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Mal gouvernance au Burkina : impunité, concussion, injustice et réseaux

D 18 août 2012     H 05:40     A Boureima OUEDRAOGO     C 1 messages


Il y a un an, le bateau Burkina tanguait encore en eaux troubles. Bobo Dioulasso était le théâtre de la dernière et la plus sauvage des mutineries que le pays a vécues en cette année 2011. La furie des eaux a tout de même conduit le bateau en zones inconnues. Le calme est, certes, revenu quoique cette accalmie ne soit pas synonyme d’un retour définitif de la paix sociale. Elle peut être mise à l’actif du gouvernement Luc Adolphe Tiao mais aussi à celui de l’ensemble des forces vives de la nation (tant au niveau national que dans les régions). Tout le monde semble avoir consenti à accorder une période de grâce à l’équipe gouvernementale. Mais celui-ci montre déjà des signes d’essoufflement et d’incapacité à apporter des réponses durables aux préoccupations sociales et politiques qui portent principalement sur le renchérissement du coût de la vie, les injustices, l’impunité, le déficit de démocratie, bref la mal gouvernance avec son cortège de pratiques corruptrices et de patrimonialisation de l’Etat. Globalement, sur la résolution des problèmes de gouvernance, le gouvernement Luc Adolphe Tiao a brillé par une impuissance, voire une incapacité à innover et à rompre avec la routine propre au pouvoir Compaoré depuis un quart de siècle.

Un an après cette période chaude, le Burkina Faso est encore dans l’incertitude. Les fausses assurances du gouvernement sont en total décalage avec la lourde et étouffante atmosphère qui s’est emparée de la vie publique nationale. Le moins que l’on puisse dire est que, passées les périodes troubles, le gouvernement se contente de gérer le quotidien avec les mêmes incohérences, le double langage, les actions d’éclats sans impact durable sur la gestion des affaires publiques. C’est la routine. Cette routine se ressent dans les comptes rendus des séances du Conseil des ministres qui deviennent de plus en plus fades. Sur le plan politique, malgré les quelques agitations pré-électorales, l’ambiance est presque morose. C’est le calme plat qui n’augure généralement rien de bon dans ce pays. Tout porte à croire qu’il y a de l’électricité dans l’air. Il suffit d’une petite étincelle pour que tout explose. Le monde change, l’Afrique et le Burkina aussi. Ce mouvement implique une nouvelle façon de penser et de gérer les affaires publiques, une éthique du bien commun qui ne s’accommode plus des intérêts de clans, des injustices, des hommes providentiels ou qui se croient tels. Seuls les gouvernants burkinabè refusent de changer. Peut-être qu’ils ne le peuvent pas. L’on ne peut donc pas compter sur le gouvernement pour anticiper que l’explosion (que tous ceux qui ont encore un peu de lucidité craignent) ne se produise. Il ne sait pas le faire. Il repose son action sur des fausses assurances jusqu’à ce que le pire se produise. Il fait ce qu’il peut, dirait-on. Mais il peut très peu, notamment dans la lutte contre la mal gouvernance qui constitue l’un des éléments de la bombe sociale qui menacent d’exploser à la moindre secousse.

L’on se surprend parfois de constater que malgré cette situation, le pouvoir persiste dans les pratiques d’une justice à deux vitesses avec, d’une part, « les petits » sur qui s’applique toute la rigueur de la loi et « les grands » pour qui l’impunité est assurée. Ainsi, les protégés du système continuent de s’enrichir en spoliant le fisc et en contournant les lois grâce aux interventions des barons. Les concussions et les conflits d’intérêts sont légions et rien n’est fait pour rectifier le tir. Bien au contraire, ces pratiques semblent reconnues et acceptées par le gouvernement, en ce sens que certains de ses membres contribuent à les entretenir. Les quelques cas ci-dessous, sans être exhaustifs des pratiques de mal gouvernance et de ruse avec la loi, illustrent éloquemment, que malgré toute la bonne foi et la bonne volonté du monde, l’on ne peut plus honnêtement espérer grand-chose de ce pouvoir qui a créé ses propres monstres qui risquent de le bouffer et, plus grave, le pays avec.

