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Crise ivoirienne (5)

Guy LABERTIT Ancien délégué Afrique du PS (1993-2006)

D 23 décembre 2010     H 04:34     A Guy LABERTIT     C 0 messages


L’IMPASSE EN CÔTE D’IVOIRE
L’ensemble des analystes et observateurs pose la question « Comment sortir de l’impasse en
Côte d’Ivoire ? ». Il faut sans doute rappeler pourquoi la Côte d’Ivoire est dans l’impasse.

QUELQUES RAPPELS POUR COMPRENDRE LA SITUATION

La Commission électorale indépendante (CEI) est une institution administrative chargée de
fournir les résultats provisoires des élections, le Conseil constitutionnel étant la juridiction
habilitée à proclamer les résultats définitifs.

La composition de la CEI a été déterminée à l’origine, en janvier 2003, par les accords de
Marcoussis entérinés par la Conférence dite de Kléber à Paris. Des mouvements armés,
aujourd’hui disparus, y étaient représentés à l’égal des formations parlementaires. Dès le
départ, cette institution dite indépendante reproduisait les antagonismes de l’échiquier
politique ivoirien. Cette composition a été modifiée à la marge lors de discussions ultérieures
(Accra, Pretoria).

Contrairement à ce qui est souvent affirmé dans les médias, la CEI, institution
ivoirienne n’est pas paritaire. Elle est éminemment défavorable au Président sortant
Laurent Gbagbo, candidat de la majorité présidentielle.
En effet, le présidium de la CEI fort de 5 membres compte 4 représentants pro-Ouattara
contre 1 pro-Gbagbo. Il y a 16 commissaires pro-Ouattara contre 6 pro-Gbagbo. Les 19
Commissions électorales régionales sont contrôlées par des pro-Ouattara et sur les 415
commissions électorales locales, 380 sont contrôlées par des pro-Ouattara contre 35 par des
pro-Gbagbo.

Pour limiter ce déséquilibre, il était convenu que la CEI fonctionne par consensus et que les
résultats du scrutin soient fournis sur la base d’un double comptage, manuel et électronique.

Le Conseil constitutionnel, dont la création est un des éléments des réformes d’Etat engagées
par Laurent Gbagbo pour doter le pays d’institutions juridiques conformes au standard
républicain, est composé selon les mêmes procédures que le Conseil constitutionnel en
France. Il est présidé et composé de juristes ivoiriens éminents et non de simples partisans
comme nombre d’observateurs le laissent entendre.

LES RAISONS DE L’IMPASSE

La CEI n’a pu proclamer de résultats provisoires dans le délai de trois jours qui lui était
imparti. Il revenait, dès lors, au Conseil constitutionnel de proclamer les résultats définitifs
sur la base des données transmises par la CEI. Alors que le Président de ce Conseil annonçait
à la télévision, le jeudi 2 décembre, cette procédure, le Président de la CEI, M. Youssouf
Bakayoko, non entouré des commissaires de la CEI, proclamait hors délai des résultats
provisoires à l’Hôtel du Golf, devenu le quartier général du candidat du RHDP Alassane
Ouattara. Il accordait 54,1 % des suffrages à Alassane Ouattara contre 45,9% à Laurent
Gbagbo.

