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MALI : Malnutrition - inquiétante dans le Nord, en augmentation dans le Sud

D 21 septembre 2012     H 05:46     A IRIN     C 0 messages


BAMAKO/MOPTI - L’hôpital de référence de Koutiala, situé dans la région de Sikasso au sud-est du Mali, accueille 300 enfants. Entassés dans une pièce, la plupart de ces enfants atteints de malnutrition sévère avec complications - bon nombre d’entre eux souffrent également de paludisme - reçoivent des transfusions sanguines. « Cela fait plusieurs années que je travaille ici, mais je suis toujours étonnée quand je les vois », a dit Johanne Sekkenes, chef de mission pour l’organisation non gouvernementale (ONG) Médecins sans Frontières à Bamako, la capitale du pays.

Le problème n’est pas nouveau. En 2011, 12 000 enfants souffrant de paludisme et de malnutrition ont été hospitalisés à Koutiala, tandis que le centre de soins local a effectué 85 000 consultations. « Il n’y a pas d’hôpital pédiatrique suffisamment important dans la région du Sahel pour soigner tous ces enfants », a dit Mme Sekkenes.

L’établissement n’a pas été conçu pour hospitaliser 300 enfants, mais il peut en accueillir 350, si nécessaire, pendant la saison des pluies et la saison maigre, qui sont caractérisées par un pic de paludisme. « La plupart de nos interventions sont réalisées sur une période de trois à six mois », a dit Mme Sekkenes. MSF soigne les enfants souffrant de malnutrition aigüe avec ou sans complications dans l’un des cinq centres de soins communautaires et à l’hôpital de référence de Koutiala.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies estime que 1,7 million de Maliens sont menacés par la faim en raison de la sécheresse, du prix élevé des produits alimentaires, de la détérioration des termes de l’échange relatifs au bétail et de l’insécurité liée au conflit. Ces facteurs affectent le taux de malnutrition qui est toujours beaucoup trop élevé au Mali.

L’enquête nutritionnelle (intitulée SMART) réalisée par le gouvernement en 2011 a conclu que 150 000 enfants souffraient de malnutrition aigüe ; selon les estimations de MSF, 30 000 d’entre eux étaient soignés par des agences d’aide humanitaire et les établissements publics. « Qu’en est-il des autres ? », a demandé Mme Sekkenes.

Le Nord : situation « anormale » à Kidal

Il est difficile d’évaluer l’ampleur de la malnutrition à Kidal, Tombouctou et Gao, des villes situées dans les territoires du nord du Mali désormais aux mains de groupes islamistes affiliés à Al-Qaïda. Les travailleurs humanitaires sont pour l’instant dans l’incapacité de se rendre dans les communautés pour faire passer des tests de dépistage (dépistage actif) aux enfants ; ainsi, seuls ceux qui se rendent dans les centres de soins de santé font l’objet d’un dépistage (dépistage passif).

« Bien souvent, cela entraîne une aggravation des taux de malnutrition [.] [ Néanmoins] ce qui se passe à Ménaka et à Kidal n’est pas normal », a dit Olivier Vandecasteele, coordinateur de Médecins du Monde (MDM) au Mali. Cette ONG est la seule à soigner la population de la région de Kidal. « [Les] taux de malnutrition sévère y sont très élevés ».

Les taux de malnutrition sont traditionnellement plus bas dans la région de Kidal que dans les territoires situés plus au sud, car les enfants de pasteurs ont un régime alimentaire relativement riche en protéines, leur consommation de lait et de viande étant importante. Mais les crises auxquelles les pasteurs sont confrontés - leurs animaux meurent ou sont trop faibles pour être vendus, l’accès aux pâturages est limité suite aux catastrophes naturelles ou aux retombées du conflit, et les prix des céréales sont excessivement élevés - ont des conséquences sur leur santé.

Réponse lente

Dans le Nord, la réponse à la crise humanitaire est lente, parce qu’il est difficile d’intervenir dans cette région - les opérations nécessitent une gestion à distance, la formation de nouveaux personnels, l’organisation de négociations avec des personnes qualifiées de « responsables » parce qu’elles sont armées, l’assurance que l’aide n’est pas « siphonnée », et ainsi de suite - et parce qu’il y a un déficit d’information sur les besoins, a dit M. Vandecasteele.

Malgré ces complications, il est urgent de renforcer l’aide rapidement, a-t-il prévenu.

La semaine prochaine, MDM réalisera un dépistage actif de la malnutrition dans le cadre d’une campagne de vaccination organisée dans la région de Kidal, mais le personnel de l’ONG Action contre la faim (ACF), qui répond aux besoins en matière de nutrition à Gao, située plus au sud, a indiqué qu’il était pour l’instant impossible de le faire en raison de l’insécurité qui règne dans la région.

