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Les prisons ignorent les droits des jeunes ivoiriens

D 19 juin 2015     H 05:59     A IRIN     C 0 messages


ABIDJAN - Des centaines d’enfants séjournent pendant de longues périodes dans les prisons pour adultes surpeuplées de la Côte d’Ivoire. Le système de justice pénale du pays a été affaibli par la crise : ils doivent parfois patienter pendant des mois avant de connaître la date de leur procès.

En vertu de la loi ivoirienne, les juges disposent de 15 jours pour juger un prévenu. Ce délai est cependant rarement respecté. De nombreux accusés – y compris de jeunes adolescents – sont détenus préventivement pendant plusieurs mois consécutifs.

En décembre 2014, Brahima Keita*, un adolescent de 15 ans, a été placé en détention préventive dans une petite cellule surpeuplée de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA), la principale prison du pays. Il est accusé de vol à main armée.

« S’ils veulent me condamner, qu’ils le fassent », a-t-il dit à IRIN lors d’une rencontre avec son avocat dans l’une des salles de visite de la MACA. « Mais si les juges ont l’intention de me libérer, qu’ils le fassent rapidement. Je ne veux pas retourner dans cet enfer », a-t-il ajouté en pleurant.

Après presque six mois en prison, Keita ignore toujours quand son procès aura lieu. Et il n’est pas le seul dans cette situation.

À la MACA, au moins 117 autres enfants âgés de 14 à 17 ans attendent la date de leur procès.

Quatorze des 504 enfants détenus de la prison de Man, dans l’ouest du pays, ne connaissent pas encore la date de leur procès. Sur les 70 mineurs incarcérés au pénitencier de Daloa, dans le centre-ouest du pays, 11 attendent toujours d’être jugés.

« La masse de dossiers à gérer est énorme et nous sommes tout simplement débordés », a admis un juge d’un tribunal d’Abidjan qui a souhaité garder l’anonymat.

« Il faut dire que les choses n’ont pas été faciles avec le processus d’après-crise que nous avons eu et ceux qui sont toujours en cours. Nous n’avons pas suffisamment de personnel pour gérer rapidement les dossiers. C’est ce qui fait que les procès sont souvent bâclés. »

Les jeunes ne sont pas les seuls à être affectés par les retards dans le traitement des dossiers. À la MACA, plus de 2 000 détenus adultes sont également laissés à « languir » dans leurs cellules, a dit le juge à IRIN.

Selon Adele Khudr, la représentante du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) en Côte d’Ivoire, les effets physiques, affectifs et psychologiques sur les enfants des longues périodes de détention dans un environnement d’adulte sont toutefois un sujet de préoccupation.

« Il y a beaucoup de détenus, beaucoup de criminels qui peuvent intimider les autres, même les adultes », a-t-elle expliqué. « Et si ces criminels sont capables d’intimider des adultes, imaginez ce qu’ils peuvent faire aux enfants… Cela les rend beaucoup plus vulnérables et les expose à la violence, à l’exploitation et aux mauvais traitements. »

En Côte d’Ivoire, les enfants de 10 ans et plus peuvent faire l’objet de poursuites. Les enfants de moins de 13 ans sont censés être placés dans des centres de détention spéciaux, mais, en raison du manque d’espace, de nombreux adolescents se retrouvent malgré tout dans des prisons pour adultes.

Les enfants doivent en outre comparaître devant les mêmes juges que les adultes, car il n’existe pas de tribunaux spéciaux adaptés aux mineurs en Côte d’Ivoire.

« À [la prison de] Man, nous avons relevé des cas d’abus commis par des adultes capables d’accéder facilement aux cellules des mineurs, qui se trouvaient elles-mêmes pratiquement dans les mêmes installations de détention que les adultes », a dit un haut responsable de la Commission nationale des droits de l’homme de Côte d’Ivoire qui a demandé à garder l’anonymat.

Il a ajouté que dans certains cas, comme à la prison de Daloa, les jeunes étaient enfermés dans les mêmes cellules que les détenus adultes.

« Les conditions de détention ne sont pas du tout satisfaisantes et elles ne respectent certainement pas les normes internationales, [qui exigent] la séparation complète des adultes et des enfants », a dit Mme Khudr, de l’UNICEF.

