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Le conflit au Mali a ravivé les tensions ethniques

D 1er novembre 2013     H 05:16     A     C 0 messages


GAO - Selon les observateurs, le récent conflit au Mali a dégradé les rapports sociaux, ce qui engendre des craintes de représailles parmi les populations déplacées et freine la réconciliation.

Le renversement du président Amadou Toumani Touré en mars 2012 a plongé le Mali dans le chaos. Les séparatistes touaregs se sont emparés du nord du pays, avant d’être délogés par des terroristes islamistes lourdement armés.

Dans tout le pays, les Touaregs et les Arabes ont été accusés d’avoir aidé les islamistes à prendre le pouvoir dans le Nord. Lorsque les forces françaises sont intervenues en janvier pour chasser les terroristes, de nombreux Touaregs et Arabes ont été pris pour cible par la population et un climat de suspicion a envahi une grande partie des villes du nord et du centre du pays. De nombreuses personnes ont manifesté leur crainte d’éventuelles représailles.

Les tensions ethniques ne sont pas nouvelles au Mali et des violences interethniques ont déjà éclaté par le passé, mais Oxfam a révélé dans une étude publiée en octobre que le conflit de 2012/2013 avait miné les rapports sociaux plus profondément que les hostilités précédentes.

« Il y a une impression générale de profonde dégradation des rapports sociaux », a dit Steve Cockburn, responsable des campagnes et politiques d’Oxfam en Afrique de l’Ouest. « La peur de rentrer chez soi est très forte. »

M. Cockburn a dit à IRIN que certains déplacés et réfugiés « craignaient qu’il y ait des tensions et des conflits au sein de la communauté, qu’il n’y ait pas de paix durable et qu’ils soient bientôt obligés de repartir ».

Selon Oxfam, outre le récent conflit, ce sont également la pauvreté chronique, la corruption et la colère suscitée par le sous-développement, la marginalisation et l’injustice dans le nord du Mali qui sapent les rapports sociaux.

« Dans un processus de réconciliation plus général, comment l’État malien conçoit-il un processus intégrant ces dissensions ? » a demandé M. Cockburn. Nombre des répondants à l’enquête d’Oxfam ont manifesté avoir peu confiance envers les institutions de l’État et davantage envers les mécanismes de gouvernance traditionnels, a-t-il ajouté.

« Les programmes de réconciliation vont devoir se faire à l’échelle communautaire. Il s’agit moins d’accords politiques au sein des hautes sphères que de la possibilité de prendre le thé avec son voisin. Votre ami répondra-t-il à votre appel ? Allez-vous pouvoir vendre votre bétail à un commerçant ? »

Méfiance

L’effondrement de la cohésion sociale se reflète dans la tendance à généraliser les accusations. Soixante pour cent des personnes interrogées qui trouvaient que les relations sociales s’étaient dégradées en rejetaient la responsabilité sur tout un groupe ethnique plutôt que sur des individus en particulier, a révélé le rapport d’Oxfam, qui a également remarqué que les menaces, la violence et la stigmatisation avaient contribué aux tensions.

« Des maisons appartenant à des Arabes ou des Touaregs soupçonnés d’avoir conspiré avec le MNLA [Mouvement national pour la libération de l’Azawad] et le MUJAO [Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest] ont été pillées, parfois sans faire la distinction entre ceux qui avaient réellement collaboré avec les rebelles et les autres. Si vous aviez la peau claire, vous étiez visé », a dit Youssouf Traoré, qui travaille pour l’Association des conseillers agricoles du Sahel (ACAS), une organisation basée à Gao, partenaire de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui soutient le suivi des déplacés de retour chez eux.

La méfiance est particulièrement forte parmi les déplacés, qui ont été confrontés aux difficultés de la fuite et de la vie de réfugié. Certains avaient déjà été obligés de fuir de chez eux par le passé, a dit M. Cockburn, d’Oxfam.

Rentrer chez soi ?

Certains des réfugiés interrogés par Oxfam, notamment des Touaregs, ont affirmé ne pas vouloir rentrer chez eux, a expliqué M. Cockburn. « Cela complique nettement la recherche de solutions pour les personnes déplacées. »

« La cohabitation est difficile. Le problème est l’opposition entre ceux qui ont soutenu les rebelles et les autres », a dit Hachimy Maïga, qui travaille également pour l’ACAS.

