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Enjeux sécuritaires au Nord du Niger : Analyse et perspectives

D 11 février 2011     H 04:53     A     C 0 messages


Ce texte est une retranscription résumée du débat organisé à la radio Alternative, présenté et animé par Alhassane Abdou, le samedi 13 novembre 2010 auquel étaient invités :

 André Bourgeot, anthropologue Directeur de Recherche au Centre National de Recherche Scientifique (CNRS),

 Djibo Hamani, Historien, Enseignant et chercheur à l’Université Abdou Moumouni de Niamey,

 Elodie Apard, Chargée du projet Migrations à Alternative Espaces Citoyens,

Et
 Mamane Sani Adamou, Acteur de la Société Civile et Membre d’Alternative Espaces Citoyens.

La situation d’insécurité dans laquelle se trouve le nord du Niger depuis plusieurs années est extrêmement préoccupante, tout comme elle l’est dans l’ensemble des Etats riverains du Sahara. Cette situation ne date pas d’aujourd’hui mais elle s’est sensiblement aggravée ces dernières années, notamment avec l’intervention d’acteurs extérieurs, faisant du Sahel un espace extrêmement difficile à sécuriser. Le nord du Niger est devenu le lieu d’intervention privilégié pour les groupes armés ainsi qu’une zone de prédilection pour les trafics en tout genre. C’est également un territoire au sous-sol prolifique, qui attise les convoitises et dans lequel se mêlent intérêts concurrents et influences extérieures.

Quelle analyse peut-on faire de cette situation d’insécurité permanente, des luttes d’influence économiques et stratégiques qui se jouent dans le nord et quelle pourrait en être l’issue ?

Pour Mamane Sani Adamou, la situation au nord du Mali, du Niger, du Tchad ou encore dans le sud algérien, est le résultat d’une évolution qui n’est pas propre à ce continent. Depuis plus de deux décennies le monde connaît de profondes mutations avec l’effondrement du bloc soviétique, le néolibéralisme et la forte pression du marché. Ces changements ont eu des conséquences importantes non pas seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan social, politique et culturel. Cette pression sur l’économie mondiale a entraîné des effets très graves, notamment sur les pays africains qui ont été confinés dans une position subalterne. Les Politiques d’Ajustement Structurels imposées par les institutions financières internationales ont eu des conséquences catastrophiques. A force de privatisations, de libéralisation, à force de privatisations, nos économies se sont quasiment effondrées. On a assisté à un désengagement de plus en plus important des Etat. Nos territoires sont donc devenus des no man’s lands, exposés aux trafics en tout genre. Nos pays avaient déjà un héritage peu reluisant en terme de gestion harmonieuse du développement et de disparités entre les régions, mais avec le désengagement de l’Etat, les choses ont empiré. La situation sécuritaire le long de nos frontières est la résultante des modifications importantes qui se sont produites sur le plan international et qui affectent l’Afrique. Cela se traduit par une fragilisation des nos Etats. Tout se passe comme si les questions du trafic de drogue, du trafic des armes, de l’accès à nos ressources étaient des préoccupations extérieures et non locales. C’est l’extérieur qui décide pour nous, qui nous impose des conduites à suivre pour contrôler, discipliner et pacifier nos pays mais également pour lutter contre les vagues de migrations. Ces mêmes puissances occidentales viennent explorer et exploiter nos ressources minières et pétrolières. Une des matérialisations de ce phénomène est l’attribution par l’Etat du Niger de 130 permis miniers à des compagnies étrangères. Cela devait produire de la part des Nigériens un sursaut. Malheureusement, on ne remarque aucune réaction de nos Etats africains. Pourtant, le nord du pays est habitable. Il suffit de mettre à contribution les populations locales dans le développement de la région.

Pour André Bourgeot, il est possible d’établir un certain nombre de constats à partir des années 2006/2007. A partir de cette période, quelque chose bascule au niveau de l’ensemble de l’espace saharo-sahélien. Ce basculement renvoie à des enjeux de compétition importants sur les ressources extractives, notamment l’uranium et pétrole. Ensuite, cela renvoie également à l’intervention d’une puissance étrangère peu connue à l’époque, à savoir la Chine. Ce qui provoque une compétition très forte entre les multinationales occidentales et chinoises sur l’ensemble du continent africain. C’est à partir de ce moment qu’intervient un ensemble de turbulences politiques, armées et religieuses. C’est d’abord le mouvement de rébellion de 2007 engagé par le MNJ (Mouvement des Nigériens pour la Justice), puis l’arrivée de l’AQMI, Al Qaida au Maghreb Islamique. La présence de l’AQMI est liée à la situation algérienne, lorsque le GSPC (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat) s’est disloqué et qu’une partie de ce groupe s’est repliée sur la bande sahelo-saharienne.

Cependant, ce qui se passe aujourd’hui dans l’espace sahelo-saharien et plus particulièrement dans la partie septentrionale du Niger, ne doit pas être appréhendé uniquement comme une question liée à l’AQMI. Le problème de fond, qui prévaut depuis plusieurs années, est le problème de la drogue et de ses conditions d’acheminement. Qu’il s’agisse du cannabis ou de la cocaïne, le trafic touche fondamentalement au cœur des sociétés. Dans peu de temps, cela va générer des turbulences énormes dans les structures sociales. C’est un problème qui est loin d’être événementiel, qui dépasse le cadre du nord et qu’il faut appréhender dans sa totalité, comme un problème qui concerne l’Etat nigérien.

