Vous êtes ici : Accueil » Afrique de l’Ouest » Mali » La crise humanitaire se poursuit au Mali, loin des projecteurs

La crise humanitaire se poursuit au Mali, loin des projecteurs

D 11 décembre 2013     H 05:54     A IRIN     C 0 messages


GAO/BAMAKO - Onze mois après que les forces françaises ont chassé les militants islamistes du nord du Mali, la crise humanitaire perdure dans la région. Les niveaux de faim sont plus élevés qu’en 2012 et la malnutrition a atteint un taux alarmant dans la ville de Gao, à Bourem et à Ansongo. Dans le Nord, les actes de banditisme entravent l’accès des éleveurs aux pâturages, et l’insécurité empêche certaines organisations d’aide humanitaire d’atteindre les populations isolées et dans le besoin. [ http://www.irinnews.org/fr/report/98281/nouveau-webdocumentaire-irin-tombouctou-dans-la-tourmente ]

« Le Mali n’a jamais connu de période aussi difficile. La situation est explosive dans les zones [de Kidal] qui étaient contrôlées par les rebelles. Un demi-million de personnes ont été déplacées pendant le conflit ; 200 000 enfants souffrent de malnutrition aigüe ; 1,3 million de personnes vivent dans l’insécurité alimentaire et sont dépendantes des distributions de nourriture », a dit à IRIN David Gressly, Représentant spécial adjoint de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), depuis la capitale, Bamako.

Les zones d’insécurité sont le massif des Ifoghas, situé dans la région de Kidal ; Tessalit, ville localisée à l’est de Tombouctou, non loin de la frontière mauritanienne ; et les environs de la ville de Ménaka, dans la région de Gao, non loin de la frontière algérienne, ont indiqué M. Gressly et le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA).

Fernando Arroyo, chef du bureau d’OCHA au Mali, a dit à IRIN : « Il est difficile de se déplacer à l’extérieur des centres urbains, pas seulement à Kidal, mais aussi à Tombouctou, à Gao et autour de Mopti, dans les zones anciennement occupées. Nous n’avons pas ou peu d’accès aux villes comme Tessalit ».

La faim

D’après une évaluation de la sécurité alimentaire menée en juillet 2013 par le gouvernement, le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), trois ménages sur quatre sont dépendants de l’aide alimentaire pour assurer leur survie à Gao, à Tombouctou, à Kidal et dans les zones anciennement occupées de la région de Mopti. La moitié de la population de ces régions a déjà vendu ou hypothéqué des biens essentiels, ce qui menace encore plus la sécurité alimentaire. Certaines familles consacrent jusqu’à 90 pour cent de leurs revenus à l’achat de nourriture, a indiqué Alexandre Brecher, porte-parole du PAM au Mali.

Alors que les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) reviennent dans le Nord, 1,5 million de personnes pourraient être confrontées à la faim dans la région en 2014, conclut l’évaluation.

Selon l’enquête de suivi et d’évaluation normalisés des phases de secours et de transition (enquête SMART) qui a été réalisée en mai par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et ses partenaires, les taux globaux de malnutrition aigüe ont atteint 13,5 pour cent à Gao et jusqu’à 17 pour cent dans le district de Bourem.

Action contre la faim, le gouvernement, l’Office d’aide humanitaire de la commission européenne (ECHO) et l’UNICEF répondent aux besoins des enfants malnutris à l’hôpital régional de Gao et dans les dispensaires locaux de Gao et Bourem. Aucune enquête SMART n’a pour l’instant été menée à Tombouctou ou à Kidal en raison de problèmes de sécurité, a indiqué l’UNICEF.

La saison maigre annuelle touche à sa fin au Mali, mais les retombées de la sécheresse de 2011-2012 et les perturbations liées au conflit - y compris les déplacements de masse - ont rendu plus difficile l’accès à la nourriture dans le Nord. Si quelques agriculteurs sont revenus dans la région pour récolter leurs cultures pendant la saison des pluies, beaucoup ne l’ont pas fait, a dit Wanalher Ag Alwaly, de l’organisation non gouvernementale (ONG) Tassaght de Gao.

La fuite des commerçants arabes de Gao et de Tombouctou vers les pays voisins et la fermeture de la frontière algérienne - une plaque tournante commerciale - ont perturbé les échanges. La semaine dernière, le gouvernement algérien a indiqué qu’il ouvrira la frontière pour des périodes de temps limitées.

La route entre Gao et Kidal « n’est pas encore sûre », a dit Soumeila Cissé, un chauffeur de camion de Gao. « Il est fréquent que des bandits arrêtent les voitures appartenant à des particuliers et volent les marchandises transportées dans les camions. C’est pour cette raison que nous n’avons pas pu transporter les marchandises vers les villages situés au nord de Gao », a-t-il dit à IRIN. Certaines compagnies de transport basées à Gao ont mis un terme au transport de marchandises dans toute la région du nord du pays, a-t-il dit.

Cependant, au Sud, les conditions de route sont presque revenues à la normale sur la route de Gao à Niamey (Niger).

Dans les régions de Bourem et de Gao, où la culture principale est le riz, l’ensemencement a été différé à cause des précipitations tardives et des crues de la rivière Niger, qui ont empêché les agriculteurs d’accéder à leurs champs. Cette année, les perspectives de récolte ne sont pas prometteuses à Gao et à Bourem, a dit Christian Munezero, responsable du programme humanitaire d’Oxfam à Gao.