« Les occupants nous ont [...] fait associer systématiquement les personnes à la peau claire aux islamistes », a dit M. Maïga en faisant référence aux Arabes et aux Touaregs à la peau claire. « Les rapports sociaux ne sont plus ce qu’ils étaient ». Il a raconté qu’un homme soupçonné d’avoir collaboré avec les islamistes avait récemment été battu à mort sur un marché de Gao.

Toutefois, depuis que les islamistes ont été chassés de Tombouctou, Gao et Kidal, les trois plus grandes villes du Nord, des milliers de déplacés sont rentrés chez eux. Leur retour a été en partie encouragé par le gouvernement malien, qui a mis en place un programme visant à payer les frais de relocalisation et de réinstallation des fonctionnaires qui reprenaient leurs fonctions dans le Nord.

Selon l’OIM, entre janvier et septembre, environ 65 000 personnes sont rentrées à Mopti, Gao, Kidal et Tombouctou. Mais 40 000 autres ont quitté le Nord pour s’installer dans des villes du Sud, probablement à cause du manque d’opportunités économiques et des difficultés d’accès aux services essentiels.

Violence et moyens de subsistance

L’insécurité demeure une menace pour ceux qui sont rentrés dans le Nord. Fin septembre, des terroristes présumés ont mené des attaques à Tombouctou et Gao et des combattants du MNLA ont brièvement affronté les forces maliennes à Kidal.

« Le gouvernement doit garantir la sécurité, car nous n’accepterons pas d’être menés à l’abattoir », a dit Oumarou Sangaré, vétérinaire, en référence à l’attentat suicide perpétré à Tombouctou en septembre. « Nous n’allons pas sacrifier nos vies pour des [aides] à la relocalisation et la réinstallation. La ville doit d’abord être sécurisée. »

De nombreux déplacés de retour chez eux disent cependant que la sécurité s’est améliorée. Mais les difficultés financières compliquent également la relocalisation, a dit Stephanie Daviot, responsable du projet de Matrice de suivi des déplacements de l’OIM. 

« Nous avons également observé que de nombreuses personnes sont retournées dans le Nord et que, lorsqu’elles ont vu que les conditions y étaient [mauvaises], notamment l’état de leur maison ou de leur ferme [...] elles ont décidé de redescendre vers le sud, car elles n’avaient aucun moyen de survivre », a dit Mme Daviot.

D’autres sont rentrés dans le Nord après avoir été confrontés à des difficultés économiques dans le Sud. Environ 4 500 personnes réfugiées à Bamako ou dans d’autres régions sont rentrées à Gao entre août et septembre, a dit M. Traoré, de l’ACAS.

« Selon ces personnes, la principale raison de leur retour était le rétablissement de la stabilité. La deuxième raison était les difficultés économiques rencontrées dans les régions où elles avaient cherché refuge », a-t-il dit. Les problèmes cités étaient le manque d’accès à un logement décent, à l’éducation, à la santé et à la nourriture et les difficultés à s’adapter à la vie de réfugié.

Fatalmoudou Maïga, mère de cinq enfants, a dit à IRIN que quand elle était rentrée à Gao, elle avait trouvé une partie de sa maison détruite par les bombardements et l’autre partie occupée par des inconnus.

« J’ai perdu mon mari pendant l’occupation islamiste à Gao », a-t-elle dit. « Mais j’ai décidé de rentrer, car j’ai toujours vécu à Gao. C’est comme tout recommencer à zéro. Je me sens étrangère dans ma propre maison. Je ne reconnais pas ma ville, ma maison. Certains de mes voisins ont rejoint les rebelles [...] Ce sont eux qui ont volé mes animaux. »

La vie économique a également été perturbée avec le départ de nombreux Touaregs et Arabes, qui détenaient la majorité des activités commerciales du Nord. M. Maïga, de l’ACAS, a expliqué que les prix des produits de base, comme le thé, les dattes, le sucre, l’huile et la farine, avaient augmenté.

« La confiance entre les différents groupes a diminué et les gens réalisent donc moins d’échanges commerciaux entre eux », a dit M. Cockburn.

Ibrahim Boubacar Keïta, le nouveau président du Mali, a promis de trouver des solutions aux facteurs qui ont conduit au renversement de son prédécesseur et à la prise de contrôle de la moitié nord du pays par les rebelles.

Source : http://www.irinnews.org