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Mali : Entre deux maux

D 13 août 2013     H 09:16     A     C 0 messages


12 août 2013

Entre deux maux il faut choisir le moindre. Tel est le proverbe et, telle est la position adoptée par le parti SADI et rendue publique le cinq août dernier au cours d’une conférence de presse dans les locaux de radio Kayira à Bamako.
Le résultat du premier tour des élections présidentielles a-t-il conduit à choisir entre deux maux : la peste ou le choléra ? Les deux termes qui concluent habituellement le proverbe cité.

Le parti SADI, à l’écoute de la populations malienne a appelé à voter pour Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, le candidat du RPM (Rassemblement Pour le Mali), en considérant qu’il fallait s’assurer de barrer la route à la réaction la plus conservatrice représentée par Soumaïla Cissé, candidat de l’URD (Union pour la République et la Démocratie). Ce contexte électoral rappelle celui qui a permis à François Hollande, candidat par défaut du Parti Socialiste français, d’accéder au pouvoir en France. Après l’élimination de la scène politique de Dominique Strauss Kahn, François Hollande avait, lui aussi, comme IBK aujourd’hui, appelé à voter pour sa candidature sur la base d’une promesse de changement. Changement qu’il n’a jamais eu l’intention de mettre en application mais qui lui a permis d’exploiter le désir de la majorité des électeurs de voir Nicolas Sarkozy quitter le pouvoir et l’Élysée.

Las des huit années de pouvoir d’ATT et de ses amis, mandature qui a conduit le pays à son effondrement, les électeurs, tout au moins ceux qui ont pu voter, se sont exprimés majoritairement pour le candidat de l’URD dans le but de se débarrasser de cette clique politicienne liée à l’ancien pouvoir.

Le Président Hollande peut affirmer sa satisfaction : IBK, président, voici élu à Bamako un représentant de l’Internationale Socialiste et, pas des moindres puisqu’il a assumé par le passé la responsabilité de vice président de cette organisation. Rapidement le peuple malien et ses électeurs vont être confrontés à la réalité imposée par la social-démocratie internationale : en fait de changement, seront appliquées rigueur et continuité de la politique économique précédente. Il leur sera demandé de respecter et de financer tous les engagements contractés antérieurement par ATT sous les gouvernements français d’alors, de Chirac à Sarkozy, et ils découvriront, tout aussi rapidement que les électeurs français, que le terme de changement n’a guère plus de valeur qu’un slogan publicitaire.

Mais existe-t-il seulement une véritable différence qui départage les politiques de l’un ou de l’autre des candidats ? Dans quel palais la politique nationale malienne est-elle décidée : Koulouba ou l’Élysée ? Si l’on doit se fier à un article, signé par Jean-Christophe Cambadélis, publié dans la lettre (socialiste) n°63 en date du 5 avril 2012, il y a lieu de s’interroger sur l’autonomie de décision de n’importe quel président malien vis-à-vis de la – très forte- influence élyséenne. En effet, à la fin de cet article intitulé Le Sahel va s’enflammer le lecteur apprend : « Nous apportons notre soutien à nos partis frères maliens, l’ADEMA-PASJ et le Rassemblement pour le Mali (RPM) ».1

Aujourd’hui, l’ADEMA-PASJ constitue la principale composante de l’URD et Ibrahim Boubacar Keïta est toujours le n°1 du RPM. À l’issue du second tour des élections, la question se pose donc : existe-t-il une différence notable et sérieuse entre les deux candidats puisque tous deux ont reçu la bénédiction du PS ?

Cette élection révèle, comme tant d’autres élections qui se sont déroulées dans le monde des démocraties bourgeoises occidentales, que le phénomène de bipolarisation de la classe politique est une caractéristique constante de ce type de régime politique.

En cela, au Mali comme en France, par exemple, les élections ne font que mettre en évidence et réaffirmer la validité de la critique portée par Engels et les socialistes de son époque à propos des élections et de la classe politique qui monopolise le pouvoir :

« Nulle part les “politiciens” ne forment un clan plus séparé et plus puissant de la nation, qu’en Amérique du Nord, précisément. Là, chacun des deux grands partis, à qui, tour à tour revient la domination, est lui-même dirigé par des gens qui font de la politique une affaire, spéculent sur les sièges dans les assemblées législatives de l’Union comme dans celle des États séparés, ou qui vivent de l’agitation pour leur parti et sont récompensés avec sa victoire par des places. On sait bien comme les Américains cherchent depuis trente ans à secouer ce joug devenu insupportable, et comme, malgré tout, ils s’enfoncent toujours plus profondément dans ce marais de la corruption. C’est précisément en Amérique que nous pouvons le mieux voir comment se passe le développement de l’indépendance de la puissance de l’État envers la société, dont à l’origine, elle ne devait être que le simple instrument. Ici, n’existe ni dynastie, ni noblesse, ni armée permanente (à part les quelques soldats pour la surveillance des Indiens), ni bureaucratie avec postes fixes et droits à la retraite. Et pourtant, nous avons là deux grandes bandes de spéculateurs politiques, qui tour à tour, prennent possession de la puissance de l’État et l’exploitent avec les moyens les plus corrompus et pour les buts les plus éhontés, et la nation est impuissante en face de ces deux grands cartels de politiciens qui sont, prétendument, à son service, mais qui, en réalité, la dominent et la pillent.2

Ainsi, faut-il reconnaître que la question du pouvoir et de son détournement à des fins particulières n’est ni un fait unique au Mali, ni même un fait nouveau. C’est pourquoi il importe d’affirmer que la tenue d’une élection n’est pas, en soi, une solution.