Une justice à deux vitesses dans la gestion des problèmes de l’armée

En décidant de prendre en main le ministère de la Défense, le président du Faso semble indiquer, indirectement, que les questions militaires relèvent exclusivement de sa compétence et ne sauraient être gérées par le gouvernement civil dirigé par Luc Adolphe Tiao. Bien sûr, les discours reviennent à ce dernier, mais l’action reste du ressort du ministre-Président. Et il la conduit avec seulement le nouveau commandement qu’il a mis en place : un chef d’Etat-major général des armées marqué à la culotte par son chef d’Etat-major particulier et homme de main depuis plus de 25 ans. Après les mutineries et la valse de presque toute la hiérarchie des forces nationales accusée de faire leurs affaires avec les ressources de l’armée, le nouveau commandement répond directement du président du Faso. Le Président-ministre de la Défense n’est malheureusement pas allé au bout de sa logique. Un an s’est écoulé et aucun des officiers que les soldats accusaient de mauvaise gestion de l’armée et de ses ressources n’a été sanctionné. L’on s’est contenté de nommer de nouvelles têtes, pas forcément plus intègres que ceux que les jeunes soldats accusaient de corruption et d’affairisme. Certains d’entre eux, à commencer par le chef d’Etat-major général des forces armées, traînent des casseroles de leur gestion antérieure d’autres structures. Le scandale de la gestion de la Fédération burkinabè de football (FBF) sous sa direction est encore frais dans la mémoire collective.

L’on a aussi fait dans la justice des vainqueurs. Des soldats mutins, près de 600, ont été radiés des effectifs de l’armée. Ce qui est salutaire, si véritablement tous ont participé à ces mutineries sauvages qui ont endeuillé des familles, terrorisé les populations et plongé le pays dans le chaos.

Pour autant, les soldats ne doivent pas être les seuls à payer. Si des officiers sont coupables de pratiques mafieuses qui ont conduit la troupe à se révolter, ils doivent répondre de leurs actes. Car, ils seraient autant responsables des traumatismes qui ont été infligés aux populations civiles que les mutins. Là-dessus, le Président-ministre de la Défense s’est montré peu soucieux de la justice qui devrait s’appliquer à tous sans distinction de leurs grades. Il a choisi le bâton pour les subalternes mutins et la carotte pour la hiérarchie affairiste et corrompue. Pire, jusqu’à présent, les centaines de soldats mis aux arrêts et l’opinion publique nationale attendent leurs procès. A quand le jugement de ces soldats embastillés depuis bientôt un an ? En tous les cas, il faudra y arriver un jour et le plus tôt serait le mieux. L’opinion publique a le droit de savoir qu’est-ce qui a bien pu se passer dans la tête des fils de ce pays pour qu’ils utilisent les armes du peuple contre lui.

