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L’écart se creuse entre la réponse humanitaire et les besoins dans le nord du Nigeria

D 7 mai 2014     H 05:10     A IRIN     C 0 messages


KANO - Les besoins humanitaires sont en augmentation dans le nord du Nigeria, où les attaques de Boko Haram ont entraîné le déplacement de 350 000 personnes, dont plus de 290 000 à l’intérieur du pays, depuis 2013 ; les 60 000 personnes restantes ont trouvé refuge au Cameroun, au Tchad et au Niger. La réponse mise en place par les autorités nationales est insuffisante et la mobilisation internationale est minimale en raison des difficultés d’accès et des sensibilités politiques.

Maina Ularamu, président du gouvernement local du district de Madagali, situé dans l’État d’Adamawa, a dit à IRIN : « Nous devons nous occuper des 10 000 déplacés des villages de l’État voisin de Borno qui ont fui leur domicile . Ces personnes n’ont plus rien ; leurs greniers à céréales ont été pillés ou brûlés ».

Les Nigérians déplacés ont dit que la nourriture, l’eau et l’assainissement étaient leur priorité, selon une mission d’évaluation rapide du Bureau de la coordination des Affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA). Selon ces estimations, la moitié de la population des trois États de Yobe, Borno et Adamawa - soit 12 millions d’habitants - est directement affectée par les violences actuelles.

« Les besoins humanitaires [des déplacés] sont immenses et l’impact du conflit se fait sentir non seulement au Nigeria, mais aussi dans les pays voisins », a dit Aleksandra Matijevic Mosimann, coordonnatrice des communications du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Nigeria.

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) présente des estimations beaucoup plus élevées du nombre de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (PDIP) - 470 000 personnes.

Aucun rapport ne fait mention de camps de PDIP officiels. La majorité des PDIP vivent avec les populations hôtes, certaines passent la nuit dans des écoles. La moitié des déplacés sont des enfants.

Un communiqué de Human Rights Watch rendu public aujourd’hui [14 mars] a souligné l’obligation de l’État nigérian de protéger les PDIP, de fournir une aide humanitaire suffisante, d’offrir aux PDIP un accès aux services de base, de coordonner et d’organiser la réponse. [ http://www.hrw.org/news/2014/03/14/nigeria-boko-haram-attacks-cause-humanitarian-crisis ]

Lors de leur dernière offensive, les militants de Boko Haram ont attaqué la ville de Maiduguri sur plusieurs fronts ce matin [14 mars], en prenant pour cible la caserne, l’université et un quartier habité par des fonctionnaires. Le bilan officiel n’a pas encore été confirmé.

Depuis janvier 2014, quelque 65 761 personnes ont été déplacées des zones rurales des États de Borno et d’Adamawa, selon les estimations de l’Agence nigériane de gestion des urgences (NEMA). Elles ont abandonné leurs fermes peu de temps avant la saison des semences qui débutera en mai.

Difficile distinction

Lors de l’attaque récente la plus meurtrière - 16 février - Boko Haram a brûlé le village d’Izghe dans l’État de Borno, faisant 106 victimes. Les hommes armés de Boko Haram, dont un bon nombre sont déguisés en soldats, ont tué plus de 500 personnes depuis janvier lors de raids quasi-quotidiens sur de nombreux villages des États de Borno et d’Adamawa, selon un bilan des victimes dressé par les médias nigérians.

Il est de plus en plus difficile de faire la distinction entre les soldats et les hommes de Boko Haram, ont dit des civils. « Les populations fuient leur village, car elles sont incapables de faire la distinction entre les vrais soldats qui sont déployés pour assurer leur protection et les hommes de Boko Haram qui revêtent des uniformes militaires et conduisent des véhicules aux couleurs de l’armée », a dit à IRIN Mohammed Kanar, coordinateur de la NEMA dans le nord-est du Nigeria.

Les opérations des Nations Unies ont été suspendues dans une grande partie du nord-est en raison de l’insécurité.

L’insécurité entrave l’intervention humanitaire

Selon OCHA, une dizaine d’organisations non gouvernementales (ONG) sont présentes dans le nord-est du pays, mais seule la Croix-Rouge du Nigeria répond aux besoins des déplacés, en collaboration avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) et les départements ministériels de la NEMA et de la SEMA (Agence de gestion des urgences de l’État).

Le Comité international de secours (International Rescue Committee, IRC), qui reçoit des fonds d’ECHO (organe humanitaire de la Commission européenne) pour mener des interventions humanitaires qui ne sont pas directement liées à la crise qui secoue l’État d’Adamawa, souhaite s’impliquer davantage dans le dossier des PDIP.

ECHO est le seul bailleur de fonds humanitaire dans le pays. Il a récemment ouvert un bureau à Abuja pour suivre la situation de plus près et répondre aux besoins humanitaires dès leur apparition, a dit à IRIN Cyprien Fabre, chef du bureau Afrique de l’Ouest d’ECHO. « Nous participons à la naissance d’un élan humanitaire au Nigeria », a-t-il dit, mais il y a des contraintes. « L’argent n’est pas le principal enjeu. En tant que bailleur de fonds, nous sommes affectés par la limitation d’accès et d’évaluation [des besoins humanitaires] de nos partenaires ».