Fruit du comptage manuel, ces résultats entérinaient une fraude manifeste révélée par le
comptage électronique. En effet, sur les 20 073 procès-verbaux de bureaux de vote, plus
de 2000 ont été rejetés car ils comportaient un nombre de votants supérieur au nombre
d’inscrits.
La scène du mardi soir 1 er décembre où l’on a vu deux représentants de la majorité
présidentielle empêcher le porte-parole de la CEI, proche de Ouattara, de lire les résultats des
trois premières régions, (dont deux étaient d’ailleurs favorables à L. Gbagbo) s’explique par
le fait qu’à ce moment les responsables du comptage électronique venaient à peine de
récupérer les données après un bras de fer de 48 heures avec le Premier ministre et le
Président de la CEI qui feignaient de s’étonner de cette situation. Les données ont été
enregistrées par le système électronique dans la nuit du mardi au mercredi seulement.
La fraude, révélée par le comptage électronique, étant manifeste dans les régions du
Nord, la CEI ne pouvait plus fonctionner par consensus dans la journée du mercredi 1
er décembre. D’où la proclamation solitaire du Président de la CEI, le lendemain au
quartier général du candidat Ouattara, pour frapper par avance de suspicion les
décisions à venir du Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel a fonctionné strictement sur des bases juridiques en analysant les
recours déposés par la majorité présidentielle qui portaient sur environ 600 000 voix.
Sur 16 des 19 régions représentant plus de 85 % de l’électorat les résultats de la CEI
confirmés par le Conseil constitutionnel donnent 2 038 000 voix à Laurent Gbagbo, soit 52,6
% et 1 837 173 voix à Alassane Ouattara soit 47,39 % des voix.
Les recours déposés par la majorité présidentielle et retenus par le Conseil constitutionnel ont
conduit à l’annulation de 7 des 11 départements dans 3 des 5 régions du Nord, à savoir les
départements de Boundiali, Ferkéssédougou, et Korhogo dans la région des Savanes, les
départements de Bouaké, Dabakala et Katiola dans la région de la Vallée du Bandama, et le
département de Séguéla dans la région du Worodougou.
Les annulations se fondent essentiellement sur le fait que les représentants de la majorité
présidentielle ont été physiquement empêchés d’accéder aux bureaux de vote ou en ont été
expulsés. Cela a permis de bourrer les urnes. On constate en effet, que dans les régions du
Nord, le nombre de votants est souvent supérieur au nombre d’inscrits et que le nombre de
suffrages exprimés a éré encore plus important au second tour qu’au premier (+ 10,31 % dans
la région du Bafing, + 13,94 % dans le Denguélé, + 10,65 dans les Savanes et + 13,62 dans le
Worodougou) alors que le jour du scrutin, tous ceux qui le suivaient soulignaient que la
participation était en baisse.

De plus, les éléments des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN) sont sortis armés le
jour du second tour alors qu’ils étaient officiellement cantonnés et désarmés depuis la fin du
mois de septembre dans les camps de Bouaké, Korogho, Séguéla et Man.. Les Forces de
l’ONUCI ne se sont jamais interposées et le vote s’est fait le plus souvent sous la contrainte
dans les régions du Nord. Les partisans de la majorité présidentielle ont été pourchassés,
soumis à des violences, leurs représentants parfois séquestrés. Une représentante a même été
battue à mort à K
La volonté de fraude des partisans d’Alassane Ouattara dans les régions du Nord est
incontestable, même si elle semble avoir échappé aux observateurs de l’Union européenne.
Les violences et irrégularités graves ont été relevées par la mission des observateurs de
l’Union africaine et des témoignages très nombreux ont étayé les recours de la majorité
présidentielle.

Le scrutin s’est déroulé de façon équitable dans le reste du pays et le candidat Ouattara n’a
déposé aucun recours. Sur cette base, qui concerne plus de 80 % de l’électorat, il a été dit très
officiellement par l’ONUCI que le scrutin était globalement démocratique, mais la fraude au
Nord a été de nature à inverser les résultats du scrutin de ce second tour.

LE RÔLE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

La prise de position immédiate, le vendredi 3 décembre, du représentant spécial du secrétaire
général des Nations Unies, M. Young-jin Choï, ne reconnaissant pas les résultats donnés par
la seule juridiction ivoirienne habilitée à proclamer les résultats définitifs, viole la Charte de
l’ONU qui réaffirme dans son action le respect des institutions d’un pays souverain. La
certification du processus électoral suppose que le déroulement du processus électoral est
conforme à la Constitution et au code électoral que les Ivoiriens se sont souverainement
donné.

