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NIGERIA : Boko Haram et la guerre contre la terreur

D 30 mai 2014     H 12:17     A Drew Povey     C 0 messages


Des rapports récents ont mis en évidence la brutalité de l’armée nigériane dans ses opérations contre les prétendus terroristes de Boko Haram. Les socialistes et les autres militants de la classe ouvrière ont besoin de répondre à la campagne conduite par les États-Unis sur la guerre contre le terrorisme international et spécialement contre l’état de siège, l’occupation militaire et les meurtres de masse dans le Nord-est du Nigeria.

Amnesty International a décrit un cycle d’attaques, de représailles et d’exécutions extrajudiciaires qui a conduit à la mort d’au moins 1500 personnes depuis le début de l’année dernière. Par exemple, des centaines de militants auraient pris part le 14 mars à l’attaque de la caserne de Giwa à Maiduguri, libérant au départ plus d’un millier de détenus. Les suspects de Boko Haram y sont souvent détenus et, selon les défenseurs des droits humains, des centaines y sont morts ou y ont été torturés.

Un témoin oculaire a rapporté à Amnesty qu’une des conséquences de cette attaque est que des soldats ont tiré sur des personnes soupçonnées d’être des soutiens de Boko Haram et qui avaient reçu l’ordre de se coucher au sol. « J’ai compté 198 personnes tuées à ce poste de contrôle », a dit le témoin. Amnesty précise que les images satellites ont aussi révélé trois charniers possibles autour de la ville. L’organisation estime qu’au total plus de 600 personnes ont été tuées par les forces de sécurité suite à l’attaque de Boko Haram.

En octobre 2013, Amnesty International a dit que plus de 950 personnes sont mortes en centre de détention dans les six premiers seulement. Au moins 21 partisans présumés de Boko Haram ont été aussi récemment tués dans une prétendue tentative de fuite du quartier général de la police secrète de la capitale, Abuja. L’excuse des autorités était que très tôt, le 30 mars 2014, « un des suspects a tenté de désarmer [un garde] en le frappant derrière la tête avec ses menottes ». Elles n’ont pas expliqué pourquoi les 21 détenus sont morts alors que seuls deux membres du service ont été blessés. Cela n’est pas sans rappeler, mais à une large échelle, le meurtre en détention de l’ancien leader de Boko Haram, Mohammed Yusuf en 2009. Capturé par l’armée et pris en charge par la police, son cadavre avait été montré plus tard à la télévision d’État

L’armée a aussi tué environ 800 autres partisans de Boko Haram dans le même temps lors d’une révolte qui a éclaté à cause de l’obligation du port du casque pour les motocyclistes.

Les agences de sécurité sont les plus meurtrières

Des experts internationaux crédibles estiment que l’armée et Boko Haram ont tué à peu près le même nombre de personnes ces dernières années. L’armée a, par exemple, commis un important massacre à Baga en avril 2013, quand des soldats ont incendié plus de 2000 maisons et tué plus de 200 civils selon les organisations internationales des droits humains. Al Jazzera dans le même temps a décrit l’invasion de l’armée comme « la guerre silencieuse du Nigeria ».
Fin 2012, un sénateur a affirmé que les agences de sécurité sont les plus meurtrières... Si un officier de l’armée est tué dans une zone, ils viendront, boucleront cette zone et tueront les gens qui s’y trouvent et ensuite brûleront toutes les maisons.
« Après que Boko Haram eut attaqué une patrouille militaire fin 2012, les soldats sont venus sur place et ont commencé à tirer sur les gens des gens innocents », a dit à l’époque à la BBC un marchand qui a fui la ville de Potiskum : « Quand je suis allé à l’hôpital le matin suivant j’ai vu 30 cadavres. Je les ai vus de mes propres yeux. Je les ai comptés. »
« L’ampleur des atrocités de Boko Haram est véritablement choquant, créant un climat de peur et d’insécurité, a dit Netsanet Belay d’Amnesty, mais cela ne peut être utilisé pour justifier la brutalité de la réaction qui est clairement infligée par les forces de sécurité nigérianes. »

