Vous êtes ici : Accueil » Afrique de l’Ouest » Mali » Oumar Mariko : au Mali, le chemin des luttes retrouvé

Oumar Mariko : au Mali, le chemin des luttes retrouvé

D 18 février 2010     H 17:05     A Paul Martial     C 0 messages


Oumar Mariko est
député du parti
SADI (Solidarité
Africaine pour la
Démocratie et
l’Indépendance) qui est
une organisation de la
gauche radicale fondée
en 1996. Cette
organisation a été de
tous les combats,
notamment contre la
campagne de
privatisation des entreprises maliennes imposée par les institutions
financières internationales, contre l’introduction des OGM, en
solidarité avec les expulsés maliens. Ses militant-e-s animent un
réseau de radio dénommé Kayira, et les députés du parti SADI et
du PARENA (Parti de la Refondation Nationale) ont formé un
groupe parlementaire, dont Oumar Mariko est le porte-parole.

En premier lieu, peux-tu nous dire quelques mots sur le
Mali ?

Le Mali est un pays qui est présenté, sur le plan international
par les gouvernements européen et américain, comme étant un
pays très démocratique : il y a la liberté d’expression, la liberté
d’opinion, la liberté d’association. De plus le gouvernement est un
très bon élève du FMI et de la Banque Mondiale puisqu’il en
applique toutes les mesures. Pour nous, on ne peut appliquer
ces mesures et parler de démocratie, parce qu’en fait il n’y a pas
de démocratie économique. On considère aujourd’hui que c’est
un pays où il y a plusieurs partis politiques, mais ils ne dessinent
pas très clairement leurs options. En réalité quand on regarde
de plus près on s’aperçoit que la plupart de ces partis sont des
partis de droite et ceux qui se réclament de la gauche le sont
plus dans la parole que dans la pratique et dans la conception
même du développement économique, ils sont beaucoup plus à
droite. De toute façon le Mali officiel c’est un pays où s’installe
de façon très inquiétante l’impérialisme euro-américain depuis
une dizaine d’année. Déjà depuis 1985, le Mali a officiellement
opté pour le développement du secteur privé comme étant le
moteur de l’économie nationale et de 1985 à aujourd’hui c’est le
même discours officiel qui a cours et qui fait que, sans coup
férir, le Mali applique tous les diktats du FMI et de la Banque
mondiale et est au garde à vous devant les pressions françaises
et européennes.

Quelle est la situation sociale ?

La situation sociale actuelle est que le chômage va
grandissant parce qu’il n’y a pas de secteur porteur d’emplois
dans la mesure où toutes les entreprises publiques qui existaient
sont complètement liquidées, donc le chômage est réel. Les
paysans qui constituent la majeure partie du peuple, soit 95%
de la population active, connaissent de plus en plus une
paupérisation. On estime que 64% des Maliens, qui ont 380 CFA
par jour, se trouvent dans le monde rural – paysans, éleveurs et
pêcheurs – parce que l’économie est essentiellement basée sur la
pêche, l’élevage et l’agriculture. Au niveau de la classe ouvrière,
elle est très réduite et elle est dans une grande instabilité qui est
liée aussi à l’instabilité des structures industrielles existantes : çà
ouvre, çà ferme et à chaque récession économique ce sont des
licenciements, des pertes de postes, etc. L’alimentation est difficile,
avoir trois repas par jour c’est pour très peu de Maliens, l’accès
aux repas pour la majorité de Maliens dans les zones rurales, mais
aussi dans les zones péri-urbaines comme Bamako, c’est
extrêmement difficile. La misère est une réalité qui galope au Mali,
mais de l’autre coté, en face, le gouvernement qui a fait le choix
de travailler selon la doctrine des institutions financières
internationales, s’inspire de la lutte stratégique contre la pauvreté
mise en place par le FMI et la Banque mondiale pour corriger les
effets néfastes de sa politique prédatrice.

Et concernant la santé et de l’éducation ?

La santé n’est pas gratuite au Mali, bien au contraire. Et
l’éducation est de plus en plus déchargée sur le compte des
populations. La santé conventionnelle en milieu rural souffre de
deux choses : l’accessibilité financière pour les populations et
l’accessibilité physique en termes de structures existantes, c’est
l’exclusion totale car les hôpitaux qui existent à l’intérieur du pays
ne sont fréquentés par les populations que lorsqu’elles n’ont plus
le choix, donc elles deviennent des mouroirs plutôt qu’autre chose.
L’accès à l’école se fait rare quand on n’a pas d’argent on ne peut
plus y aller. Il y a deux types d’enseignements : l’enseignement
conventionnel qui est dirigé et chapeauté par l’Etat et d’accès
difficile, et il y a les écoles communautaires développées en milieu
rural dont les frais sont supportés par les parents. Ceux qui n’ont
pas d’argent ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l’école et il
arrive que la communauté ne soit pas capable de payer les
enseignants, donc ce sont des mois de chômage et les enfants ont
des scolarités au rabais et jamais achevées.