En choisissant de valider les résultats provisoires d’une institution administrative, la
Commission électorale indépendante, où la majorité présidentielle était minoritaire de par la
volonté de la communauté internationale, le représentant de l’ONU a donné un signal fort à
l’ensemble des puissances occidentales. En premier lieu, la France et les Etats-Unis, par la
voix de leur Président respectif, MM. Sarkozy et Obama, Pourtant la veille, dans la soirée du
2 décembre, l’Elysée précisait dans un communiqué « il appartient désormais au Conseil
constitutionnel de proclamer les résultats définitifs dans le strict respect de la volonté
clairement exprimée par le peuple ivoirien ». Ce respect signifie-t-il que le Conseil
constitutionnel de Côte d’Ivoire devait avaliser la fraude évidente des régions du Nord
entérinée par la Commission électorale indépendante ?
Mandaté par l’Union africaine, l’ancien Président sud-africain Thabo M’Béki a conduit une
médiation de 48 heures, les 5 et 6 décembre. On sait les relations difficiles entre Thabo Mbéki
et l’actuel Président sud-africain Jacob Zuma qui se sont livrés jadis un duel sans merci au
sein de l’ANC. Avant même que Mbéki dépose ses conclusions, la Communauté des Etats
d’Afrique de l’Ouest, fortes de 16 pays membres, (avec 7 chefs d’Etat sur 13 délégations
présentes) s’est dépêchée de soutenir la position des puissances occidentales.
La Russie (Tchétchénie oblige) n’a pas résisté longtemps au Conseil de sécurité, plongeant la
Côte d’Ivoire présidée par Laurent Gbagbo dans un isolement diplomatique complet. Le 13
décembre, l’Union européenne s’est engagée dans un processus de sanctions.

Ce bras de fer entre la Côte d’Ivoire qui s’est remise au travail et la communauté
internationale dont l’unanimisme immédiat au nom de la vertu démocratique peut sembler
suspect peut déboucher sur des affrontements gravissimes. Unanimisme suspect quand on voit
le pudique et assourdissant silence des Etats-Unis, de la France et de la communauté
internationale face aux élections législatives en Egypte et à la réélection dans son pays du
médiateur de nombre de crises africaines, M. Blaise Compaoré, avec plus de 80 % des voix
dès le premier tour, lui permettant de rester à la tête du Burkina Faso pendant 28 ans.
Le Président Gbagbo a-t-il commis l’irréparable en Afrique en faisant tout pour mettre en
place des institutions républicaines et en laissant se développer un processus électoral de
façon ouverte sur la base d’une présomption de bonne foi à l’égard de son principal adversaire
politique pour qui les institutions financières internationales qu’il a servies, les Etats-Unis, la
France ont toujours eu les yeux de Chimène.
Cette situation sans précédent en Côte d’Ivoire pose avec acuité le rôle historique de l’ONU
sur le continent africain et d’une certaine façon sa crédibilité aux yeux de tous les citoyens de
la planète. Facteur de paix et de sécurité comme l’expriment ses textes ou garant des intérêts
des puissances et d’un ordre mondial injuste et inégalitaire.
Ce n’est que quarante ans après les indépendances africaines qu’a été mis à jour le jeu trouble
de l’ONU dans l’assassinat, le 19 janvier 1961, au Congo Kinshasa du Premier ministre
Patrice Lumumba, défenseur de la souveraineté de son pays. Un demi-siècle plus tard, en
2010, la méthode est plus policée pour écarter un dirigeant politique jugé indocile, même si
tout son parcours s’est inscrit dans la conquête de la démocratie et la mise en place
d’institutions républicaines souveraines. C’est effectivement une quasi exception sur le
continent africain.

Paris, 14 décembre 2010

Guy LABERTIT

Ancien délégué Afrique du PS (1993-2006)

Auteur aux éditions « Autres Temps » de
« Adieu, Abidjan-sur-Seine », les coulisses du conflit ivoirien (2008)

« Côte d’Ivoire, sur le sentier de la paix » (2010)