Quand le ministre des Finances donne sa caution à ceux qui volent l’Etat

A l’image du Président-ministre de la Défense, le gouvernement Luc Adolphe Tiao a aussi fait le choix de souffler le chaud et le froid. L’un des gros problèmes de gouvernance au Burkina Faso est la complaisance inexpliquée et inexplicable si ce n’est la complicité des gouvernants sur certaines pratiques frauduleuses qui font perdre d’énormes ressources à l’Etat. Le même gouvernement qui crie à la rareté des ressources se livre à des générosités suspectes. Par exemple, des sociétés collectent la TVA et les IUTS chez leurs clients et leurs salariés et ne reversent pas aux impôts. Quand les faits sont dénoncés aux impôts et que des agents enquêteurs investiguent sur ces fraudes fiscales et tentent d’appliquer les textes à travers des procédures de recouvrement forcé, ces sociétés demandent et obtiennent du ministre de l’Economie et des Finances des réductions qui vous donnent du tournis. C’est le cas de cette société (dont nous taisons le nom pour l’instant) qui a été épinglée pour près de trois milliards de FCFA de fraudes fiscales. Mais pour on ne sait quelle raison objective, et légalement défendable, elle adresse au ministre de l’Economie et des Finances un recours gracieux et obtient gain de cause. De trois milliards fraudés, cette société a payé moins du dixième (moins de 300 millions) de ce qu’elle doit au Trésor public. Et c’est le ministre de l’Economie et des Finances qui lui fait ce geste incompréhensible. Pourtant, la fraude sur la TVA et les IUTS est passible de poursuites pénales. Non seulement les patrons de société ne sont pas inquiétés mais en plus, ils ont été autorisés à jouir en toute impunité de ces montants fraudés. Le ministre peut-il convaincre les Burkinabè qu’il a fait tout cela gratuitement ? En tout cas, qu’il souffre que les esprits critiques pensent qu’il y ait eu des dessous peu catholiques dans ce geste. Mais le ministre est moins suspect dans cette affaire que les techniciens qui lui ont proposé la réponse à la demande de cette société dont on dit qu’elle est coutumière de ces pratiques frauduleuses depuis de longues années. (Affaire à suivre).

Et ce n’est pas tout ! Toujours au niveau des Impôts, ces pratiques que l’on appelle les « interventions » constituent encore des blocages pour bien des agents qui ne demandent qu’à faire leur boulot. Combien sont-ils ces opérateurs économiques qui sont épinglés par les services des Impôts et qui, par l’appui d’un baron de la république, bénéficient de traitements de faveur qui défient parfois le bon sens ? Ces cas sont nombreux et les pratiques sont si criardes parfois qu’elles provoquent chez certains agents intègres des sentiments de révolte. Mieux, ces pratiques encouragent la corruption dans le milieu. Si l’agent, malgré ses efforts, est finalement sommé de contourner les règles pour arranger un fraudeur parce que son protecteur en haut lieu en a décidé ainsi, il peut être gagné par le découragement ou, au pire des cas, se servir de sa position pour s’enrichir. Il peut se laisser convaincre que dans tous les cas, si lui ne le fait pas, d’autres plus haut placés que lui le feront et le rendront ridicule aux yeux du fraudeur.

Pire, certaines sociétés étrangères obtiennent des marchés publics et ne se plient pas aux règles en la matière. Elles n’ont même pas de représentation au niveau national qui aurait permis de donner du travail à des Burkinabè. C’est du tout-bénéfice qui alimente des économies de pays déjà solides tout en fragilisant celle burkinabè (à lire dans notre prochaine édition une enquête sur un marché public qui sent à plein nez des stratégies de contournements des lois fiscales et douanières).

Le pire dans tout ça, c’est l’Etat qui perd d’énormes ressources. Et ça ne semble pas préoccuper le gouvernement. Ces pratiques ont des conséquences énormes aussi sur le moral de certains agents publics chargés de mobiliser des recettes pour l’Etat.

Pourtant, les mêmes services des Impôts sont parfois durs avec d’autres citoyens ou entreprises qui n’ont pas de gourous protecteurs pour intervenir en cas de manquements.

Et… Chantal Compaoré loua un bâtiment à la Présidence à 24 millions par an !

A côté de ces pratiques, il y a d’autres qui frisent la concussion ou, à tout le moins, des conflits d’intérêts. L’un des domaines où ces conflits sont flagrants, c’est la location des bâtiments de particuliers par l’administration publique. Sur plus de 300 bâtiments et immeubles appartenant à des particuliers (et la liste n’est pas exhaustive), la plupart appartiennent à des fonctionnaires de l’Etat, à des députés, à des officiers, à des directeurs généraux de société d’Etat, à des anciens ministres, etc. Le conflit d’intérêt est encore plus manifeste quand l’épouse du président du Faso, Chantal Compaoré, loue deux bâtiments à la Présidence du Faso et au ministère des Affaires étrangères. Ces deux bâtiments coûtent au Trésor public 36 millions de FCFA par an en raison de 24 millions pour la Présidence du Faso et 12 millions pour le ministère des Affaires étrangères. No comment !

