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MALI : aux côtés des populations

D 29 avril 2012     H 05:12     A Paul Martial     C 0 messages


Le coup d’État du capitaine Sanogo qui a destitué le
président malien, Amadou Toumani Touré (ATT), a mis en
lumière le profond malaise que vit le Mali et qui s’inscrit
dans la crise plus générale que connaît l’Afrique de l’Ouest,
comme en témoignent les mutineries et les importantes
mobilisations sociales au Burkina Faso, les grèves générales au
Nigeria, les manifestations contre Wade au Sénégal, etc.

La situation au Nord Mali

La faiblesse de l’État dans la région du Nord Mali est notoire,
puisqu’elle est devenue au fil du temps une base de repli pour les
organisations islamistes radicales plus ou moins liées à AQMI et
une plaque tournante des trafics en tous genres y compris celui
de la drogue. En effet, on se souvient, en novembre 2009, de
l’affaire du Boeing, provenant d’Amérique Latine avec plus de 10
millions de tonnes de cocaïne, qui s’est posé et ensuite a été
abandonné à Taskint.

Indéniablement, le Mali s’est révélé le maillon faible dans la crise
sahélienne qui a considérablement empirée depuis la chute de
Kadhafi. Les conséquences dans la région sont nombreuses, la
première est l’afflux important de réfugiés subsahariens qui ont
fui les nombreuses exactions racistes en Libye. La plupart était
des travailleurs immigrés qui subvenaient aux besoins de leurs
familles restées au pays. Aujourd’hui, cette manne financière est
supprimée et des pays comme le Niger, le Mali, le Tchad ou le
Burkina Faso doivent faire face à cet afflux de travailleurs,
rendant encore plus précaires des économies déjà chancelantes.

La seconde est la diffusion massive des armes dans la région. En
effet, la Libye possédait en grand nombre des stocks d’armes
allant des fusils d’assaut aux missiles très sophistiqués tel que
des SAM7 en passant par des roquettes. Nombre de ces stocks
ont été pillés fournissant ainsi les combattants.[1]
Cette situation explique la puissance militaire du MNLA
(Mouvement National de Libération de l’Azawad), résultat du
regroupement de plusieurs organisations touarègues, qui possède
un armement supérieur à l’armée malienne et compte des
combattants aguerris qui connaissent parfaitement le terrain.

Même si la presse internationale s’en fait peu écho, la troisième
conséquence est la crise alimentaire qui s’annonce et risque de
déboucher très rapidement sur des situations de famine dans
certaines régions. Les organisations humanitaires estiment que,
dans la région sahélienne, neuf millions de personnes dont trois
millions de Maliens sont victimes de l’insécurité alimentaire due
aux mauvaises récoltes de 2011 et à la hausse des prix
alimentaires qui est du niveau de 2008, date des émeutes de la
faim.[2]
Rappelons que le Sahel reste l’endroit où la mortalité infantile est
la plus élevée du monde.

La guerre avec le MNLA

Beaucoup ont reproché à ATT de n’être pas intervenu et d’avoir
laissé les combattants surarmés venant de Libye s’installer
tranquillement au Nord Mali. Quant à la diplomatie française, elle
caressait l’idée de se servir de ces combattants bien armés et
bien entraînés pour faire le coup de force contre les islamistes
d’AQMI, suppléant ainsi à l’inefficacité de l’armée malienne. Cette
mansuétude s’est révélée désastreuse et le MNLA a vite montré
que son principal objectif était l’indépendance de l’Azawad et sa
principale cible le pouvoir central de Bamako.

Le Mali est en guerre, une guerre qui ne dit pas son nom et a
révélé l’incapacité de son armée à faire face aux offensives. Les
officiers supérieurs sont accusés d’être corrompus et de
détourner l’argent destiné aux soldes des soldats, mais aussi à
l’achat du matériel. Ainsi les soldats maliens sont dans
l’incapacité de résister aux assauts des troupes du MNLA par
manque de munitions, incapables de mobilité du fait des
déficiences en fourniture de carburants. Seule solution pour les
soldats la fuite, camouflée dans les communiqués de presse
officiels, par l’expression de « retraits tactiques ».

