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Une paix fragile pour le Burkina Faso

D 2 avril 2012     H 05:31     A IRIN     C 0 messages


OUAGADOUGOU - Un an après le début des révoltes populaires [ http://www.irinnews.org/fr/Report/92629/BURKINA-FASO-Qu-est-ce-qui-attend-M-Compaoré ] qui ont duré plusieurs mois, la situation au Burkina Faso s’est stabilisée. Selon les observateurs toutefois, le calme demeure précaire.

Le gouvernement a adopté plusieurs mesures pour tenter d’apaiser ses détracteurs. Il a notamment augmenté les salaires des fonctionnaires, intensifié la lutte contre la corruption et subventionné certaines denrées alimentaires. Les prix élevés continuent toutefois de poser d’énormes problèmes aux personnes démunies. Un jeune sur quatre est au chômage et une grande partie de la population croit que le gouvernement n’est pas en phase avec les priorités des citoyens.

Les protestations ont commencé le 21 février 2011 à la suite du meurtre de Justin Zongo, un étudiant, par un policier à Kondougou, dans le centre-ouest du pays. L’incident a donné lieu à plusieurs mois de manifestations civiles contre la brutalité policière, l’impunité, la corruption du gouvernement et les prix élevés à Ouagadougou et dans d’autres villes.

Pendant la même période (entre les mois de mars et de mai), une série de mutineries au sein de l’armée a menacé de mettre en danger le régime du président Blaise Compaoré, qui dirige le pays depuis 1987. De nombreux soldats demandaient le versement des arriérés de leurs allocations journalières. Le mouvement de protestation s’est cependant arrêté lorsque la garde du président a maté une mutinerie à Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays, en juin 2011. De nombreux civils ont cessé de manifester et se sont dissociés des soldats au même moment.

Depuis lors, les allocations des soldats ont été versées, un nouveau chef d’état-major a été désigné et plusieurs officiers supérieurs ont été remplacés dans le cadre d’une restructuration qui a entraîné, jusqu’à présent, la démobilisation de 600 soldats. On ignore encore si ces changements ont réussi à faire revenir le calme dans les rangs de l’armée. Quelque 300 soldats ont par ailleurs été emprisonnés pour leur rôle présumé dans les protestations et les violences.

« La situation est retournée à la normale, mais ce n’est pas comme avant. Ça ne peut pas être comme avant », a dit Hamidou Idogo, rédacteur en chef du Journal du Jeudi, un hebdomadaire satirique connu pour son indépendance. « La crise ne sera pas terminée tant que Blaise Compaoré sera au pouvoir et qu’il ne déclarera pas qu’il n’a pas l’intention de se présenter en 2015 », a-t-il dit à IRIN.

M. Compaoré est à la tête du pays depuis 1987. Son parti politique tente actuellement de modifier l’article 37 de la Constitution, qui limite à deux le nombre de mandats, pour lui permettre d’être à nouveau candidat à la présidentielle de 2015.

Les protestations se poursuivent, mais à une moindre échelle. Par exemple, une manifestation a été organisée le 7 février dernier dans la ville de Tougan, dans le nord-ouest du pays, pour protester contre le mauvais état des routes. La situation a dégénéré lorsque le domicile de la députée de Tougan, Saran Sère, a été incendié.

Le 10 février 2012, des étudiants de l’Université polytechnique de Bobo-Dioulasso ont protesté contre le piteux état des infrastructures de l’institution, l’augmentation du coût de la vie et la dégradation de la qualité de l’enseignement.

« Il y a toujours un ’chaudron de mécontentement’ qui bouillonne et qui s’accompagne de nombreux conflits sociaux de faible ampleur », a dit un diplomate occidental qui a préféré garder l’anonymat. « Il y a encore beaucoup de gens qui sont malheureux », a-t-il ajouté.

« Climat de méfiance »

Si la plupart des gens pensent que la violence n’est pas une solution, peu de personnes l’ont condamnée avec vigueur, a dit Germain Bitiou Nama, responsable de la publication du bimensuel L’Événement, dans un éditorial publié le 10 février : « Le climat de méfiance est lourd, particulièrement entre [les] jeunes et ceux qui passent pour être des notables, mais qui n’ont montré aucune capacité à faire bouger les choses ».

Selon les analystes, la cause profonde des événements de l’année dernière, à savoir l’énorme fossé entre les dirigeants et les citoyens, n’a pas été traitée. Des analystes, des journalistes et des syndicalistes ont dit à IRIN que, même maintenant, une petite étincelle suffirait à déclencher un événement majeur.

Le gouvernement a pourtant fait quelques concessions depuis le mois d’avril dernier. Il a augmenté de 5 pour cent les salaires de 86 000 employés en janvier 2012, créé des allocations de logement pour certains travailleurs et offert aux fonctionnaires des promotions maintes fois retardées. Ces mesures ont coûté au gouvernement 19 millions de dollars au total, a dit Alain Édouard Traoré, ministre des Communications et porte-parole du gouvernement.