Un symptôme de la pauvreté et du désespoir

Boko Haram est un symptôme des graves problèmes économiques et sociaux et une indication de niveau du désespoir que beaucoup de pauvres ressentent. En envoyant l’armée le résultat est beaucoup plus de morts et de réfugiés. Les communautés locales ont voté avec leurs pieds et ont quitté le pays pour fuir l’armée. Au tout début de l’année, le HCR a estimé que plus de 600 000 personnes ont fui leur maison, dont certains ont cherché refuge au Niger, au Cameroun ou au Tchad.
Pendant que quelques super-riches de l’élite mènent une vie fastueuse, la grande masse de la population est engluée dans la pauvreté, l’analphabétisme et le désenchantement. La réelle terreur à laquelle nous sommes confrontés est celle de la pauvreté, entraînant la mort d’au moins 3000 personnes par jour dans le monde.
Le taux de chômage des jeunes est officiellement entre 45 % et 60 %. Pendant que le Bureau national des statistiques note que la situation du chômage dans le Nord Est, où Boko Haram est le plus actif, reste la pire. Quand tant de jeunes diplômés du secondaire et du supérieur sont sans emploi, est-il étonnant que les partisans de Boko Haram remettent en cause la valeur de l’éducation « occidentale » ?

Des revendications anti-établissement

Boko Haram a une nature contradictoire, En effet, il implique des segments de l’élite dirigeante pour laquelle la religion comme politique est un outil de mobilisation des masses en soutien à leurs propres objectifs. Nous en avons des exemples avec la vague politique de la charia qui a déferlé dans douze États du Nord du Nigeria au début des années 2000, notamment le sénateur Ali Modu Sheriff qui a courtisé Boko Haram dans sa tentative réussie d’accéder au poste de gouverneur de l’État du Borno en 2003.

Cependant, des éléments des revendications anti-établissement de Boko Haram trouvent une résonance dans les cœurs de beaucoup de gens pauvres et déshérités qui en ont marre de la corruption et du style de vie flamboyant des élites qui s’étalent face à leur pauvreté et leur désespoir. Depuis qu’il a été fondé en 2002, Boko Haram a fourni éducation coranique, logement, soins et remboursement de dettes assurant des services que l’État est incapable de fournir.

Combattre le terrorisme de l’inégalité et de la pauvreté

La guerre qui s’est engagée contre Boko Haram n’est pas dans l’intérêt des pauvres et des classes laborieuses. De même les militants islamistes ne peuvent généralement être décrits comme réactionnaires. Ses partisans sont une addition complexe de différents groupes y compris certains de l’élite politique, mais aussi beaucoup de pauvres et de déshérités conduits au désespoir par leur situation.

Par principe, les militants de la classe ouvrière sont contre toute forme d’« état d’urgence » et les réductions des droits démocratiques pour les pauvres et les travailleurs. Mais nous devons aller au-delà des déclarations de principe telle que l’idée de la nécessité d’une auto-défense des travailleurs.

En janvier 2012, les révoltes dans tout le pays contre la fin des subventions au carburant nous ont montré comment les conflits ethno-religieux sont devenus superflus avec l’entrée des masses dans la lutte pour une société meilleure. Boko Haram a publié un ordre pour les non-Nordistes de quitter le Nord, juste avant que les travailleurs n’ébranlent le pays dans ses fondations avec huit jours de grève générale et des rassemblements de protestation dans 57 villes.
Dans le feu de la lutte, les travailleurs ont constitué des milices d’auto-défense en différents lieux du Nord. Les églises étaient gardées contre Boko Haram. Dans le Sud, les chrétiens protégeaient les musulmans lors des prières.

La tâche la plus urgente au Nigeria est l’établissement d’un front uni contre l’état de siège. Il y a plusieurs forces sociales qui sont opposées à l’état de siège pour diverses raisons. Les socialistes et les autres militants ont besoin de populariser l’argument contre l’état d’urgence dans les branches syndicales et autres organisations du mouvement ouvrier. Nous avons besoin d’expliquer que Boko Haram est avant tout un symptôme de la pauvreté et du désespoir. Nous avons besoin d’un réel combat contre la corruption, et une augmentation des impôts pour l’élite riche afin de financer un système d’éducation décent et un service de santé pour tous. Nous avons besoin de davantage de formation et de créations d’emplois pour s’assurer que tous les jeunes aient l’opportunité d’utiliser leurs talents. Nous avons besoin de transformer la guerre contre le terrorisme en un combat contre le terrorisme de l’inégalité et de la pauvreté.

Drew Povey