Marguerite Koffi, la directrice de la protection judiciaire de l’enfance au ministère ivoirien de la Justice, a dit que le gouvernement était conscient du problème, mais qu’il était difficile d’appliquer les lignes directrices que les prisons sont censées respecter.

« Nous plaidons toujours en faveur d’une plus grande protection des mineurs dans le système carcéral », a-t-elle dit. « Ils ont le droit d’être séparés des autres détenus, mais cette disposition n’est pas toujours respectée. »

Elle a ajouté qu’il arrivait souvent que des individus non qualifiés ou corrompus soient responsables de l’application des normes existantes.

En 2011, plus de 4 millions de dollars ont été affectés à l’aménagement des zones carcérales réservées aux jeunes, et notamment à la création de salles de classe et à l’augmentation du nombre de lits. Dans la réalité, toutefois, très peu de changements ont été constatés.

Selon Mme Koffi, le gouvernement prévoit de mettre en oeuvre de nouveaux mécanismes permettant de s’assurer que les enfants détenus reçoivent une éducation et qu’ils ne sont pas placés dans des situations dangereuses ou dans des lieux sales ou surpeuplés.

Des conditions de vie difficiles

La MACA, dont la capacité officielle est de 1 500 détenus, accueille actuellement plus de 6 000 personnes emprisonnées pour des délits allant du vol simple au viol et au meurtre.

Les détenus vivent dans des conditions difficiles : les cellules sont exiguës, les toilettes ne fonctionnent pas et il n’y a pas d’eau courante pour se laver. De nombreux jeunes détenus sont en mauvaise santé en raison du manque d’hygiène et de l’inadéquation des soins médicaux disponibles.

La majorité des jeunes détenus avec qui IRIN s’est entretenu ont dit qu’ils dormaient par terre parce qu’il n’y avait pas suffisamment de matelas ou de literie pour tout le monde.

Ils ont ajouté qu’ils n’avaient que quelques moustiquaires déchirées à leur disposition pour se protéger du paludisme et qu’on leur refusait souvent, sans raison, le droit de recevoir des visites de leurs parents ou d’autres membres de leur famille.

« Ils traitent nos enfants comme du bétail », a dit Fatoumata Diaby, dont le fils de 15 ans a été accusé d’avoir agressé sexuellement une fillette. « Le gouvernement nous fait croire qu’ils sont détenus dans des bonnes conditions et qu’on leur donne deux repas par jour, mais ils n’ont en réalité qu’un repas. Le plus souvent, on leur sert du porridge de maïs ou de millet, un plat qui ne contient aucune vitamine. »

Aucun espoir pour l’avenir

Pour les mineurs qui attendent leur procès ou ceux qui purgent leur peine, les occasions de participer à des programmes éducatifs ou à des formations professionnelles sont rares.

« Quand je suis arrivé ici, j’avais des connaissances en mécanique », a dit Cédric Kouakou*, un adolescent de 16 ans qui a été incarcéré au MACA en août 2013 après avoir été accusé de vol. « Ils me disent maintenant que je dois être un charpentier, mais ils n’ont même pas ce qu’il faut pour pratiquer ce métier. »

Drissa Soro, un gardien du pénitencier de Dimbokro, dans le centre de la Côte d’Ivoire, a dit à IRIN qu’il était préoccupé par l’impact que pouvait avoir sur ces jeunes influençables le fait de côtoyer de « vrais » criminels.

« Aucun espace n’a été créé pour accommoder ces jeunes détenus », a-t-il dit. « Ils sont donc en contact direct avec des gangsters et des bandits. »

Selon l’UNICEF, toutefois, il serait préférable de mettre l’accent sur la création d’institutions correctionnelles réservées aux mineurs plutôt que sur l’amélioration des conditions à l’intérieur des prisons.

« Nous croyons que la meilleure chose pour eux est d’être dans un espace ouvert dans lequel ils auront accès à une éducation et à des services de réhabilitation afin de pouvoir un jour réintégrer leur famille et leur communauté », a dit Mme Khudr.

Le gouvernement a annoncé son intention d’ouvrir quatre de ces centres en 2016.

De nombreux activistes et enfants détenus ont cependant dit à IRIN qu’ils ne croyaient pas que les réformes proposées entraîneront des changements significatifs dans un avenir rapproché.

« Tout le monde travaille fort pour améliorer le système de justice pour les mineurs », a dit Mme Khudr. « Mais nous sommes loin de pouvoir leur offrir de bonnes conditions. »