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Le processus de paix malien est-il menacé ?

D 23 mai 2015     H 05:56     A IRIN     C 0 messages


BAMAKO - Ces dernières années n’ont pas été de tout repos pour le Mali, qui a connu une déclaration d’indépendance, un coup d’État, une mutinerie, une prise de contrôle du nord du pays par les groupes islamistes, une intervention militaire française, une crise d’otages, une guérilla, un accord de paix préliminaire et, enfin, un cessez-le-feu au mois de février.

Compte tenu de l’ampleur des bouleversements, il n’y a rien d’étonnant à ce que ces deux derniers points – l’accord de paix et le cessez-le-feu – soient aujourd’hui gravement menacés.

Les rebelles touaregs se battent de longue date pour l’indépendance - ou tout au moins l’autonomie accrue - d’un grand territoire du nord du Mali qu’ils appellent Azawad. Les séparatistes font traîner la ratification du dernier accord de paix en date, et des affrontements récents ont amené le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, à signaler que la situation menaçait de se dégrader.

Voici un récapitulatif des événements ayant conduit à la situation actuelle, et de ce que l’on est en droit d’attendre de la suite :

COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ?

Depuis des décennies, le schéma habituel est le suivant : une rébellion touarègue suivie de pourparlers de paix, puis un mécontentement grandissant et une reprise du conflit. Les enjeux ont toutefois pris une nouvelle dimension avec la guerre civile libyenne de 2001, lors de laquelle de nombreux rebelles touaregs ont combattu comme mercenaires. Ils en sont revenus plus expérimentés et plus lourdement armés.

Critiqué pour la manière dont il a géré la rébellion, le président Amadou Toumani a été écarté du pouvoir par un coup d’État en mars 2011, ce qui a donné l’occasion aux rebelles touaregs de s’emparer de plusieurs villes du nord avec l’aide d’un nombre croissant de groupes d’insurgés islamistes.

Les Touaregs ont proclamé l’indépendance de l’Azawad, et les islamistes ont entrepris d’y imposer la charia. Le gouvernement provisoire a lancé un appel à l’aide, et l’armée française a pris l’initiative de l’opération Serval visant à bouter les combattants islamistes hors du nord du Mali. La mission a pris fin en juillet 2014, et a été remplacée par une opération antiterroriste couvrant toute la région du Sahel, conduite par la France depuis le Tchad.

Pendant ce temps, les rebelles touaregs avaient repris la ville de Kidal, dans le nord, en mai 2014. Cette défaite, ainsi que l’avancée consécutive des rebelles vers le sud - en direction de la capitale régionale, Gao, et de Menaka, à la frontière avec le Niger - ont convaincu le gouvernement malien de lancer une nouvelle tentative de paix.

Le président Ibrahim Boubacar Keïta et les observateurs institutionnels avaient bon espoir qu’un accord serait trouvé le mois dernier, au terme de huit mois d’intenses négociations.

Mais la coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) - une coalition de factions rebelles touarègues et de groupes séparatistes arabes et peuls - a refusé de signer en arguant que l’accord ne répondait pas à leurs revendications concernant « une entité géographique, politique et juridique ».

QUELLES SONT LES QUESTIONS EN SUSPENS ?

En substance, le dernier accord propose d’accorder davantage de pouvoir et de ressources au nord, sans toutefois aller jusqu’à lui garantir une autonomie politique complète.

Plutôt que d’autoriser une entité indépendante composée des trois régions du nord (Gao, Kidal et Tombouctou), l’accord souligne la nécessité d’une réconciliation au sein du Mali, présenté comme une nation séculaire devant rester unie.

« C’est un compromis qui ne répond pas aux revendications »
L’accord propose de donner plus de pouvoir aux assemblées régionales élues et aux dirigeants du nord, ainsi que d’offrir une représentation accrue aux nordistes au sein des institutions gouvernementales.

D’après les observateurs, l’emploi de l’expression « identité séculaire » viserait à tempérer les aspirations des rebelles.

« C’est un compromis qui ne répond pas aux revendications des rebelles portant sur un Azawad indépendant ou un Mali respectant la charia », a dit Benjamin Soares, chercheur principal au Centre d’étude sur l’Afrique de Leyde, à IRIN.

