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Guinée Conakry : 24 candidat-e-s et 0 alternative

D 30 juillet 2010     H 09:38     A Paul Martial     C 0 messages


En décembre 2007, alors que la grève générale s’installait
dans le pays contre la vie chère et la dictature de Lansana
Conté, les observateurs remarquaient l’absence des partis
politiques guinéens, traduisant ainsi leur faiblesse et leur incapacité
à offrir une perspective. Ce qui était vrai fin 2007, l’est hélas
toujours en 2010. Si la Commission électorale nationale
indépendante (Ceni) vient d’enregistrer 24 candidatures à l’élection
présidentielle, la quantité ne remplace pas la qualité de l’offre
politique. En effet, la plupart des candidat-e-s ont le même profil et
ont occupé des postes importants sous la dictature. Aboubacar
Somparé fut président de l’Assemblée nationale, Mamadou
Diawarra, un industriel, fut député du PUP, Kassory Fofana fut
ministre des finances tout comme Ousman Kaba, Alpha Ibrahima
Keira fut haut diplomate et la seule femme candidate, Saran
Daraba Kaba, fut aussi ministre de Lansana Conté.

On n’oubliera pas la brochette d’anciens premiers ministres :
Cellou Dalein Diallo, Lansana Kouyaté, Sidya Touré et François Fall
(même si ce dernier ne resta que quelques mois). Il y a même
Mamadou Sylla, l’homme d’affaire qui fut emprisonné pour
détournement de biens publics et dont la libération, par Conté,
déclencha la grève générale de 2007. Deux exceptions cependant,
les candidatures pro Dadis Camara comme Boubacar Barry, le
diamantaire Bouna Keita, Jean Marc Telliano ou Papa Koly
Kourouma qui est sur la liste des personnalités sanctionnées par
l’Union européenne, après les massacres du 28 septembre, au
stade de Conakry. L’autre exception est évidemment Alpha Conté,
opposant historique, le seul qui a toujours refusé de participer à un
gouvernement des militaires.

Mais tous s’appuient sur des partis qui ont une dimension
communautaire forte et une absence de programme politique
digne de ce nom. Evidemment, ils parlent de développement du
pays, de respect des droits humains, de bonne gestion, d’une
Guinée prospère, de bonne gouvernance. Mais derrière le
vocabulaire convenu se cache une stratégie simple : être
présent aux élections, pour être présent au gouvernement et
ainsi bénéficier des ressources de l’Etat. Les partis qui sont
créés sont avant tout des structures communautaires qui n’ont
d’autre fonction que celle de servir de point d’appui à ces
candidat-e-s.

Beaucoup parlent de tournant historique pour la Guinée. Certes,
le fait que des élections se déroulent dans un contexte
relativement ouvert est une bonne chose, mais il ne faut pas
oublier que l’essentiel des problèmes demeurent. Tout d’abord
l’armée, elle continue à être l’objet de sourdes dissensions entre les
partisans de Sékouba Konaté, ceux de Dadis Camara ainsi que
d’autres qui voient d’un mauvais oeil que le pouvoir, et donc
l’argent, leur échappe au profit des civils. Si le calme est palpable
c’est largement dû au fait de certaines mesures, comme la
réfection des casernes, l’augmentation des soldes de 30% et
l’amélioration du ravitaillement en riz, mais la moindre faiblesse du
futur pouvoir civil, comme la contestation des futurs résultats
électoraux, pourrait être interprétée comme une invitation à revenir
aux affaires. L’idée que toute l’armée est derrière Konaté est une
illusion. Konaté à compris que l’impérialisme français et américain
avait sifflé la fin de la partie d’un gouvernement militaire qui n’était
plus présentable avec les massacres du stade de Conakry et, de
plus, imprévisible et menaçant pour la stabilité de la sous région,
avec des pays aux états faibles sortant d’une décennie de guerre
civile comme le Libéria et la Sierra Léone, et un autre en proie à
une crise politique majeure comme la Côte d’Ivoire.

Ensuite, la situation sociale des populations. Aucun des
candidats ne conteste la soumission de la Guinée aux impératifs
économiques et aux pillages des grands groupes industriels des
pays du nord. Ils ne remettent nullement en cause le partage
du travail entre une bourgeoisie impérialiste qui considère le
pays comme un simple réservoir de richesses minéralogiques
dans lequel on peut puiser à bon marché, et une bourgeoisie
locale complice, parasitaire et bureaucratique. Enfin la pauvreté
et la détresse sociale sont telles que les discours identitaires qui
ont parsemé la campagne électorale peuvent avoir des effets
dévastateurs avec des risques, à l’issue du second tour, de
conflits ethniques violents.

Cependant la construction d’une alternative politique qui
défend réellement les intérêts des populations est possible à
partir du mouvement syndical structuré et puissant ; alors là on
pourra parler d’un véritable tournant pour le peuple de Guinée.

Paul Martial