« Nous ne connaissons pas les [actuels] taux de malnutrition », a dit Florence Daunis, directrice des opérations à ACF. Le personnel de l’ONG présent dans le Nord n’intervient qu’à l’hôpital de Gao et dans les centres de soins les plus importants. « Nous savons seulement que nous avons accueilli beaucoup d’enfants malnutris dans les centres de référence ».

Dans le Nord, les capacités relatives à la médecine ont été considérablement réduites depuis la mainmise des groupes islamistes sur la région en avril : bon nombre de travailleurs de la santé se sont enfuis et des dizaines de centres ont été mis à sac, a indiqué le personnel du ministère de la Santé.

Moulaye Djiteye, Directeur de la médecine à l’hôpital de Gao, a indiqué qu’une grande partie de ses 150 employés sont partis et qu’ils ont été remplacés par 138 nouveaux employés, des volontaires pour la plupart. Mamadou Ballo, le responsable de la décentralisation au sein du ministère de la Santé, a dit que plus d’une dizaine de centres de santé du nord-est de la région - Kidal, Tombouctou et Gao - ont été pillés.

Le nombre de cas de malnutrition est moins important dans le Nord, qui compte peu d’habitants, que dans le Sud, mais « on peut tout de même parler de crise », et MSF se concentre actuellement sur la santé et la nutrition à Tombouctou, a dit Mme Sekkenes.

Bamako : augmentation de la malnutrition

La malnutrition commence à toucher les populations du Sud. Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) va bientôt réaliser des évaluations dans le domaine de la nutrition (SMART) dans cette région. ACF vient de communiquer les résultats de l’évaluation menée dans les six communes de la capitale Bamako : ils montrent que 10,3 pour cent des enfants âgés de moins de cinq ans souffrent de malnutrition aigüe sévère - contre 8,4 pour cent en 2011 - tandis que 8,5 pour cent sont dénutris, et 14,7 pour cent souffrent d’un retard de croissance.

Le taux d’admission des enfants malnutris dans les centres de soins augmente de semaine en semaine, a dit Abdias Ogobara Dougnon, directeur du programme de nutrition d’ACF à Bamako, et au regard du nombre d’habitants que compte la ville, les chiffres représentent un nombre de cas très important ».

Florence Daunis, directrice des opérations à ACF, a indiqué que l’ampleur du problème de la malnutrition est souvent cachée dans la capitale. L’aide alimentaire d’urgence et les bons de réduction sont distribués à une partie des dizaines de milliers de déplacés originaires du Nord qui ont fui à Bamako, mais les habitants vulnérables à long terme n’en reçoivent pas suffisamment. ACF et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) couvrent une partie de quatre des six communes de la ville. Le PAM lancera un programme de nutrition à Bamako en septembre.

Opportunité

L’aide doit être renforcée, mais la crise constitue également une « opportunité » dans le domaine de la nutrition, car plusieurs agences expérimentées qui interviennent dans le domaine de la nutrition ont organisé des opérations dans tout le pays, a dit Denis Gamer, responsable de la nutrition pour l’UNICEF au Mali.

ACF, Save the Children, World Vision, Agronomes et vétérinaires sans frontières - agriculteurs et vétérinaires sans frontière - et d’autres organismes organisent des opérations dans le Sud, tandis que MSF, l’ONG locale Aliment et MDM interviennent dans le Nord.

« S’ils assurent une présence [à long terme] et qu’ils organisent des opérations à grande échelle, nous ne devrions rencontrer que des cas de malnutrition modérée - nous pourrions mener de nombreuses campagnes de prévention et faire baisser le nombre de cas », a dit M. Gamer à IRIN. Il se prononce en faveur d’une stratégie de prévention à l’échelle du pays, projette d’établir des points focaux nutrition dans chaque région et de poursuivre les efforts de formation qui ont déjà permis de former 3 039 travailleurs de la santé dans le domaine de la nutrition.

Toutefois, le gouvernement doit s’engager pour faciliter le changement de stratégie entre les deux types d’actions : passer des réponses actives à la malnutrition à une prévention efficace. Une « section » peu importante du ministère de la Santé est chargée de la question de la nutrition et les points focaux de nutrition changent sans arrêt, tandis que les ONG fournissent la plupart des traitements de la malnutrition et prennent en charge la prévention. La politique de nutrition adoptée en 2011 n’a pas encore été mise en ouvre. « Il y a une « coupure » entre la politique et l’action », a dit M. Gamer.

La révision à la baisse du budget de la santé de 195 millions de francs CFA (365 000 dollars) en raison des suspensions des aides par les bailleurs de fonds, du moratoire sur les nouveaux investissements ou des nouvelles initiatives mises en place par la plupart des ministères, et du remaniement gouvernemental menacent de faire passer la nutrition au second plan pour les législateurs. « Les bailleurs de fonds et le gouvernement ne sont peut-être pas prêts à s’attaquer au problème de la malnutrition ici », a dit Mme Sekkenes. « Cela représente un investissement colossal à long terme [...] ils ne sont peut-être pas prêts à faire ce qu’il faut ».

Source : http://www.irinnews.org