Face à cette situation difficile, comment se structure les
résistances dans le pays ?

En face de çà, vous avez une société civile dont la plupart est
contrôlée par les gens au pouvoir et il y a d’autres éléments de la
société civile qui se battent comme ils peuvent pour résister. Dans
cette société civile, il y a la chaine de radio Kayira composée de
neuf radios libres qui sont dans tous les combats pour le peuple,
l’Association Malienne des Expulsés qui existe et se bat,
l’Association Retour Travail Dignité, la Ligue pour la Justice le
Développement et les Droits de l’Homme, dont le président est un
avocat. Ce sont celles qui sont visibles dans le combat. De façon
plus timide le CAD (Comité Contre la Dette) qui existe et qui arrive
à organiser des forums pour que les gens se rencontrent et
puissent échanger leurs expériences. Mais à part celles-là, les
autres, je ne les vois pas bien dans le combat au quotidien.

Et au niveau syndical ?

Au niveau des organisations syndicales, nous avons une
aristocratie syndicale qui bloque l’avancée des luttes syndicales. Il
y a des comités syndicaux qui se battent, ceux des chemins de fer
par exemple sont sortis récemment de leur torpeur. Il y a aussi le
comité syndical des enseignants qui se bat, de temps en temps,
pour les revendications catégorielles. Mais les autres comme la
CSTM (Confédération Syndicale des Travailleurs du Mali), comme
l’UNTM (Union Nationale des Travailleurs du Mali) ces syndicats
sont complètement bouffés par l’aristocratie syndicale. C’est
beaucoup plus un syndicalisme de salon plutôt qu’un syndicalisme
de combat.

Dans ces luttes, comment se situent les partis
politiques au Mali ?

Pour les partis politiques qui se battent réellement, il y a
notre parti qui se bat vraiment dans le monde paysan et ouvrier
et pour l’indépendance et qui porte ce combat à l’Assemblée
nationale par le groupe parlementaire commun de SADI et du
PARENA (Parti pour la Refondation nationale). A ce niveau là, les
députés se battent vraiment de façon remarquable au niveau de
l’Assemblée nationale pour faire entendre la voix du peuple,
même s’ils sont extrêmement minoritaires par rapport à la
masse des députés au pouvoir. Nous sommes au nombre de
neuf députés du groupe parlementaire SADI/PARENA qui sont
rejoints très souvent dans le vote par le RPM (Rassemblement
Pour le Mali), qui est un parti social démocrate tout comme le
PARENA. Ils se battent avec nous, ce qui fait que nous sommes
au nombre de 19 députés sur les 145 de l’Assemblée nationale.
On se fait entendre sur le vote des OGM, on a tapé du poing sur
la table sur la loi des finances et sur bien d’autres lois aux effets
néfastes pour la population, mais sans avoir un véritable
retentissement, un véritable écho dans la presse. C’est
récemment qu’on commence à parler de nous, comme lorsque
nous nous sommes battus pour que les manques des
entreprises publiques ne soit pas inscrits dans le budget
national.

Comment analyserais-tu la situation politique ?

Je sens, de plus en plus, un bouillonnement au sein du
peuple qui cherche des perspectives. Hier il y avait beaucoup de
langage qui ne passait pas, beaucoup de difficultés pour nous
autres, mais on nous écoute de mieux en mieux. Maintenant on
peut parler et aujourd’hui on nous invite à venir et on nous
écoute de mieux en mieux. Depuis 1993 on est dans le combat
en disant que le système est en train de se renforcer dans le
pays, mais on ne nous écoutait pas. Il y avait Alpha Amadou
[Konaré, ancien président de la République du Mali, de 1992 à
2002. NdLR] qui était un excellent marchand d’illusion, ce qui
entretenait beaucoup d’illusions y compris en entraînant le RPM
et le PARENA, et c’était difficile pour nous de nous faire
entendre. Mais maintenant les gens se manifestent. Aujourd’hui
dans la rue je vois les gens autour de nous et de plus en plus
des manifestations se font que nous organisons à travers notre
radio en essayant de rassembler et nous-mêmes on essaie de
faire des formations politiques de plus en plus en essayant de
rassembler largement et surtout les vieux militants socialistes du
temps de Keita [Modibo Keïta, président de la République du
Mali entre 1960 et 1968, panafricaniste et tiers-mondiste. NdLR]
qui sont les plus sincères et ont plus de gueule et qui ont le
moyen de former les jeunes générations.

Propos recueillis par Paul Martial