Partout à travers le pays, des fonctionnaires, des anciens ministres et des députés ont des immeubles ou des villas qui abritent des services de l’Etat à des loyers exorbitants. Pendant ce temps, certains de leurs collègues de mêmes rangs (parfois même supérieurs) ayant le même salaire, parfois même plus, ont du mal à se trouver leur propre maison pour se loger avec leur famille. Ce sont généralement les mêmes qui sont des marchands de sommeil car disposant de maisons à usage d’habitation dans les centres urbains qu’ils louent chèrement à ceux que le système ne permet pas d’avoir leurs propres logis. Soit dit en passant, le gouvernement doit règlementer le secteur de l’habitat en fixant des règles que doivent respecter les propriétaires de maisons. Pour le moment, c’est le désordre total.

Bref, après les mesures d’urgence et les chaises musicales des débuts, revoilà les bonnes vieilles pratiques qui voudraient que seuls les gouvernants et leurs protégés jouissent des opportunités de prospérité aussi bien en affaire que dans l’administration publique. En vérité, ces pratiques n’ont jamais cessé. Finalement, il ne sert fondamentalement à rien de changer de Premier ministre et de gouvernement avec un pouvoir vieux d’un quart de siècle et qui ne s’intéresse qu’à la préservation des intérêts de ses réseaux. Là où il faut désespérer de ce système, c’est quand ses hommes forts, tellement insouciants de la conjoncture et des difficultés que connaît l’Etat, contribuent à réduire les opportunités de mobilisation des ressources pour financer le développement. Les « interventions » continuent de permettre à des gens bien placés d’interférer dans le traitement des dossiers par une administration publique, soit pour obtenir des faveurs dans le paiement des droits et taxes correspondants, soit pour permettre à un protégé de bénéficier d’un service auquel il n’a pas droit ou simplement d’en bénéficier sans payer le prix. Et ces pratiques-là, le gouvernement Tiao n’a pas réussi à les réduire. Tout semble indiquer qu’il n’en a pas les moyens ou alors que les intérêts particuliers de certains clans sont au-dessus de sa volonté et de ses pouvoirs. Ce qui voudrait dire que ce gouvernement ne sauvera pas le Burkina de la crise. Sauf bien entendu, si le Grand patron se résout à créer enfin les conditions d’un retour de l’Etat et de son autorité sur l’ensemble des composantes socioprofessionnelles, toute la chaîne de production et de gestion du bien et tous les espaces publics. Le moment est enfin venu pour le Président Compaoré de prendre ses responsabilités. Il doit choisir entre l’intérêt supérieur du Burkina Faso et les intérêts des réseaux et autres clans familiaux qui se sont accaparés l’Etat. Il pourrait ainsi poser les bases d’une nouvelle approche de l’Etat et de ses biens pour son successeur. Mais, il ne lui reste plus beaucoup de temps. 2015, c’est déjà demain. A moins que comme le pensent bien de ses compatriotes, il ne soit pas encore décidé à prendre sa retraite et de jouir de l’amnistie qui est accordée à tous les anciens chefs d’Etat de 1960 à nos jours. De même, il rendra service au Burkina en renonçant à la création du Sénat et en demandant aux députés d’oublier la « retraite 5 étoile » (comme l’a déjà écrit un confrère) qu’ils veulent se donner. Son peuple souffre, vivote au quotidien et ses représentants ne pensent qu’à leur retraite. Est-ce cela le Burkina émergent qu’il a promis ? A défaut d’un pays émergent, il pourrait au moins créer les bases pour un pays de moins d’injustices et d’exclusions sociales.

Par Boureima OUEDRAOGO

Source : http://www.reporterbf.net

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