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Retour sur une crise franco-ivoirienne

D 13 décembre 2010     H 04:22     A Robin Guébois     C 0 messages


Lorsque cet article paraîtra, le second tour des élections
présidentielles ivoiriennes aura eu lieu, si tout va bien : jalon
supplémentaire, mais non suffisant, dans la résolution de la
crise politico-militaire que connaît la Côte d’Ivoire depuis dix ans.
Parallèlement, la visite du secrétaire générale de l’Elysée Claude
Guéant à Abidjan, début octobre, a consacré la normalisation des
relations diplomatiques entre le régime Gbagbo et l’Elysée.
L’occasion de revenir sur le rôle joué par notre pays tout au long
de cette crise.

Un pompier pyromane

Sans vouloir méconnaître les facteurs endogènes dans le
déclenchement de la guerre civile ivoirienne, il faut noter cette
première coïncidence troublante : la tentative de coup d’Etat de
septembre 2002 survient au lendemain de l’annonce de la remise
en cause d’énormes intérêts économiques français en Côte
d’Ivoire, les marchés jusque là attribués de gré à gré aux firmes
tricolores devant être soumis à la concurrence des entreprises
chinoises. La position de Bouygues, par exemple, paraît
particulièrement menacée. La version officielle veut que, lorsque
les rebelles lancent leur attaque, les services secrets français
aient été pris de court. Les rébellions se sont pourtant entraînées
et armées au Libéria et au Burkina Faso, avec la complicité de
Charles Taylor et Blaise Compaore, deux dirigeants alliés de
l’impérialisme français et liés aux réseaux françafricains. Mieux,
après la tentative avortée de coup d’Etat et alors que les rebelles
continuent d’être approvisionnés depuis le Burkina, l’armée et les
services secrets auraient été « aveugles et sourds pendant plus
de trois semaines », selon Francis Blondet, alors ambassadeur de
France au Burkina. On sait qu’il n’est pire sourd que celui qui ne
veut pas entendre... Si l’on ne peut prouver que des réseaux
françafricains ont contribué directement au financement, à
l’équipement et à l’entraînement des rebelles, force est de
constater en revanche que ces derniers font l’objet d’un
traitement de faveur de la part de l’armée française, au regard de
situations analogues dans d’autres pays liés à la France par des
accords militaires. La France refuse de faire jouer les accords de
défense comme le réclame le président Gbagbo, et refuse même
dans un premier temps tout soutien logistique, prétextant que
ces accords sont « caduques », alors qu’ils continueront d’être
invoqués, quelques années plus tard, pour justifier par exemple
les interventions militaires françaises contre les rébellions
centrafricaines. La France n’intervient officiellement que pour la
protection de ses ressortissants, mais finit néanmoins par
interdire aux rebelles, à leur grande surprise, de progresser au
Sud du pays et permet un rééquilibrage militaire au profit des
forces loyalistes. Dans le même temps, l’opération Licorne
dessine une « ligne de non franchissement » qui consacre
durablement la partition du pays et sanctuarise les territoires
contrôlés par ceux qui se baptisent « Forces Nouvelles ».