L’élection qui vient de se dérouler ne permet que de remettre en place un pouvoir qui, d’une manière ou d’une autre, sera contraint de répondre en priorité aux exigences du FMI, de la Banque Mondiale, aux sociétés minières venues piller le pays, à la France et à son gouvernement venu imposer ses produits et marchandises pour tenter de trouver une solution à sa propre crise comme ce fut le cas au XIXe siècle avec la colonisation européenne.

La tenue de ces élections organisées en temps de guerre – le MNLA maintenant ses exigences, on ne peut pas parler actuellement de situation de paix – situation de précarité à laquelle il faut ajouter le grand nombre de personnes déplacées à l’intérieur comme à l’extérieur du pays a été imposé par la France, les USA et les puissances occidentales qui leurs sont associées.

Ces élections, comme ils n’ont d’ailleurs, eux-mêmes, eu de cesse de le proclamer, constituent un acte à caractère juridique. Acte juridique en cela que du point de vue des puissances impérialistes ces élections ont pour but d’asseoir à la présidence du pays un dirigeant et un gouvernement dont les signatures au bas des documents rédigés et présentés par ces mêmes puissances seront une garantie de la sauvegarde de leurs intérêts miniers, militaires ou financiers.

Les préoccupations quotidiennes des populations maliennes telles que la paix et l’intégrité du pays, la lutte contre la famine et la malnutrition, l’accès à l’eau ou le droit à l’éducation sont des problèmes hérités de l’époque de la colonisation. Au même titre que les rébellions touaregs successives sont un héritage de cette époque, même si on doit également considérer que le colonisateur avait lui-même hérité de cette situation. Le rôle de la colonisation est suffisamment important dans les bouleversements des sociétés subsahariennes antérieures pour déterminer une datation historique au même titre que la Révolution française de 1789 détermine un moment et une date particulière dans l’histoire de France. C’est pourquoi l’analyse de la situation d’aujourd’hui doit être étudiée dans un cadre plus étendu que celui du Cinquantenaire et du caractère de proximité dans le temps de la chute du régime d’ATT.

Or, ces élections ont montré au travers des programmes électoraux des deux candidats l’absence de projet sérieux de société, aucun des problèmes de fonds qui se posent au Mali a été exposé et développé par les candidats en lice pour le second tour. Il est donc tout à fait improbable que le président nouvellement élu puisse répondre à la demande de changement que le peuple et la situation historique exigent au Mali.

Une élection ainsi que l’attribution de la responsabilité présidentielle à l’un des candidats ne peuvent suffire à poser toutes les questions et résoudre tous les problèmes auxquels est confronté le Mali. Seul un forum national où s’exprimeraient toutes les sensibilités politiques et religieuses, les forces syndicales et sociales du pays, les forces productives, les paysans et les artisans, en un mot l’ensemble de la population pourrait permettre de poser l’ensemble des questions auxquelles la nation malienne se trouve confrontée et tenter d’apporter les réponses et les solutions attendues par le peuple.

Le droit et la législation internationale prônés par la France et les États-Unis n’ont qu’une faible correspondance avec les souhaits et besoins de l’immense majorité de la population malienne. C’est pourquoi une élection n’est pas une solution en soi. La revendication de la tenue de ce forum national demeure donc une revendication incontournable pour édifier la société malienne de ce début de XXIe siècle.

Pierre Banzet
Correspondant de radio Kayira
12 août 2013

1 – On apprend également à la lecture de ce document daté du mois d’avril 2012, c’est-à-dire en pleine offensive de la rébellion touareg associée aux djihadistes d’Al Qaïda que « Le MNLA ne revendique que l’indépendance d’un territoire, l’Awazad » laissant supposer que cette revendication est une revendication mineure par rapport à la question des revendications d’islamisation du pays.
On y apprend encore que : « Cette rébellion touareg touche notre camarade Mahamadou Issoufou ». Décidément la politique française dans cette partie de l’Afrique relève d’un simple problème de bonne entente entre « camarades ». Tonton François, tonton Laurent : on se téléphone et on se fait une bouffe !

2 – Friedrich Engels, “Pour le 20e anniversaire de la Commune de Paris, Londres 18 mars 1891. Extrait de l’Introduction à la réédition de l’ouvrage “La guerre civile en France 1871 – La Commune de Paris) – Éditions Sociales – Paris 1946