuve de force. Cependant, malgré son aspect autoritaire, voire militaire, la socialisation politique réalisée à travers les CDR a pu, surtout pour la nouvelle génération des années 80, contribué à la perpétuation d’une tradition militante « radicale » ».

Merneptah Noufou Zougmoré

Source : http://thomassankara.net