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Alassane Ouattara reçu par Emmanuel Macron : l’Élysée, recours d’un président ivoirien qui s’effondre

D 14 juin 2017     H 14:25     A Survie     C 0 messages


En recevant ce dimanche 11 juin l’Ivoirien Alassane Ouattara, Emmanuel Macron peut se targuer que le premier chef d’État africain qu’il accueille à l’Élysée n’apparaît pas, à première vue, comme un autocrate usé par le pouvoir. Le dirigeant ivoirien, installé en 2011 à la tête du pays par une rébellion armée accompagnée par les canons des chars et les bombardements des hélicoptères français, à la suite d’un processus électoral catastrophique [1], jouit en effet toujours de l’image médiatiquement construite à cette époque de « président légitimement élu et reconnu par la communauté internationale ».

Depuis, Alassane Ouattara passe en France pour le président de l’émergence économique ivoirienne. Cette vitrine ne cesse pourtant de se fissurer, révélant les fragilités d’un régime dont l’assise politique et l’emprise réelle sur l’ensemble du pays sont insuffisantes pour affronter l’ébullition que connaît la Côte d’Ivoire depuis six mois : la chute spectaculaire du cours du cacao, les mouvements de grèves, mais surtout, les débordements musclés de l’ex-rébellion. Celle-ci est toujours inféodée à son leader Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale, mais avant tout prétendant pressé à la succession de celui qu’il a aidé à accéder au pouvoir.

Pour David Mauger, porte-parole de Survie sur la Côte d’Ivoire, « Cet entretien du président français avec Alassane Ouattara intervient alors que la Côte d’Ivoire est au bord de l’implosion : les anciens rebelles et chefs de guerre continuent d’imposer leur volonté au président ivoirien, qui leur est redevable en partie de son accession au pouvoir et ne dispose d’aucun moyen réel, excepté le soutien français, pour leur tenir tête. Alassane Ouattara cherche donc à renforcer une légitimité actuellement des plus fragiles et il vient surtout s’assurer du soutien de Paris, y compris au plan de sa sécurité, face à l’encombrant Guillaume Soro, qui lui-même avait bénéficié d’un sérieux coup de pouce français pour s’emparer de la tête de la rébellion en 2003. »

En France, cette réception envoie un autre signal. Plus de douze ans après la mort de neuf soldats français et un Américain dans le bombardement suspect de Bouaké, suivi d’une tentative de coup d’État et du massacre de civils par l’armée française devant l’hôtel Ivoire à Abidjan [2], le nouvel exécutif maintient sans surprise la ligne politique française sur la Côte d’Ivoire qui prévaut depuis Jacques Chirac.

David Mauger poursuit : « S’afficher avec Alassane Ouattara, c’est assumer l’historique de la politique française en Côte d’Ivoire : l’héritage d’Houphouët-Boigny dont il fut le Premier ministre il y a 27 ans, l’appui discret à la déstabilisation du pays depuis 2002, l’impunité des crimes de l’armée française en 2004, et le rôle de gardien du temple françafricain qu’endosse maintenant Ouattara. En faisant la promotion du Franc CFA. En acceptant l’une des deux bases opérationnelles avancées de l’armée française en Afrique. En offrant sa protection au dictateur burkinabè déchu Blaise Compaoré, qui parraina la rébellion armée de 2002 et fut un pilier régional de la Françafrique jusqu’à sa chute fin 2014... »

Outre les conséquences dramatiques d’un possible effondrement de la Côte d’Ivoire, l’association Survie s’inquiète des violations répétées des droits humains commises sous le régime d’Alassane Ouattara, du nombre de prisonniers politiques maintenus en détention, de la répression de toute expression de mécontentement [3], de l’appauvrissement de la majorité de la population ivoirienne derrière l’explosion d’enrichissement de la caste au pouvoir. Cette situation, dont la diplomatie française est parfaitement informée, n’empêche malheureusement pas le nouveau locataire de l’Élysée de considérer Alassane Ouattara comme un président fréquentable.

Contact presse : Thomas Borrel, (+33)6 52 21 15 61 - contact@survie.org

Notes :

[1] Présentée comme une élection légitime remportée par le candidat Alassane Ouattara, le scrutin de 2010 ne pouvait pas, dans ses conditions d’organisation, déboucher sur une victoire transparente de l’un ou l’autre des candidats. La militarisation de la moitié Nord du pays, coupé en deux depuis le déclenchement de la rébellion armée partie du Burkina Faso voisin en 2002, était notamment une des raisons du manque de sincérité évident du scrutin. La diplomatie française et l’ONU, en prenant résolument le parti du candidat Alassane Ouattara face à Laurent Gbagbo, ont imposé un vainqueur et de fait aggravé la crise et la division du pays, au lieu d’écouter les voix appelant à un « troisième tour » comme celle de la Convention de la Société Civile Ivoirienne. Voir Billets d’Afrique n°202 (mai 2011).

[2] Voir le dossier spécial dans Billets d’Afrique n°240 (novembre 2014) et dans le n°255 (mars 2016) pour la demande de renvoi formulée en 2016 de trois ministres français devant la Cour de justice de la République. Le nouveau garde des Sceaux François Bayrou a annoncé la prochaine suppression de cette juridiction d’exception, qui jusqu’ici n’a pas encore donné suite au renvoi demandé par la juge Sabine Khéris.

[3] Lire "La Côte d’Ivoire en ébullition" dans Billets d’Afrique n° 265 (février 2017). Lire aussi les communiqués d’Amnesty International "Côte d’Ivoire. Les autorités doivent mettre un terme aux arrestations arbitraires et à la « détention mobile » de membres de l’opposition" du 28/10/2016. Selon son rapport n°1-2017, le FPI, ancien parti au pouvoir, dénombrait 225 prisonniers politiques en septembre 2016.