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Gambie : Arrestations et fermetures de médias à l’approche de la date butoir du transfert du pouvoir

D 13 janvier 2017     H 05:20     A Human Rights Watch     C 0 messages


Les droits humains sont menacés alors que s’intensifient les appels au départ du président Jammeh

Le gouvernement du président Yahya Jammeh, qui a été battu en décembre à l’élection présidentielle en Gambie, a procédé à des arrestations arbitraires de sympathisants de l’opposition et a fermé trois stations de radio indépendantes au cours de la semaine écoulée, ont déclaré aujourd’hui Human Rights Watch et Amnesty International. Jammeh est tenu par la Constitution gambienne de céder le pouvoir au président-élu Adama Barrow d’ici au 19 janvier 2017.

Depuis le 31 décembre, des agents des services de renseignement ont arrêté et brièvement détenu au moins six personnes pour avoir porté ou vendu des T-shirts marqués de l’emblème du mouvement #Gambiahasdecided (« La Gambie a décidé »), qui a appelé Jammeh à respecter le résultat de l’élection et à abandonner ses fonctions. Plusieurs membres de haut rang de ce mouvement ont fui la Gambie après avoir reçu des menaces jugées crédibles de la part d’agents présumés de l’Agence nationale de renseignement (National Intelligence Agency, NIA). Le 1er janvier 2017, des agents de la NIA ont fermé par la force trois stations de radio privées, privant les Gambiens de sources indépendantes d’informations pendant cette période critique.

« Le ciblage du mouvement #Gambiahasdecided et la fermeture de stations de radio privées menacent le droit des Gambiens d’exprimer leur opposition à la tentative de Jammeh de se maintenir au pouvoir », a déclaré Jim Wormington, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « C’est lors de périodes comme celle-ci que la liberté d’expression est le plus cruciale. »

Jammeh a reconnu publiquement sa défaite au lendemain de l’élection du 1er décembre 2016, avant de rejeter les résultats le 9 décembre, qualifiant de « perfide » la Commission électorale indépendante (IEC) et la critiquant pour son prétendu manque d’indépendance. Le 13 décembre, les forces de sécurité gambiennes ont expulsé de leurs bureaux le président de cette commission, Alieu Momarr Njai, et son personnel. Njai a déclaré par la suite à Human Rights Watch et à Amnesty International qu’il craignait pour sa sécurité et le 30 décembre, il a quitté la Gambie pour chercher refuge à l’étranger.

Le parti de Jammeh, l’Alliance patriotique pour la réorientation et la construction (APRC), a déposé le 13 décembre un recours auprès de la Cour suprême pour contester les résultats de l’élection. Du fait que la Cour suprême n’a pas de juge assesseur permanent, et que sa saisine sur cette affaire exigerait donc que Jammeh y nomme de nouveaux magistrats, l’Association du barreau gambien a déclaré que cet appel était « fondamentalement vicié ».

Le refus de Jammeh d’accepter les résultats de l’élection a été largement condamné par la communauté internationale, notamment par le Conseil de sécurité des Nations Unies, par l’Union africaine et par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le 17 décembre, la CEDEAO a déclaré qu’à l’expiration du mandat de Jammeh le 19 janvier, Barrow « devait être intronisé » comme nouveau chef de l’État et a promis de « prendre toutes les mesures nécessaires » pour faire respecter les résultats de l’élection.

Des sources en Gambie ont décrit à Human Rights Watch et à Amnesty International comment des agents des services de renseignement ont arrêté deux hommes, Alpha Sey et Muhammed Kuyateh, qui portaient des T-shirts #Gambiahasdecided, dans la soirée du 31 décembre. Un témoin a déclaré que cinq hommes habillés en civil ont fait monter Sey de force dans une camionnette blanche. « Ils ont demandé à lui parler et, après une brève conversation, ils l’ont poussé pour qu’il monte dans la voiture », a dit ce témoin. « Sey était le seul à porter un T-shirt #Gambiahasdecided et je l’ai entendu dire : ‘Il n’y a pas besoin que je monte dans la voiture, je peux l’enlever.’ Mais ils l’ont quand même fait embarquer de force. »

Un autre témoin a décrit comment, le 31 décembre, des hommes en civil ont forcé Kuyateh à monter dans un véhicule à Bakoteh, une banlieue de la capitale Banjul, apparemment parce qu’il portait un T-shirt #Gambiahasdecided. Kuyateh et Sey ont été détenus au secret au siège de la NIA, puis remis en liberté sous caution le 3 janvier 2017.