La situation sécuritaire est très complexe dans le nord-est du pays, ont dit les agences ; leur personnel a indiqué qu’il était très difficile, voire impossible, de négocier l’accès à certaines parties au conflit. Très peu d’ONG locales ou d’organisations de la société civile répondent aux besoins recensés dans le Nord, selon des journalistes locaux.

Depuis août 2013, le CICR, qui a des bureaux à Maiduguri, Jos et Kano, a distribué du matériel pour la construction d’abris, des couvertures et d’autres biens essentiels à 18 000 déplacés de l’État de Borno ; il fournit également des rations alimentaires à 1 500 femmes qui ont perdu leur mari à cause du conflit. « La situation sécuritaire dans le Nord-Est est très précaire, et les violences se multiplient depuis ces deux dernières semaines, ce qui est très préoccupant », a dit M. Mosimann.

M. Fabre d’ECHO a ajouté : « Il s’agit que tout le monde reconnaisse les valeurs et les principes humanitaires qui sous-tendent l’action humanitaire. Il s’agit de garantir l’accès aux plus vulnérables et d’être capable de fournir l’aide en toute sécurité. Cela n’est pas encore le cas ».

La NEMA a essayé de coordonner la distribution de produits d’urgence aux PDIP, sans trop de succès, car les PDIP sont dispersées dans de nombreux de villages, la majorité vivant chez des amis ou des connaissances. « Il est donc difficile de les retrouver », a dit M. Kanar.

Certaines agences d’aide humanitaire disent vouloir renforcer leurs opérations dans le Nord, mais elles n’ont pas reçu la protection des autorités et pensent donc qu’il est trop dangereux d’intervenir en raison des violences indiscriminées et des risques d’enlèvement, particulièrement pour le personnel international. Bon nombre d’acteurs humanitaires sont obligés de travailler en ville et sont dans l’incapacité d’accéder aux habitants des zones rurales qui sont dans le besoin.

Une série d’attaques

Les hommes de Boko Haram, armés de grenades propulsées par fusée, d’explosifs et de Kalachnikovs, entrent dans les villages, pillent les stocks de céréales avant de les brûler, selon les dires de nombreux PDIP.

Ainsi, des dizaines de villages situés dans le nord des États de Borno et d’Adamawa ont été vidés de leurs populations qui ont fui vers la capitale de l’État de Borno, Maiduguri, et vers les États d’Adamawa, Gombe, Bauchi et Taraba.

« Les populations ont perdu leurs sources de revenus, leurs maisons ont été brûlées, leur nourriture pillée. Elles sont dans la détresse », a dit M. Kanar de la NEMA.

Le Groupe de travail du Conseil de sécurité sur les enfants et les conflits armés (1612) examinera prochainement la situation du Nigeria.

Préoccupations liées à la sécurité alimentaire

Les autorités sont préoccupées par la sécurité alimentaire et par l’impact des déplacements sur la prochaine récolte. « Il y aura des problèmes lors de cette saison de cultures, car des milliers de personnes ont quitté leur domicile et leur ferme, et elles ne vont probablement pas y retourner pour travailler leurs terres, car elles craignent les attaques de Boko Haram », a dit un fonctionnaire du ministère de l’agriculture de l’État de Borno, dont le nom n’a pas été divulgué.

Les réserves de nourriture des villages hôtes s’amenuisent suite à l’arrivée des PDIP. « Bon nombre de villageois ont épuisé leur nourriture, qu’ils ont partagée avec les PDIP, et ils ont commencé à consommer les céréales qu’ils avaient mises de côté pour la campagne de semis, coïncidant avec la saison des pluies qui arrive », a mis en garde M. Ulumaru, fonctionnaire.

Lors de la saison des pluies de 2013, 5 000 hectares de blé et de riz ont pourri à Marte, un district fertile, bordé par le lac Tchad, après que 19 000 agriculteurs aient quitté leurs terres, de crainte de subir des attaques de Boko Haram, selon Usman Zannah, commissaire chargé de l’agriculture dans l’État de Borno.

Traditionnellement, les rives du lac Tchad étaient le grenier céréalier du Nord-Est, mais les violences perpétrées par Boko Haram ont entraîné la fuite de plus de 60 pour cent des agriculteurs, selon la NEMA.

Et les populations sont de plus en plus nombreuses à fuir la région, alors que les violences s’intensifient. Le 16 février, Doron Baga, un village de pêcheurs et d’agriculteurs situé sur les rives du lac Tchad, a été incendié et plusieurs de ses habitants ont été abattus ou se sont noyés alors qu’ils essayaient désespérément de prendre la fuite.

« Ils ont brûlé tout le village, y compris les équipements de pêche et d’agriculture. Les populations quittent la région en masse, car elles craignent que leur village ne soit le prochain sur la liste », a dit à IRIN Babagana Goni, habitant du village de Doron Baga réfugié dans la ville de Maiduguri.

Source : http://www.irinnews.org