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GAMBIE : Yahya Jammeh, l’autre dictateur

D 7 août 2015     H 05:27     A Moulzo     C 0 messages


Dans la nuit du 16 décembre 2004, l’éditeur et défenseur de la liberté d’expression gambien, Deyda Haydara était assassiné de trois balles dans la tête.Une véritable exécution. Deux de ses employées, Ida Jagne et Nyang Sarang, qui étaient en sa compagnie, ont reçu des balles dans les jambes.
Le message était donc clair pour les survivants ainsi que pour les critiques potentiels du régime autocratique de Jammeh. Plus tôt dans la journée, le journal de Deyda Haydara, The Point, venait de fêter son treizième anniversaire. L’assassinat d’Haydara avait été suivi d’une intensification des agressions violentes perpétrées contre les journalistes et les médias. Les journaux et les stations de radio considérés comme critiques à l’égard avaient été fermés, les journalistes ayant publié des articles désagréables au gouvernement avaient reçu leur juste part de traitement violent. Plusieurs d’entre eux, de peur d’être arrêtés et torturés, ont aujourd’hui pris le chemin de l’exil.

Le coup d’État de 1994

Le 22 juillet 1994, le président de Gambie (indépendante depuis 1965), Dawda Jawara, était renversé par un groupe de militaires dirigé par le lieutenant Yahya Jammeh.
Sir Dawda Jawara (il a été anobli par la reine d’Angleterre – la Gambie était membre du Commonwealth jusqu’en 2013, date de son retrait à cause des injonctions du Royaume Uni concernant les droits de l’homme adressées au régime de plus en plus autoritaire de Jammeh –, est évacué par un navire américain qui voguait dans les parages.

La dépendance du pays à l’aide internationale incite alors Jammeh à tenir un discours plutôt rassurant en promettant de rétablir rapidement un gouvernement civil mais, prenant goût au pouvoir, il tourne rapidement le dos à ses promesses. Il faudra attendre 1996, presque deux ans après le coup d’État avant qu’une constitution soit approuvée par référendum le 7 août 1996. L’élection présidentielle du 26 septembre 1996 et les législatives qui suivent en janvier 1997 se soldent par la victoire de Jammeh et de son Alliance patriotique pour la réorientation et la construction. Mais des irrégularités et des restrictions, concernant notamment les formations politiques qui existaient avant le coup de 1994, soulèvent la contestation de l’opposition. Dawda Jawara, qui avait été réélu cinq fois depuis l’indépendance avait déjà échappé à un premier coup d’État militaire le 29 juillet 1981. La Gambie voyait alors son économie s’affaiblir et des allégations de corruption de ses responsables politiques surgir. Cette première tentative de coup d’État de l’histoire de la Gambie indépendante eut lieu pendant que le président Jawara était en visite à Londres. Il fut réalisé par le Conseil de la gauche révolutionnaire nationale, composé de socialistes et de révolutionnaires du Parti travailliste de Samba Sanyang Kukoi (PDS) et des éléments de la « Force de Campagne » (une force paramilitaire qui a constitué l’essentiel des forces armées du pays). Le président Jawara demanda alors immédiatement l’aide militaire du Sénégal qui déploya 400 troupes en Gambie le 31 juillet, deux jours après. Le 6 août, quelques 2700 soldats sénégalais furent déployés et vainquirent les forces rebelles. Entre 500 et 800 personnes furent tuées lors de ce coup d’État et des violences qui ont suivi.

Un an plus tard, en 1982, le Sénégal et la Gambie signèrent un traité de confédération, la Sénégambie. Celle-ci visait à unir les forces armées des deux États, à unifier leurs économies et leurs monnaies. Mais la Gambie se retira de cette confédération définitivement en 1989, c’était bien dommage car la Sénégambie aurait réglé le problème absurde de l’enclavement de la Gambie due à l’arbitraire du partage de l’Afrique par les Européens et la réunification du Sénégal et de la Gambie qui partagent quasiment les mêmes groupes ethniques et les mêmes patronymes.

Un dictateur burlesque

La Gambie, un des plus petits pays du continent africain est située en Afrique de l’Ouest[i]. Elle a une frontière avec le Sénégal au nord, au sud et à l’est et est bordé à l’ouest par l’océan Atlantique. Ces limites correspondent au cours du fleuve Gambie qui coule à travers le pays et se jette dans l’Atlantique. Sa superficie est de 10 689 kilomètres carrés pour une population de 1 882 450 habitants (recensement de 2013). Banjul en est la capitale, et les plus grandes villes sont Serekunda et Brikama[ii].