OÙ EN EST-ON EXACTEMENT ?

Bruce Whitehouse, un anthropologue culturel de l’université Lehigh, en Pennsylvanie, est d’avis que l’écart entre le gouvernement et les rebelles n’a jamais été aussi grand.

« Il y a des factions dans les deux camps qui sont opposées à la moindre concession », a-t-il dit à IRIN. « Nous avons toujours su qu’un grand nombre des militants séparatistes de base ne consentiraient jamais à moins que l’indépendance. Dans le même temps, l’opposition suscitée par l’accord s’est faite de plus en plus véhémente à Bamako. »

Tandis que le gouvernement et les rebelles du nord tergiversent, la situation sécuritaire continue de se dégrader.

« Tout nouveau retard dans la ratification et la mise en œuvre de l’accord de paix ne peut que profiter aux groupes terroristes, dont les menaces sur le terrain s’intensifient [avec] la population comme principale victime », a dit Radhia Achouri, porte-parole de la MINUSMA – l’opération de maintien de la paix des Nations Unies au Mali – à IRIN.

L’Algérie (le principal médiateur), la MINUSMA, l’Union africaine, la France et les voisins du Mali envisagent tous l’accord de paix comme une étape indispensable vers un rétablissement de l’ordre et de la sécurité dans le nord.

Le retard enregistré s’est traduit par une reprise des conflits entre les groupes d’insurgés et l’armée malienne, des affrontements intercommunautaires, le retrait des forces de sécurité de différentes zones, et une recrudescence des attaques visant les travailleurs humanitaires et les civils.

Face à l’incapacité de trouver une solution à la crise, la frustration grandit et alimente l’extrémisme islamiste. D’après les sources sécuritaires de la région, des groupes comme Ansar Dine et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ont intensifié l’enrôlement de jeunes chômeurs exaspérés par la situation actuelle.

QUE NOUS RÉSERVE LA SUITE ?

Le Conseil de sécurité des Nations unies a instamment enjoint les trois principaux groupes séparatistes à ratifier l’accord le 15 mai au plus tard, sous peine de s’exposer à des sanctions.

Lundi dernier, un porte-parole de la CMA a dit que les rebelles étaient disposés à signer l’accord élaboré lors de réunions à Alger en février, mais qu’une poursuite des pourparlers était auparavant nécessaire.

L’une des différences essentielles entre cet accord de paix et les précédents est la forte implication de la communauté internationale, qui a joué un rôle plus important dans la phase de négociations et s’est engagée à traduire tout cela dans les faits lors de la phase de mise en œuvre à venir.

« Parvenir à un accord est le plus facile »
Gilles Yabi, du groupe de réflexion ouest-africain WATHI, a dit que la communauté internationale - en particulier les voisins du Mali – faisait clairement pression sur les différents camps. « Quiconque refuserait de signer l’accord négocié à Alger serait tenu pour responsable de l’échec du processus de paix », a dit M. Yabi à IRIN.

Cependant, même si l’accord de paix devait être ratifié d’ici le 15 mai, il ne s’agit que de la première étape. Dans le passé, la mise en œuvre des accords a pris plus de trois temps, pour finalement se solder par un échec en raison d’une lutte d’influence entre différentes factions.

« Parvenir à un accord est le plus facile, la difficulté résidera dans sa mise en œuvre et c’est pour cette raison que les accords de paix antérieurs ont échoué », a dit M. Yabi à IRIN.

Le désarmement et la réintégration des combattants touaregs dans l’armée malienne pourraient contribuer à accélérer le processus. Cependant, les affrontements en cours et les tentatives du gouvernement de mobiliser les milices arabes et touarègues fidèles à Bamako ont gravement ébranlé la confiance entre les différents camps.

« Même si les groupes armés signent l’accord, qui prévoit le désarmement sous un délai d’un an, il est peu probable que les rebelles rendent les armes avant que les réformes politiques soient en place », a dit M. Yabi, qui pense que les changements structurels élémentaires prendront à eux seuls jusqu’à 18 mois.

Quel que soit le déroulement des prochaines semaines, le processus de paix au Mali a encore un long chemin devant lui.