Vous êtes ici : Accueil » Afrique de l’Ouest » Nigeria » Le Nigeria ferme les yeux sur les violences inter-religieuses

Le Nigeria ferme les yeux sur les violences inter-religieuses

D 13 janvier 2014     H 05:58     A IRIN     C 0 messages


Le gouvernement nigérian ferme les yeux sur les violences inter-religieuses qui ont fait 3 000 victimes dans le centre du pays depuis 2010, a indiqué Human Rights Watch (HRW) dans un rapport rendu public le 12 décembre.

HRW a dressé la liste des « terribles » violences inter-religieuses entre musulmans et chrétiens dans les États du Plateau et de Kaduna - deux des États les plus touchés. Plus de 10 000 personnes ont trouvé la mort dans les violences inter-ethniques et inter-religieuses qui secouent la région depuis 1992.

Les enquêtes menées par HRW sur ces crimes ont permis de conclure que les autorités nigérianes n’ont pas réussi à briser le cycle de violence et que la plupart des auteurs des crimes commis n’ont jamais été traduits en justice.

Les violences perpétrées par le groupe Boko Haram - qui a revendiqué plusieurs attaques commises contre les membres de communautés des États du Plateau et de Kaduna - dans le nord-est du Nigeria sont venues s’ajouter aux violences qui durent depuis déjà plusieurs années. Selon les spécialistes, les actions menées par Boko Haram risquent d’attiser les violences inter-ethniques et inter-religieuses dans le Nord.

Eric Guttschuss, chercheur nigérian de la division Afrique de HRW et auteur du rapport, a indiqué que l’incapacité du gouvernement à mener des enquêtes sur les massacres de masse et les violences ethniques ainsi que l’échec à tenir les auteurs de ces crimes responsables de leurs actes ont alimenté les violences dans la région.

« En l’absence de remèdes appropriés émanant de l’appareil de justice pénale, les membres des communautés qui ont souffert des violences ont décidé de se faire justice eux-mêmes et ont tué les membres d’autres communautés en représailles de violences commises par le passé », a-t-il dit.

Peu de poursuites judiciaires

M. Guttschuss a indiqué que, à la suite de violences de masse, l’armée procède en général à des centaines d’arrestations. Cependant, il est rare qu’elles soient suivies de poursuites judiciaires ou de condamnations.

« L’une des raisons est que la police ou l’armée regroupent toutes les personnes présentes sur une scène de crime, ils les mettent dans le même sac et les présentent devant un tribunal », a-t-il dit.

« Le problème est que, une fois que les dossiers sont transmis au procureur, il est quasiment impossible pour le procureur d’établir un lien entre un individu et un crime spécifique, car l’agent qui a procédé à l’arrestation ne sait pas où il a arrêté chaque individu ; il est incapable de faire le lien entre chaque arme [saisie au moment de l’arrestation] et l’individu ».

Ainsi, la plupart du temps, les dossiers sont classés sans suite et il n’y a pas d’inculpation.

Cela fait une vingtaine d’années que les violences inter-religieuses et les massacres de masse secouent le pays, mais ce n’est qu’en 2010 que le procureur général fédéral s’est efforcé de poursuivre les suspects des violences religieuses qui avaient fait plus de 1 000 morts au début de l’année, selon HRW. Depuis, les procureurs d’État ont obtenu quelques condamnations, mais la majorité des suspects n’ont pas été arrêtés et n’ont pas fait l’objet de poursuites.

Selon M. Guttschuss, la situation est telle qu’un grand nombre de personnes ne dénoncent même plus les crimes.

« Dans certains cas, des personnes qui avaient été témoins d’un meurtre et que nous avons interrogées ont dit qu’elles n’étaient pas allées voir la police, certaines d’entre elles ont dit qu’elles avaient peur, mais la plupart ont dit qu’elles pensaient que la police ne ferait rien, même si elles signalaient les faits », a-t-il dit.

Problèmes d’argent

Un autre problème est que les dossiers n’avancent pas si le plaignant ne paye pas. HRW indique que plusieurs rapports ont indiqué que des enquêteurs avaient demandé de l’argent pour poursuivre les dossiers en cours.

« Bien souvent, les victimes ont perdu tout ce qu’elles possédaient », a dit à IRIN M. Guttschuss. « Leurs maisons ont été incendiées, leurs parents ont été tués, ces membres de la communauté sont très vulnérables et ils n’ont pas les moyens de financer l’enquête, ce qui veut dire que les dossiers n’avancent pas ».

Selon HRW, des rapports montrent que, après que la police a pris en charge un dossier, des personnes ont apporté un soutien aux membres de leur communauté suspectés d’être les auteurs des violences. Ces personnes font pression sur la police pour qu’elle abandonne les enquêtes. D’après HRW, plusieurs policiers ont dit qu’ils avaient peur de procéder à des arrestations qui pourraient déclencher de nouvelles violences.

À la recherche de solutions politiques

Afin de ne pas rejeter la faute sur les officiers de police et les autorités qui n’ont pas réussi à trouver une solution aux violences ethniques et inter-religieuses, M. Guttschuss a dit que les massacres de masse sont désormais traités comme un problème politique plutôt que criminel. Cela veut dire que des commissions ou des comités d’enquête ont été établis pour examiner les violences.

Mais HRW indique que les rapports établis dans le cadre des enquêtes finissent souvent dans les archives, que les recommandations sont rarement appliquées et que les personnes identifiées comme auteurs des violences ne font pas l’objet de poursuites.

« Si les commissions d’enquête sont une bonne idée en théorie, dans la pratique, elles sont devenues un moyen pour la police de se dédouaner de ses responsabilités en matière d’enquêtes sur les crimes », a dit M. Guttschuss. « Ainsi, quand la pression exercée pour trouver une réponse à la violence diminue, les dossiers sont en général abandonnés ».

Mais les membres des communautés n’ont pas oublié les violences et, comme il n’y a pas de justice, les représailles sont devenues monnaie courante dans le centre du Nigeria. Cette année, plusieurs centaines de personnes ont trouvé la mort dans des actes de représailles.

HRW demande aux autorités nigérianes d’agir pour que les auteurs de crimes graves, notamment les massacres de masse perpétrés dans les États du Plateau et de Kaduna, fassent l’objet d’enquêtes et soient jugés rapidement. L’organisation demande également au gouvernement d’examiner en détails les enquêtes policières afin de comprendre pourquoi les dossiers n’ont pas avancé ; elle souhaite que le gouvernement demande à la police de terminer ces enquêtes.

À plus long terme, HRW indique que les autorités nigérianes doivent établir une unité chargée des massacres de masse pour préparer les officiers de police et les officiers militaires aux enquêtes sur ces crimes.