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Charles Taylor condamné à 50 ans de prison, pour la guerre en Sierra Leone. A quand la justice pour la guerre du Libéria ?

D 17 octobre 2013     H 05:56     A Bruno Jaffré     C 0 messages


Au terme d’un procès marathon débuté en 2007, Charles Taylor, ex chef de guerre, puis chef d’Etat du Libéria de 1997 à 2003, vient finalement d’être condamné à 50 ans de prison par le Tribunal Spécial sur la Sierra Leone (TSSL), créé à cet effet par la communauté internationale. Il reste pourtant encore beaucoup à faire pour que justice soit rendue.

« Les juges ont estimé qu’il avait eu « une influence significative sur le commandement du RUF ». « Cependant, cette influence significative ne signifie pas qu’il avait le commandement ou le contrôle effectif » (cité par Libération du 26 avril 2012). Une guerre civile ayant fait quelques 120000 morts. Charles Taylor est donc jugé pour avoir parrainé le Front révolutionnaire uni (RUF) sierra-léonais de Foday Sankoh et Sam Bockarie, leur fournissant des armes contre des diamants. Le premier a été inculpé par le même tribunal mais le procès n’a pu être mené à terme du fait d’ennui de santé. Il est mort d’hypertension en 2003. Le second a été tué lors d’un échange de coups de feu avec les troupes gouvernementales libériennes le 6 mai 2003.

Mais Charles Taylor est d’abord le chef du National Patriotic Front of Liberia (NPFL) qui déclencha la guerre au Libéria en 1989. Et aucun procès n’a jamais eu lieu pour juger les criminels de cette guerre. Pourquoi ?

Silence sur le soutien américain lors de l’ascension de Charles Taylor et la complicité française dans la guerre du Libéria..

On évalue généralement pourtant à environ 250000 le nombre de victimes, sans compter les viols, les tortures, les amputations et l’enrôlement de force de milliers d’enfants soldats. C’est pourtant cette guerre qui va être à l’origine de la déstabilisation de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Ainsi Herman Cohen Cohen, l’ancien sous-secrétaire d’Etat américain chargé aux affaires africaines a déclaré devant la Commission Vérité et Justice au Libéria (voir plus loin) que le Président Compaoré et le défunt Président Boigny sont « entièrement responsables, pour avoir parrainé le carnage au Libéria », parce qu’ils voulaient un changement de régime dans ce pays ajoutant que « certaines des plus grandes tragédies en Afrique ont vu le jour en raison de la nature de la guerre de substitution, appuyée au Libéria par les Présidents Boigny et Compaoré » (dépêche apanews du 9 juillet 2008 http://www.apanews.net/apa.php?page=show_article&id_article=68829).

Lors de son procès, le 15 juillet 2009, Charles Taylor a raconté son évasion rocambolesque d’une prison de haute sécurité à Boston en 1985. Avec forces détails, il avait expliqué comment tout avait été préparé pour qu’il puisse s’enfuir tranquillement (voir un compte rendu de ce récit à http://www.jeuneafrique.com/actu/20090715T125838Z20090715T125819Z/) . De là à soupçonner qu’il a été aidé par les services américains… Eh bien ce sera fait quelques années après. Le quotidien américain Boston Globe révèle en effet le 17 janvier 2012 ( voir http://www.bostonglobe.com/metro/2012/01/17/mass-escapee-turned-liberian-dictator-had-spy-agency-ties/DGBhSfjxPVrtoo4WT95bBI/story.html) que Charles Taylor, travaillait pour la CIA dès les années 80. Une information confirmée par l’agence de renseignement de la Défense américaine (DIA). Il aurait en fait été utilisé pour informer l’agence américaine sur Mouammar Kadhafi, mais aussi pour infiltrer les mouvements révolutionnaires africains, dont il se réclamait à l’époque. Après avoir été aidé par les américains, il est vite passé au rang de leurs ennemis lorsqu’il a montré trop de velléité d’indépendance au même titre que Ben Laden qui lui aussi a été soutenu par les américains lorsqu’il fallait lutter contre la présence soviétique en Afghanistan.