La situation d’insécurité est donc l’aboutissement d’une crise profonde ainsi que d’un phénomène de compétitions importantes, les rapports de force s’établissant généralement en période de crise. On peut donc se demander si nous ne sommes pas en train d’assister à une recomposition des zones d’affluence. La présence occidentale n’est pas négligeable. Le Pan-Sahel Initiative, par exemple, a été mis en place par les Etats-Unis au moment de l’administration Bush et consistait à former les militaires des pays de la bande sahélo-saherienne à la lutte contre le terrorisme. Ce type d’actions perdurent et aujourd’hui il s’agit d’un projet de plus grande envergure encore : le TSCTI (Trans-Sahara Counterterrorism Initiative).

Cette situation, si l’on veut résumer, est l’aboutissement d’une crise qui est celle du capitalisme mondialisé. On assiste en effet à un mondialisation capitaliste porteuse de contradictions, porteuse de compétitions entre les différentes sociétés. Or, dans ce phénomène de compétitions, on assiste à des alliances inattendues. C’est par exemple ce qui se passe entre la France et la Chine autour de l’exploitation de l’uranium. Il semblerait qu’il y ait des processus d’insertion d’actions chinoises au sein d’Areva à propos du gisement d’Immouraren et on peut légitimement se demander si, par la suite, il n’y aurait pas aussi une sorte d’actionnariat à propos du pétrole d’Adagem. Or les intérêts ainsi gérés ne sont pas nécessairement ceux du Niger. Il a aussi remarqué que la situation au nord du Mali est différente de celle du Niger. La militarisation du Sahara se fait d’abord par les forces militaires nationales et ensuite par les forces extérieures.

Pour Djibo Hamani en revanche, cette situation dans le nord du pays était prévisible. L’Histoire nous enseigne que lorsque dans un pays, le pouvoir central faiblit, lorsqu’on l’espace n’est pas contrôlé, cela laisse la possibilité aux pouvoirs extérieurs d’y intervenir. C’est une vérité intemporelle. Or, quand on regarde la situation aux frontières nord du Mali ou du Niger, on constate une quasi absence de l’Etat. Une ville comme Tombouctou, considérée comme une ville du nord du Mali est en fait située au centre du pays. De même, Agadez, que de nombreux Nigériens, y compris des responsables, désignent comme une ville du nord, se trouve exactement au centre du Niger. Cela révèle une tendance à négliger les régions qui se trouvent au-delà d’Agadez. Dans l’esprit de nombreux responsables, Agadez se trouverait presque à la frontière de l’Algérie, or Agadez se situe à égale distance de la frontière de l’Algérie et de la frontière du Nigeria. Depuis la colonisation, aucun effort de viabilisation de ces régions n’a été fait. Cela explique aussi que le trafic prospère aujourd’hui dans ces zones. Lorsque la drogue provenant de l’Amérique Latine a eu besoin de trouver des nouvelles voies d’acheminement, elle s’est superposée aux routes trans-sahariennes du trafic de cigarette, déjà bien implanté. Cette situation est liée essentiellement à la faiblesse du pouvoir central au Mali et au Niger. Or, les activités de trafics le long de nos frontières sont pratiquées par ces différents mouvements tout simplement pour amasser de fonds de guerre. De là, on constate un habillage de l’idéologie religieuse en dimension politique.

Elodie Apard rejoint le Professeur Djibo Hamani dans l’analyse de l’absence de l’Etat comme facteur de déséquilibre dans ces régions. La question des migrations, des activités plus ou moins légales qui en découlent ainsi que la gestion extérieure des flux migratoires, sont des problèmes liés au désengagement de l’Etat. Les politiques de contrôle et de restriction dictées par les Etats Européens viennent s’appliquer dans les territoires sahéliens sans connexion avec les réalités locales. L’Europe impose une gestion politique des migrations à des pays comme le Niger - qui a toujours été un pays de passage et qu’il le sera toujours - et cette gestion politique ne correspond à aucun besoin réel pour les pays sahéliens.

Sur le terrain, les différents trafics se superposent et les voies empruntées par les migrants sont les mêmes voies que celles qu’empruntent les trafiquants de drogue ou d’arme. L’absence de contrôle permet à ces trafics de prospérer et en ce qui concerne le passage des nombreux migrants africains qui traversent le Niger, cela pose d’énormes problèmes en terme de non respect de leurs droits. De plus, ces politiques migratoires construites par l’Europe sont aujourd’hui conditionnées par l’aide au développement. Un chantage qui permet de faire appliquer des directives de contrôle accru des mouvements migratoires en échange du financement des politiques de développement. C’est un constat malheureux car les politiques européennes sont des politiques de restriction de la circulation, or dans le contexte nigérien, le restriction de la circulation n’a tout simplement pas de sens.

Pour Djibo Hamani, il est nécessaire de mettre en place une véritable politique de réappropriation pratique des souverainetés sur nos territoires nationaux. Pour cela il faut viabiliser les régions périphériques et les impliquer dans les décisions. Ensuite une collaboration avec les pays sahéliens voisins est indispensable. Le problème de l’insécurité et les implications politiques de celui-ci doivent trouver une forme de résolution ailleurs que dans l’intervention extérieure.

Mamane Sani Adamou considère la présence des forces militaires françaises comme une ingérence inacceptable, en particulier au moment où l’on célèbre le cinquantenaire de l’indépendance. Mais pour lui, à la faveur de toutes ces crises évoquée, il y a un problème profond : c’est le recul de la conscience nationale et progressiste. Ce qui aurait, auparavant, soulevé l’indignation des Nigériens passe aujourd’hui totalement inaperçu. Si l’on veut réaliser un développement qui rende le nord du Niger habitable et sécurisé pour ceux qui le traversent, il faut prendre en considération le lien existant entre la situation d’insécurité et les relations que nous entretenons avec l’extérieur, en particulier avec l’Europe. Cela sous-entend la remise en cause des politiques économiques et le courage politique pour le faire.

Retranscription assurée par Chaïbou Boubacar