Mais les officiers supérieurs sont aussi accusés d’être les
complices des différents trafics qui ont lieu dans la région, ce qui
leur permet d’afficher à coup de villas et de véhicules 4/4
flambant neufs, une richesse insolente comparée aux conditions
de vie des hommes de troupes.
Aujourd’hui, les troupes du MNLA mais aussi celles d’Ançar Din,
groupe islamique, avancent inexorablement gagnant villes et
villages un par un. Un des porte-parole du MNLA annonçait même
que l’armée malienne n’existe plus dans le Nord Mali[3].
Les pays occidentaux et Amadou Toumani Touré

Si ATT a été adoubé par les pays occidentaux pour son
comportement de démocrate quand il a rendu le pouvoir aux
civils après avoir renversé la dictature de Moussa Traoré, il est
nécessaire de rappeler que ce coup d’État s’est déroulé dans un
climat de lutte et de mobilisation populaire intense contre le
pouvoir et c’est précisément cette situation qui a rendu possible
politiquement le renversement de Traoré.

Mais ATT a vite agacé d’abord par son refus d’entériner l’accord
de gestion concertée des flux migratoires, dont le but est de
faciliter les reconduites à la frontière, par les flics français, des
ressortissants maliens sans papiers. Ce refus-là doit aussi être
placé dans le contexte de la lutte des expulsés maliens qui
rencontre la sympathie de la population du pays. ATT est
considéré comme un « extrémiste de l’indécision » par les chancelleries occidentales. États-Unis et France, pour des raisons
légèrement différentes, l’un voit d’un mauvais oeil ses objectifs
d’éradiquer le terrorisme islamiste obstrués par un ATT qui
considère que cette guerre n’est pas celle du Mali, l’autre veut
préserver son assise sur la région et accepte difficilement qu’ATT
ait toujours refusé obstinément d’accueillir des troupes françaises
sur le sol national. Le président malien a toujours préféré la
négociation, voire même un modus vivendi avec les différentes
organisations armées du Nord Mali.

Dans le même temps, les multinationales enragent de ne pas
pouvoir piller les richesses minérales du fait de l’instabilité
politique et sécuritaire. En effet, dans cette région se trouvent de
l’uranium, comme au Niger, mais aussi du plomb et du zinc.

Le coup d’ État comme solution ?

Provenant de la caserne de la ville de Kati, à une quinzaine de
kilomètres de Bamako, la mutinerie s’est transformée en un coup
d’État, a priori pas ou peu préparé. Un coup d’État mené par les
hommes de troupes avec très peu d’officiers, ce qui traduit
l’exaspération des soldats envoyés au front, dans une guerre
contre le MNLA, totalement impréparée. A l’humiliation des
défaites successives, s’est ajouté le traumatisme des massacres
d’Aguel Hoc, où des soldats prisonniers de guerre ont été égorgés
ou tués d’une balle dans la tête. Déjà les prémisses de cette crise
existaient, quand, fait inédit, des femmes de soldats étaient
descendues dans la rue pour exiger des munitions pour les
soldats et des nouvelles de leurs conjoints disparus.

Ce coup d’État qui s’est déroulé un mois avant l’élection
présidentielle, à laquelle ATT ne concourait pas, divise le Mali tant
au niveau politique, syndical que dans la société civile. Deux
fronts se sont constitués aux objectifs totalement opposés. Le
premier, le Front uni pour la sauvegarde de la démocratie et la
république (FUSADER), est opposé au putsch. Il est composé des
partis politiques qui soutenaient ATT à l’Assemblée nationale et
des deux principales organisations syndicales des travailleurs dont
les locaux à la bourse du travail ont été saccagés et un des
dirigeants molesté. L’autre, à l’initiative du parti SADI (Solidarité
africaine pour la démocratie et l’indépendance) a fondé le
Mouvement populaire du 22 février qui se veut le pendant
politique du Comité national pour le redressement de la
démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE), expliquant que
les putschistes n’ont fait que renverser un simili de démocratie et
qu’il s’agit avec ce coup d’état de refonder une véritable
démocratie politique et sociale.