A l’origine de la guerre du Libéria, une alliance scellée lors de l’assassinat de Thomas Sankara.

C’est en 1989, soutenu alors, par le Côté d’Ivoire d’Houphouët Boigny, le Burkina de Blaise Compaoré et la Libye de Mouammar Kadhafi qu’il se lance à l’assaut du Libéria pour une guerre, des plus effroyables qui va durer jusqu’en 2003. Reprenant les travaux du Stephen Ellis, spécialiste du Libéria, François Xavier Vershave, présentait dans son ouvrage la Françafrique (Les Arènes 2000), l’assassinat de Thomas Sankara comme « le sacrifice fondateur » de cette alliance dans laquelle deux pays, sur les trois, sont parmi les meilleurs amis de la France dans la région, la Libye jouant un rôle pour le moins ambigüe avec les français à l’époque. Depuis, plusieurs compagnons de Charles Taylor ont reconnu, avoir participé à l’assassinat de Thomas Sankara, l’un d’entre eux affirmant la complicité des services français et de la CIA (voir http://www.thomassankara.net/spip.php?article794). Blaise Compaoré leur aurait promis son aide pour les introduire en Libye s’il les aidait à éliminer Thomas Sankara.

Selon une dépêche du département américain, M. David Crane ancien procureur du tribunal Spécial pour la Sierra Leone a déclaré au cours d’un débat consacré au procès de Charles Taylor aux Etats-Unis, : « Il a expliqué que Charles Taylor était « la pièce maîtresse d’un plan géopolitique de dix ans » mis en oeuvre à la fin des années 80 par le Libyen Mouamar Kadhafi. Il s’agissait de recruter des individus qui fomenteraient la rébellion, s’empareraient du pouvoir dans leur pays et deviendraient des pions de Kadhafi qui, ainsi, aurait les mains libres en Afrique de l’Ouest. « Nous avons des preuves incontestables de cela. » Parmi les individus ainsi recrutés se trouvaient Foday Sankoh, ancien chef du RUF (Front révolutionnaire uni), Blaise Compaore, actuel président du Burkina Faso ; et Ibrahim Bah, marchand de diamants ». (voir http://fr.allafrica.com/stories/200604120042.html )

Des entrepreneurs français une longueur d’avance au Libéria.

Le rapport de commission vérité et justice note (page 248) qu’au moment de la campagne de Taylor, la Côte d’Ivoire a été la France étaient ses alliés les plus importants en Afrique de l’Ouest. Dans un article du Monde diplomatique d’avril 2004, (voir http://www.monde-diplomatique.fr/2009/04/DELTOMBE/16970) on apprend que la société belge Socfinal, dont Bolloré est l’un des principaux actionnaires, avait obtenu la concession d’une immense plantation d’hévéas au moment même où M. Taylor prenait, dans le sang, le pouvoir au Liberia. Dans le même article on peut lire « « Sans citer expressément M. Bolloré, M. Taylor fera alors cette remarque significative sur ses relations lorsqu’il combattait dans le maquis : « Il n’y a pas de privilèges. Il se trouve simplement que les hommes d’affaires français sont venus nous voir avant les autres. Ils ont pris des risques. Ce qui explique qu’ils aient aujourd’hui une longueur d’avance. (...) C’est du “business as usual”. Car, sur le fond, les hommes d’affaires n’ont pas de nationalité. Qu’ils viennent de France ou d’ailleurs, ils s’intéressent tous — et c’est bien normal — au bois, au minerai de fer, à l’or et aux diamants du Liberia » (un passage issu de « Liberia : les métamorphoses d’un seigneur de la guerre », Politique internationale, n° 82, Paris, hiver 1998-1999, pp. 354-355)

De son côté l’historien africaniste Stephen Ellis, auteur de nombreux ouvrages (dont The Mask of Anarchy : The Destruction of Liberia And the Religious Dimension of an African Civil War 2006 366 pages New York University Pressnous) nous déclarait en 2001 : « Charles Taylor était aussi en contact avec Michel Dupuch, ancien conseiller de Chirac à l’Elysée, à l’époque ambassadeur en Côte d’Ivoire. Un homme d’affaire français, Robert de Saint-Pai, servait d’intermédiaire. Saint-Pai est maintenant décédé. » (voir http://www.thomassankara.net/spip.php?article677).