Des agents des services de renseignement ont arrêté trois gérants de magasins qui vendaient de la marchandise estampillée #Gambiahasdecided dans le quartier de Westfield à Serrekunda, dans la soirée du 31 décembre. Ebrima Sambou, Mamie Serreh et Isatou Jallow ont affirmé à Human Rights Watch et à Amnesty International que les agents des services de renseignement étaient venus dans leurs boutiques et avaient confisqué les T-shirts et d’autres articles marqués du slogan #Gambiahasdecided, ou des illustrations en faveur du président-élu Barrow ou de la coalition d’opposition. Ces trois personnes ont ensuite été emmenées au siège de l’agence de renseignement à Banjul, où elles ont été interrogées sur les fournisseurs de cette marchandise, avant d’être remises en liberté quelques heures plus tard.

La marchandise confisquée aux magasins n’a pas été restituée. Mamie Serreh a déclaré qu’avant sa remise en liberté, un agent des services de renseignement lui a dit : « Si tu dis quoi que ce soit à ce sujet, il y aura des conséquences pour toi. » La femme d’un autre gérant de magasin, craignant pour sa sécurité, a quitté la Gambie peu après la libération de son mari. Des agents des services de renseignement auraient également arrêté un partisan de la coalition, Wandifa Kanyi, pour avoir vendu des T-shirts à Serrekunda le 2 janvier. Kanyi a été remis en liberté le 3 janvier.

Deux membres fondateurs du mouvement #Gambiahasdecided, Salieu Taal et Raffi Diab, se sont enfuis de Gambie le 31 décembre, après avoir reçu des informations qu’ils ont jugées crédibles sur l’imminence de leur arrestation par l’agence de renseignement. Cette agence a un lourd bilan d’arrestations arbitraires d’activistes de l’opposition, dont beaucoup ont été torturés et parfois tués alors qu’ils étaient entre ses mains. Taal, le président du mouvement, a déclaré qu’il avait failli être intercepté par des agents de la NIA devant son domicile le 31 décembre. « Je pense que Jammeh essaye de nous envoyer un message, pour que nous cessions de résister à sa tentative de se maintenir au pouvoir », a-t-il dit à Human Rights Watch et à Amnesty International. « Mais nous ne nous laisserons pas intimider. »

Le 1er janvier, des agents des services de renseignement ont forcé trois stations de radio privées, Teranga FM, Hilltop Radio et Afri Radio, à cesser d’émettre. Afri Radio a recommencé à émettre le 3 janvier mais elle ne diffuse plus de programmes d’information. Compte tenu du contrôle exercé par le gouvernement sur la télévision et la radio nationales, les stations de radio privées constituent pour les Gambiens une importante source d’accès à des points de vue et opinions divergents, même si la tendance historique des forces de sécurité à arrêter et intimider les journalistes ont contraint beaucoup d’entre eux à faire de l’auto-censure. Teranga FM et Hilltop Radio étaient des stations où se discutaient des informations politiques diverses dans des langues locales.

Emil Touray, président du syndicat de la presse gambienne, a déclaré à Human Rights Watch et à Amnesty International que les fermetures des radios « ont privé les Gambiens de plusieurs organes de presse essentiels lors d’une phase cruciale de l’histoire du pays. » Teranga FM a été fermée trois fois au cours des dernières années et son directeur général, Alhagie Ceesay, a été arrêté en juillet 2015, passé à tabac et torturé au siège de la NIA, puis inculpé de sédition. Il s’est évadé et a fui à l’étranger en avril 2016.

À l’approche de la date butoir à laquelle Jammeh est censé abandonner ses fonctions et transférer le pouvoir à son successeur, les autorités et les forces de sécurité gambiennes devraient respecter et protéger le droit de tous les Gambiens à exprimer librement et pacifiquement leurs points de vue et opinions politiques, ont déclaré Human Rights Watch et Amnesty International. Les stations de radio privées devraient être libres d’émettre sans ingérence gouvernementale et sans crainte de représailles.

« Le risque d’une répression contre toutes les voix indépendantes et dissidentes va certainement s’accroître à mesure que s’intensifient les appels pour que Jammeh quitte le pouvoir à l’approche de la date butoir du 19 janvier », a déclaré Sabrina Mahtani, chercheuse sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International. « Les autorités gambiennes doivent envoyer un signal clair selon lequel les violations des droits humains, y compris celles commises par des membres des forces de sécurité, ne seront pas tolérées et les personnes qui se rendront responsables de violations pendant la période de transition feront dûment l’objet d’enquêtes et de poursuites en justice. »