La manifestation en soutien aux putschistes appelée par les
organisations du Mouvement populaire du 22 février a rassemblé
entre 20 et 30 000 manifestants, ce qui est important pour
Bamako. Cela traduit l’exaspération des populations qui ne
bénéficient pas, loin s’en faut, d’une croissance économique qui
avoisine les 5%[4].

En effet, les produits de première nécessité ainsi que le prix de
l’énergie ont considérablement augmenté, les services publics
sociaux, comme la santé ou l’éducation, sont dans un état de
délabrement inconnu depuis des années. Alors que dans le même
temps une petite caste de privilégiés protégés par ATT
s’enrichissait à coup de corruption, de trafic et de spéculation sur
les denrées alimentaires, notamment le riz.

Mais cette situation impose prudence et vigilance. En effet,
comme le fait justement remarquer le Parti communiste du
Bénin[5] dans sa déclaration, les militaires mutins se sont
imposés comme les sauveurs au pays et à la population sans que
cette dernière connaisse et a fortiori soit partie prenante de
l’élaboration d’un programme politique ou du moins des
revendications d’urgence à mettre en place. La preuve en est la
constitution provisoire qui a été mise en place sans aucune
discussion. Ce coup d’État, comme tous les autres, s’est fait au
nom des populations, mais en les laissant totalement passives et
absentes dans la conduite de leurs destinée. C’est précisément
cette erreur originelle qui est dangereuse, car elle ne peut que
favoriser l’autonomisation des militaires au pouvoir, et en
l’absence de contrôle, de possibilité de révocation par la
population, générer une caste prête à tout pour conserver le
pouvoir.

Le cas guinéen est symptomatique de cette dérive. La junte,
conduite par Dadis Camara, qui a pris le pouvoir à la mort du
dictateur Lansana Conté, était acclamée au début par la
population, car elle était censée porter un projet populaire Elle
s’est vite transformée en junte dictatoriale qui a pris fin dans un
terrible massacre de manifestants au stade de Conakry en
septembre 2009.

Le résultat d’une politique

Les avancées récentes, suite aux offensives du MNLA et des
islamistes, auraient pu faire bouger les lignes. Du côté du
CNRNDE, on se prononce pour le rétablissement des institutions ;
les négociateurs de la CDEAO ne font pas un préalable du retour
d’ATT au pouvoir, ils réclament seulement le retour à l’ordre
constitutionnel, donc la possibilité d’une transition dirigée, par
exemple, par le président de l’Assemblée nationale, après une
démission d’ATT qui a lui-même indiqué qu’il était ouvert à toutes
solutions susceptibles de régler le problème.

Le front, constitué par des organisations politique, syndicale et de
la société civile, est prêt à travailler à une union nationale pour
défendre l’unité du Mali. A l’heure où nous écrivons la junte vient
d’accepter contre une impunité pour ses membres de revenir à
l’ordre constitutionnel.

Les pays occidentaux mesurent la gravité de la situation et le
danger d’un vaste territoire contrôlé par les rebelles du MNLA et
certains groupes islamiques. Ces mêmes pays, via le FMI et la
Banque Mondiale, qui ont passé le plus clair de leur temps à
imposer les ajustements structurels qui ont affaibli les États, à
soutenir des chefs d’État corrompus et à fermer les yeux sur le
sous-développement de régions entières de pays qui ne pouvait
générer que frustration et violence voient sous leur yeux le
résultat de leur politique. Pour notre part, nous sommes opposés
à toute politique qui pourrait aggraver la situation des
populations, et l’intervention militaire de la CEDEAO en font
partie.

Paul Martial

 [1] Voir Notes Internacionals CIDOB n°44, janvier 2012 [2] http://www.afriquesenlutte.org/afrique-de-l-ouest/mali/article/sahel-lesrefugies-
maliens
 [3] Interview de RFI au journal Afrique de 8 h 30 le 28/3/20012
 [4] La croissance pro-pauvre au Mali, Agence
Française de Développement
 [5] http://www.afriquesenlutte.org/afrique-de-l-ouest/mali/article/un-putsch-qui-ne-peut-rien