En 2013, suite au retrait de la Gambie du Commonwealth, Jammeh choisit l’arabe comme langue officielle en lieu de place de l’anglais, la langue de l’ancien colonisateur, le Royaume Uni. D’ailleurs, c’est autour de l’islam que Jammeh choisit de se réfugier pour contrer les attaques des pays occidentaux contre son régime de plus en plus autoritaire. Devenu un dictateur aussi burlesque que son ami Kadhafi avec qui il entretient des liens privilégiés, Jammeh se prend pour le nouveau messie anti-impérialiste de l’Afrique. Son jeune âge (il est né en 1965), sa fougue anti-impérialiste ainsi que son côté fantasque attirent la sympathie des jeunes africains surtout au Sénégal voisin où les discours dans les réseaux sociaux sont certes parfois critiques mais souvent élogieux à l’égard de Jammeh qui en a certainement conscience. Le dictateur détient d’ailleurs une arme radicale contre le Sénégal à travers le mouvement indépendantiste de la Casamance (région du Sud du Sénégal et au Sud de la Gambie). En soufflant le chaud et le froid entre le MFDC (Mouvement des forces démocratiques de la Casamance) rebelle et l’État du Sénégal, Yahya Jammeh se positionne au centre de ce conflit qui dure depuis 1980, permettant tantôt aux rebelles de se replier ou les livrant aux autorités sénégalaises selon le contexte du moment et la géostratégie locale.

Le 23 août 2012, après un moratoire de plus de 30 ans, il décide d’appliquer la peine de mort contre neuf condamnés et soulève l’indignation de la communauté internationale et des organisations de défense des droits de l’homme[iii].

Un an plus tôt déjà, le 19 septembre 2011, Moses Richards, un avocat gambien, était condamné à une peine de deux ans et six mois de prison pour son travail concernant la défense d’un client. L’accusation contre Richards s’appuyait sur une lettre qu’il avait écrite au nom de Pa Ebrima Colley, son client, au shérif de la Cour supérieure de Banjul. Cette lettre, disait-on, mentionnait le bureau du président Yahya Jammeh comme ayant ordonné au shérif de surseoir au jugement, dans un différend foncier entre deux familles d’un village à l’ouest du pays[iv].

A cela s’ajoute la répression contre les homosexuels, contre lesquels un projet de loi prévoyait la prison à vie ; la détention de journalistes et d’activistes critiques grâce à des accusations bidon, notamment de trahison, punie en Gambie de la peine de mort[v]. Pour le dictateur fantoche, la liberté d’expression s’arrête à la porte du palais.

Au pouvoir depuis 20 ans, Yahya Jammeh est en train de rejoindre ses collègues dictateurs africains sur le podium de la longévité au pouvoir. Mais comme Blaise Compaoré qui a porté comme une croix l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, Jammeh portera aussi sa croix avec l’assassinat de Dayda Haydara. En effet, après plusieurs années de manque d’enquête sérieuse sur l’assassinat de leur père par les autorités, deux de ses enfants ont déposé une requête auprès de la Cour communautaire de la CEDEAO pour demander à celle-ci d’obliger les autorités à lancer une enquête approfondie sur cette affaire. La MFWA avait déjà déposé deux autres requêtes au nom des journalistes dont les droits ont été abusés afin d’obtenir justice pour eux[vi].

Les activistes font désormais profil bas

Le 30 décembre 2014, Jammeh a échappé à un coup d’État militaire qu’il a aussitôt attribué aux Occidentaux et aux Gambiens de la diaspora. Depuis l’échec du coup d’État, les Nations unies, l’Union européenne, le Sénégal et même les États-Unis ont condamné la tentative de « renversement de l’ordre constitutionnel ». Washington avait réagi très vite pour dénoncer cette opération et nier toute implication. IIs ont même inculpé deux ressortissants américains d’origine gambienne pour avoir organisé et participé à la tentative de putsch. Les activistes qui se trouvent aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Sénégal font désormais profil bas à cause de ce revirement de la communauté internationale. Ils se taisent d’ailleurs depuis. « Yahya Jammeh pourrait profiter d’un répit, prédit un observateur, mais pour combien de temps [vii] ».

S’il fascine beaucoup de jeunes africains en quête d’un nouveau Sankara, Yahya Jammeh n’en reste pas moins un dictateur controversé et violent. Sa stratégie de la surprise internationale et du chaos permanent a fonctionné depuis qu’il s’est approprié la Gambie en 1994. D’aucun souhaite à celui qui a reçu parfois le titre de « Kadhafi gambien » la même fin que ce dernier.

Moulzo

[i] Pour comprendre la Gambie, voir cet excellent article d’Hervé Cheuzeville : http://www.vexilla-galliae.fr/actualites/europe-international/1156-la-gambie-une-republique-meconnue

[ii] Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gambie

[iii] http://www.afriquesenlutte.org/afrique-de-l-ouest/gambie/article/le-foscao-condamne-les-executions

http://www.afriquesenlutte.org/afrique-de-l-ouest/gambie/article/declaration-de-la-l-j-d-h-sur-l

[iv] http://www.afriquesenlutte.org/afrique-de-l-ouest/gambie/article/gambie-un-avocat-emprisonne-pour

[v] http://www.afriquesenlutte.org/afrique-de-l-ouest/gambie/article/gambie-des-activistes-et-des

[vi] http://www.afriquesenlutte.org/afrique-de-l-ouest/gambie/article/les-autorites-gambiennes-manquent

[vii] http://www.rfi.fr/afrique/20150106-coup-etat-rate-gambie-le-president-jammeh-passe-menaces/