« L’année dernière, à cette époque, la grange était presque pleine de millet », a dit Aishatoun Touré, un agriculteur de la région de Gao. « Cette année, nous avons déjà utilisé toutes nos réserves et nous n’aurons pas de millet avant la prochaine récolte. Les mois à venir vont être très difficiles ».

Les responsables de certaines communautés ont contacté Oxfam, car elles ont désespérément besoin d’aide.

« Si l’on n’accroit pas le volume actuel de l’aide, nous allons nous retrouver dans une situation plus difficile que lors de la crise alimentaire de 2012 », a dit Mohamed Coulibaly, directeur pays d’Oxfam.

L’organisation réalise actuellement une évaluation des besoins d’urgence dans les zones de Gao où elle intervient.

Le brigandage entrave l’accès aux pâturages

Moussa Ag Bilal, un éleveur de Forgho, petit village situé à 25 km de Gao, a dit à IRIN que bon nombre d’éleveurs ont trop peur des attaques des bandits pour s’aventurer à plus de 10 km de leur village. Les éleveurs sont donc regroupés sur une petite superficie et les pâturages commencent à manquer.

« Il y a de moins en moins de pâturages et les éleveurs sont parfois obligés de traverser des pâturages qui appartiennent à d’autres groupes d’éleveurs. Étant donné le manque de précipitations, le niveau d’eau des puits et des rivières est insuffisant. Dans certains endroits, l’accès à l’eau devient vraiment problématique », a-t-il dit à IRIN.

Si les organisations ont réhabilité 70 pour cent des points d’eau destinés aux animaux le long des circuits de pâturage traditionnels dans la région de Gao, ainsi que 50 pour cent de ceux de Bourem, le manque de ressources humaines et de pièces de rechange en complique l’entretien, selon Oxfam.

« Je crains que la situation ne devienne critique, que les pâturages et l’eau soient de plus en plus rares et viennent à manquer dans les semaines à venir », a dit à IRIN M. Ag Awaly, de Tassaght.

Les services de base

La capacité du gouvernement à trouver des solutions à certains de ces problèmes reste très limitée, ont dit des responsables de l’aide, bien que de nombreuses améliorations aient été apportées aux services publics. Une grande partie des systèmes d’eau et d’électricité ont été remis en état à Gao et Tombouctou, par exemple.

Le Mali a attiré les fonctionnaires dans le Nord avec des incitations financières dont le montant peut atteindre 400 dollars, mais beaucoup d’entre eux n’ont pas encore fait le pas, ce qui veut dire que les bureaux du gouvernement régional ne fonctionnent que partiellement. Bon nombre d’hôpitaux, d’écoles et de services sociaux de base ne sont pas entièrement opérationnels. La population a donc toujours besoin de l’aide des organisations humanitaires sur le terrain.

À Gao et à Tombouctou, 480 écoles ont rouvert leurs portes, mais elles manquent de matériel, de livres et de bureaux, et bon nombre d’écoles n’ont pas suffisamment de personnel. Les écoles de Kidal sont toujours fermées.

Les principaux hôpitaux fonctionnent grâce à l’aide de partenaires, tandis que de nombreux dispensaires sont maintenant ouverts - 80 pour cent de ceux de Tombouctou, 94 pour cent de ceux de Gao et 66 pour cent de ceux de Kidal - mais plusieurs d’entre eux manquent de personnel et d’équipements, selon Claude Dunn, Coordinateur d’urgence de l’UNICEF au Mali.

Le secteur des soins de santé rencontre des problèmes à Kidal, a dit son maire, Arabcane Ag Abzayack. « Dans la ville de Kidal, le CICR [Le Comité international de la Croix-Rouge] et les ONG locales fournissent des soins de santé. Les personnes qui vivent dans le désert et dans les villages éloignés de Kidal doivent encore se rendre à Tamanarasset et à Tin Zaouatine, dans le sud de l’Algérie, pour recevoir des soins médicaux ».

L’accès

Si certaines organisations d’aide humanitaire, comme le CICR, ont réussi à négocier un accès humanitaire dans les trois régions du Nord, d’autres organisations indiquent qu’elles ont un accès limité.

Attaher Maiga, un membre du personnel du CICR, a dit que cette organisation est le seul groupe humanitaire présent dans les onze communes de Kidal.

« Nous intervenons partout. Nous sommes présents dans toutes les communes depuis que le Nord a été libéré [en janvier]. Pendant l’occupation, nous avons travaillé avec les responsables locaux pour obtenir un accès humanitaire à Gao et à Kidal. Nous travaillons en étroite collaboration avec les forces maliennes et la MINUSMA ; nous les informons de nos déplacements dans les zones sensibles autour d’Ansongo et Ménaka et à [l’ouest] de Tombouctou, non loin de la frontière avec la Mauritanie », a-t-il dit.

L’organisation Oxfam a indiqué qu’elle avait accès à la région de Gao et qu’elle suivait en permanence la situation pour évaluer les risques sécuritaires. MSF intervient à Tombouctou et à Gao, où l’organisation dispose de personnel, mais pas dans la région de Kidal. L’UNICEF mène des actions à Gao et à Tombouctou, mais pas à Kidal non plus, tandis que le PAM achemine de la nourriture à Kidal par le biais du CICR et de ses partenaires locaux.

Les agences des Nations Unies n’utiliseront des escortes militaires qu’en « dernier recours », a dit M. Gressly. « C’est un environnement explosif. Nous nous efforçons d’améliorer l’accès humanitaire dans les zones reculées sans dépendre de l’armée », a-t-il dit à IRIN.

Source : http://www.irinnews.org/