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Mauritanie : vers une guerre identitaire ?

D 2 juillet 2010     H 13:21     A Mariam Seri Sidibe     C 0 messages


En janvier 1966, le régime mauritanien applique la loi
imposant l’enseignement secondaire en arabe. Cela
entraîna un mouvement de grève des lycéen-ne-s et des E professeur-euse-s dans tous le pays qui se soldat par 6 mort-e-s
et 70 blessé-e-s. A l’instar de l’Afrique du Sud, où l’Afrikaans fut
imposé aux seul-e-s élèves noir-e-s, ceci posa le premier acte de l’assimilation forcée des négro-mauritanien-ne-s. Au lieu de créer
l’unité nationale du pays, le fossé s’accentua entre les Beïdanes,
caste dominante, au détriment de la population noire. Sous
l’impulsion des milieux extrémistes arabes, externes comme
internes, cette politique atteindra son apogée entre 1989 et 1991
par l’épuration ethnique dont ont été victimes haalpulharens
entre autre. C’est sous le fallacieux prétexte de la guerre
sénégalo-mauritanienne que Taya déclencha la répression et la
déportation de milliers de noirs au Sénégal et au Mali.

C’est dans ce contexte de conflit ancien mais surtout à la
veille de la commémoration du déclenchement de cette
déportation en avril 1989, que les propos du premier ministre et
de celui de la Culture, déclarant notamment, le 6 mars dernier,
lors de la célébration de la journée de la langue arabe, que la
« civilisation mauritanienne est arabo-islamique », ont été pris
comme un véritable appel à la discrimination raciale. L’arabe
deviendrait donc la seule langue nationale, praticable dans les
secteurs clés de l’économie, de l’administration, de
l’enseignement au détriment des autres langues et du français,
pourtant langue officielle.

La Mauritanie est pays multi-ethnique et donc multiculturel.
S’y côtoient des arabophones, hassania (beïdanes), fulbé, wolof,
soninké et harratines, ces derniers groupes étant des négromauritaniens,
composante majoritaire du pays. Imposer la langue
de la caste minoritaire, mais dominante, reviens donc à un
esclavage mental pratiquer sur le reste de la population. En effet,
un enfant à qui ont inculque un enseignement dans une langue
qui ne lui est pas familière, et c’est le cas des populations vivant
en zone enclavées, n’a pratiquement aucune chance de réussite
sociale qu’un autre qui lui reçoit un enseignement dans sa langue
maternelle. Le premier restera cantonné dans une catégorie
subalterne alors que le second pourra accéder à des études
supérieures.

L’arabisation de tous les secteurs fondamentaux du pays n’est
donc pas un « faux problème ». C’est la volonté clairement
affichée du gouvernement d’inscrire la Mauritanie dans le bloc du
Maghreb. Le pays étant membre de la Ligue Arabe depuis 1973,
les hauts postes sont réservées aux arabophones, y compris dans
l’armée, dénégrifiée sous l’ère terrible du Régime de Ould Taya.
Cette imposition linguistique, instrument d’aliénation, est
malheureusement révélatrice de tensions sous-jacentes. Les
étudiant-e-s négros-mauritanien-ne-s ont donc contesté cette
énième oppression culturelle lors de manifestations à l’Université
de Nouakchott organisé par une plateforme de syndicats
estudiantins. Le campus fut le théâtre affrontements entre eux et
des étudiants pro-arabes, le tout ayant conduit à des arrestations.
Loin d’être un « mouvement d’humeur », comme certains
tenants du système l’auraient souhaité, ce soulèvement et ses
heurts rappellent, à ceux qui auraient la mémoire qui flanche,
que l’unité Nationale Mauritanienne est loin d’être acquise. C’est
pourtant ce à quoi un gouvernement digne de ce nom devrait
oeuvrer. Construire la Mauritanie en tant qu’Etat-nation, et non
pas Etat-Clanique, afin de sauver le pays d’une explosion
ethnique qui n’épargnerait personne.

L’organisation d’un débat national sur la cohabitation est
nécessaire. Il devra tenir compte que la Mauritanie est un Etat
arabe ET africain, que ses composantes humaines, ainsi que leurs
cultures (langues, coutumes et traditions) doivent être diverses
mais égales dans un destin commun. C’est à ce seul prix que la
guerre des identités n’aura pas lieu et que la Mauritanie vivra.

Mariam Seri Sidibe