Malheureusement, le gouvernement n’a pas encore réussi à juguler la hausse soutenue des prix des denrées alimentaires dont souffrent les foyers pauvres de toute l’Afrique de l’Ouest. L’insécurité alimentaire touche 1,7 million de personnes (soit 10 pour cent de la population) en raison de la hausse des prix et de la faiblesse des récoltes dans une grande partie du Burkina Faso [ http://www.irinnews.org/fr/Country/BFF/Burkina-Faso ] .

En mai 2011, le gouvernement a annoncé la mise en place de subventions pour faire baisser les prix du riz, du sucre et de l’huile d’origine locale ou d’importation. Malgré ces subventions toutefois, le prix de l’huile et du riz a encore augmenté. Le prix du sac de riz est passé de 16 000 francs CFA à 18 000 francs CFA entre juillet 2011 et le début de 2012. Le litre d’huile est passé de 800 à 1 000 francs CFA pendant la même période. « Nous étouffons. La vie est trop chère. Nous devons changer les choses », a dit Nathalie Noukoubri, propriétaire d’un bar à Ouagadougou et membre de l’Association des femmes du secteur informel.

Or, selon le porte-parole du gouvernement, Alain Traoré, l’État a peu de marge de manouvre en ce qui concerne le contrôle de ces prix, car il dépend du marché mondial. « Imposer des prix aux commerçants reviendrait à instaurer un État policier », a-t-il dit à IRIN.

Le gouvernement était censé mettre sur pied un observatoire des prix pour tenter d’évaluer et d’assurer un certain contrôle des prix. Mais si un décret a été promulgué à cet effet, l’observatoire n’a pas encore commencé ses activités, selon Augustine Blaise Hien, secrétaire générale de la Confédération nationale des travailleurs du Burkina Faso.

Pour Mme Hien, le manque de perspectives pour les jeunes, même diplômés, est un problème crucial. En effet, le taux de chômage avoisine les 25 pour cent dans cette tranche de la population.

« C’est bien d’aller à l’université, mais combien d’étudiants trouvent un emploi correspondant à leur niveau d’études ? » a demandé Augustin Diabri, étudiant en deuxième année d’archéologie à l’université de Ouagadougou.

Si l’économie du Burkina Faso a progressé de 5,4 pour cent en moyenne entre 2000 et 2011 et que le produit intérieur brut (PIB) par habitant est passé de 233 à 670 dollars, selon les chiffres du Fonds monétaire international (FMI), le pays reste l’un des plus pauvres au monde. Il occupe en effet la 181e place sur 187 selon l’Indice de développement humain (IDH) des Nations Unies.

D’un autre côté, selon M. Diabri, la crise a eu un effet positif : la population a une meilleure connaissance de ses droits et le président a été forcé de comprendre cela.

Impunité et corruption

En matière de gouvernance, le pays a fait des progrès. Plusieurs individus ont été jugés pour des crimes économiques au cours des derniers mois. En janvier, Ousmane Guiro, ancien directeur des douanes, a été arrêté et condamné pour détournement de fonds et corruption après avoir été accusé d’avoir volé 4 millions de dollars. Son procès est en cours.

Mais le sentiment général est que la répartition du pouvoir entre les dirigeants et les dirigés reste en déséquilibre et que l’impunité et la corruption sont omniprésentes. Des habitants ont rappelé à IRIN un exemple souvent cité, qui est celui d’une altercation entre un mécanicien et le ministre de la Justice, Jérôme Traoré, survenue le 19 février 2012. Le mécanicien avait crié contre le ministre, qu’il ne reconnaissait pas. Le ministre avait alors ordonné que le mécanicien soit arrêté et passé à tabac. Il avait été appelé à démissionner 48 heures plus tard.

Le Burkina Faso se trouve au 100e rang sur 182 pays selon l’Indice de perception de la corruption 2011 de Transparency International [ http://www.transparency.org/ ] .

Il est encore difficile de dire si M. Compaoré se présentera à l’élection présidentielle de 2015. Indépendamment des questions constitutionnelles toutefois, beaucoup affirment que l’opposition ne fait actuellement pas le poids. Samir Gadio, économiste spécialisé dans l’Afrique de l’Ouest pour la Standard Chartered Bank britannique, a dit à IRIN : « L’opposition burkinabée est faible et fragmentée. Sa capacité à tirer parti des protestations des étudiants et des professeurs ou même du mécontentement dans les villes demeure donc limitée... La crédibilité de l’opposition pose également problème, car de nombreuses personnes pensent que leur situation risque de ne pas s’améliorer sous un nouveau régime ».

La principale menace pour le régime actuel reste peut-être certains éléments de l’armée, dont la mutinerie de 2011 était « sans précédent », a dit M. Gadio. Si le calme a plus ou moins été restauré, on ne saurait encore dire si les causes principales du mécontentement ont été résolues et si de nouvelles mutineries pourraient encore avoir lieu.

Source : http://www.irinnews.org