Du militaire au politique... du politique au militaire

L’Elysée a-t-il changé son fusil d’épaule après l’échec de la
tentative initiale de coup d’Etat ? N’a-t-il voulu donner qu’un
avertissement au régime de Gbagbo et maintenir sur sa tête une
épée de Damoclès ? Comme l’expliquent les généraux français, le
gel de la situation militaire permet en tout cas à la France
d’exercer de fortes pressions au plan diplomatique. Tandis que les
militaires français se flattent d’avoir contribué à maintenir l’unité
politique des rebelles, menacée par des rivalités politiques
sanglantes sur fond de pillages des ressources et des banques,
l’Elysée impose en janvier 2003 les accords de Marcoussis. Les
représentants de la rébellion et des partis politiques ivoiriens
(mais pas le gouvernement) sont « invités » par le président
Chirac à élaborer, sous la houlette du juriste gaulliste Pierre
Mazeau, un scénario de sortie de crise, dont certaines clauses ne
seront jamais acceptées par Gbagbo. Les rebelles, qui n’ont
d’autre légitimité politique que celle que leur confère la prise des
armes (la gestion maffieuse du Nord du pays qu’ils contrôlent
démontrera rapidement que les revendications initiales contre
l’ivoirité et les exactions racistes du régime Gbagbo n’étaient que
prétextes), doivent se voir attribuer, en vertu de ces accords et
dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale, les
ministères de l’Intérieur et de la Défense, soit le contrôle de
toutes les forces sécuritaires. Pas moins ! Parallèlement, il est
prévu l’affaiblissement des prérogatives présidentielles au profit
d’un premier ministre « de consensus », mais validé par l’Elysée.
Mais ni Seydou Diarra, ni Konan Banny, désignés selon ces
modalités, ne parviendront à supplanter Laurent Gbagbo, même
après la mise en place d’un « Groupe de travail international »
(GIT) piloté par la ministre de la coopération française, B.
Girardin, sous couvert de l’ONU, qui tente vainement de placer les
institutions ivoiriennes sous tutelle à l’expiration officielle du
mandat présidentiel.
Le point culminant des tensions franco-ivoiriennes est atteint
fin 2004. Début novembre, les forces loyalistes entament une
opération de reconquête et bombardent le Nord du pays pendant
trois jours, sans que ni les forces de l’ONU, ni les forces
françaises, censées garantir le cessez le feu, ne réagissent.
Officiellement, celles-ci ont été surprises par les événements. En
fait, les services français en ont suivi minutieusement les
préparatifs et les présidents français et ivoiriens, comme l’a révélé
Le Canard enchaîné, s’en sont entretenus par téléphone. Comme
le reconnaîtra le général Poncet devant la justice française, le
président Ggagbo a pu se croire tacitement autorisé par la
communauté internationale à mener cette opération militaire.
Mais après trois jours de bombardement du Nord, un camp
militaire français est pilonné par des mercenaires slaves à la solde
de Gbagbo. En représailles, les militaires français procèdent,
peut-être sur ordre de l’Elysée, à la destruction immédiate de la
quasi-totalité de la flotte ivoirienne. Les milices pro-Gbagbo se
livrent aussitôt à des pillages et à des menaces contre les
nombreux ressortissants français, qui seront évacués vers la
France. L’intoxication dans les média français atteint alors son
paroxysme et l’on parle par exemple à la Une du Monde de corps
décapités à la machette. On ne déplorera en fait aucun mort
parmi les ressortissants français, mais l’armée française procède
en revanche, à deux reprises, à des massacres délibérés de
manifestants ivoiriens désarmés qui protestaient contre la
présence militaire française. Après avoir pris possession
militairement de l’aéroport et de certains points stratégiques de la
capitale, une colonne de blindés français se dirige en effet « par
erreur » vers la résidence de Gbagbo, avant de prendre
possession de l’hôtel Ivoire. L’ambassadeur français au Burkina
reconnaîtra plus tard qu’une tentative de coup d’Etat a bien été
envisagée par certains gradés français. Celle-ci sera finalement
repoussée par l’Elysée, soit retour à la prudence, soit faute de
prétendant crédible. Quant au bombardement initial de Bouaké, il
demeure aujourd’hui inexpliqué. Côté français, certains
journalistes avancent la thèse d’une manoeuvre de Gbagbo pour
masquer l’échec de son offensive militaire. Scénario plausible,
mais c’est la France qui, au grand désarroi des familles des
soldats français décédés, a saboté l’enquête judiciaire, s’opposant
par exemple à deux reprises à l’arrestation des mercenaires
biélorusses impliqués (qui avaient été fournis par Montoya,
ancien de la cellule « antiterroriste » de Mitterrand) et refusant
de lever le secret défense sur les documents dont elle dispose,
malgré l’avis favorable de la commission de déclassification.

Les bons comptes font les bons amis

Comme dans le dossier rwandais, c’est sous la présidence de
Sarkozy que s’amorce la détente diplomatique, le pouvoir
politique français s’étant résigné à l’éventuelle réélection du
leader du FPI, tout en maintenant des liens privilégiés avec les
autres candidats Bédié et Ouattara. S’il s’agit incontestablement
d’une victoire politique du président ivoirien contre l’ancienne
puissance coloniale, celle-ci s’est accompagnée et a été facilité
par une soumission économique renouvelée... Si la rhétorique
anti-impérialiste fait toujours partie du fond de commerce
politique du président Ggagbo, celle-ci ne trompe plus grand
monde. Dès 2004, Bolloré avait récupéré de gré à gré la gestion
du terminal à conteneur du port d’Abidjan et certains capitalistes
français avaient tenté d’appuyer une détente franco-ivoirienne
par le biais du Cercle d’amitié et de soutien au Renouveau
Franco-Ivoirien (CARFI). La sortie de crise a coïncidé avec un
retour en force des grandes entreprises françaises qui se sont
empressées d’engranger des contrats avant la tenue des élections
 : Bolloré, Vinci, CFAO, Alcatel, Technip, Bivac, Bureau Veritas,
France Telecom, Sagem, Aéroport de Paris, BNP Paribas, etc. Et
bien sûr Bouygues, qui, déjà présent dans l’eau et l’électricité
s’est implanté dans les hydrocarbures et a récupéré la
construction du troisième pont d’Abidjan qui menaçait de lui
échapper en 2002... Dernier en lice : Total, qui vient de faire son
entrée dans l’exploitation du pétrole offshore.

En contrepartie, la France a soutenu la Côte d’Ivoire auprès
du FMI et de la Banque Mondiale dans le cadre du programme
PPTE (Pays pauvre très endetté), lui permettant d’obtenir une
restructuration de sa dette auprès du Club de Paris (groupe de
créanciers). Enfin la coopération sécuritaire entre les deux pays a
repris, et si la base militaire française est officiellement dissoute,
il est peu vraisemblable que les soldats français quittent en
totalité le pays, même après la fin de la période électorale. Enfin,
toujours à la remorque du gouvernement français sur cette
question, quelques poids lourds du parti socialiste français, qui a
quelques chances de l’emporter en 2012, sont allés faire amende
honorable auprès de Gbagbo, qu’ils avaient un temps jugé
« infréquentable ».

Robin Guébois