Les conclusions de la commission vérité et justice au Libéria non suivies d’effet

Pourquoi un tribunal spécial sur la Sierre Léone et pas pour le Libéria ? L’accord de paix signé en aout 2003 à Accra, qui met fin à la guerre, prévoyait la mise en place d’une commission vérité et réconciliation au Libéria. Elle débute ses travaux en 2006. Durant trois ans, les victimes et les responsables des crimes commis durant cette guerre défilent devant la commission. Tous ces travaux, y compris des enregistements audio ou des vidéos sont consignés et d’accès public à http://trcofliberia.org. La commission rend finalement son rapport, près de 500 pages, en juin 2009 (voir http://trcofliberia.org/reports/final-report). On lit (pages 248 et 249) que la France et la Côté d’ivoire sont les meilleurs alliés de Charles Taylor en Afrique de l’Ouest et que le France a découragé la Côte d’Ivoire et le Burkina de rechercher la paix, ce qui aurait pu profiter au Nigéria qui serait devenu ainsi une puissance régionale.

La commission demande encore que l’on juge une dizaine de criminelsL Le rapport se conclut par un appel à juger une dizaine de criminels de guerre qui n’ont pas collaboré avec le Tribunal et à sanctionner une centaine de personnalités dont l’actuelle présidente du Libéria, Ellen Johnson Sirleaf, qui a reçu le prix Nobel de la paix en 2011, accusée d’avoir soutenu Charles taylor. Certains criminels proférèrent alors des menaces, dont Prince Jonhson célèbre pour s’être fait filmé en torturant l’ex président Libérien Samuel Doe. Ce même Prince Johnson reconnait avoir participé à l’assassinat de Thomas Sankara. Il coule des jours heureux au Libéria comme sénateur.

L’implication du Burkina et la cécité calculée de la communauté internationale.

Le rapport ne manque pas de souligner l’implication du Burkina (page 249 – 250). Ainsi peut-on lire que Blaise Compaoré a introduit Charles Taylor auprès de Mouammar Kadhafi qu’il aurait convaincu de sa capacité à diriger avec succès l’assaut du Libéria. Les armes en direction du Libéria passèrent par le Burkina, tandis que les fonds de Taylor se trouvaient dans deux comptes au Burkina, sous le nom de Jean Pierre Somé. Enfin le rapport souligne que, en plus des soldats burkinabè qui combattirent à ses côtés, de nombreux jeunes du même pays s’enrôlèrent dans les rangs de Charles Taylor et s’entrainèrent en Libye et au Burkina.

Ajoutons que les « rebelles ivoiriens », soutenus par le Burkina Faso ont ainsi pu compter sur le soutien d’anciens combattants de Charles Taylor dans l’ouest du pays.

Blaise Compaoré a par ailleurs été cité de très nombreuses fois au cours du procès de Charles Taylor devant le TSSL, pour son aide notamment dans la livraison d’armes au RUF. Blaise Compaoré reçoit aujourd’hui les louanges de la communauté internationale. Encore tout récemment Mme Fatou Bensouda, procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a demandé, au cours d’une audience à New York, l’appui du président Compaoré, pour trouver une solution à la situation au Kenya ! Décidément il nous faudra revenir plus longuement sur ce présent blog sur le passé de ce pompier pyromane pour rafraichir la mémoire de ceux qui veulent oublier son passé criminel.

Cet exemple tend à confirmer que la justice internationale reste particulièrement sélective. Au gré des exigences des puissances qui financent la cour pénale internationale, de leurs alliances conjoncturelles, sujettes à des retournements d’ailleurs. L’impunité est pourtant reconnue comme un des freins les plus importants au développement et à la stabilité. Le résultat reste que les victimes de l’effroyable guerre du Libéria attendent toujours que justice soit rendue. L’impunité a encore malheureusement de beaux jours devant elle.

Source : http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre