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Nigeria : Une mobilisation historique

D 1er février 2012     H 05:55     A Paul Martial     C 0 messages


Le 1er janvier 2012, le président de la république du Nigeria,
Goodluck Jonathan, vient d’annoncer la fin de ce qu’il appelle « la
subvention à l’essence » ce qui a pour conséquence de doubler
les prix. Ainsi le litre d’essence passe de 65 à 140 Nairas (de 0.3
à 0.66€) dans les stations services et au marché noir de 100 à
200 nairas (de 0.47 à 0.95€).
Bien que le Nigeria soit le premier pays africain exportateur de
pétrole, les populations devraient payer le prix fort et ne subir
que les conséquences néfastes de la pollution et de la corruption
liées à l’extraction de l’or noir.

Une attaque récurrente.

Déjà en 1999, alors que le pays sortait d’une dictature militaire
particulièrement féroce, les premières actions du gouvernement
civil furent de tenter d’augmenter les prix du carburant,
occasionnant ainsi de fortes mobilisations populaires. Depuis
cette date, et par 19 fois, la bourgeoisie nigériane essaiera
d’imposer ces attaques avec une réussite partielle en 2007 où le
diesel et le kérosène seront dérégulés, aboutissant aux prix les
plus élevés du continent africain.
La classe dirigeante ne s’est pas embarrassée du respect de la
Loi, ainsi elle a mis de côté le Petroleum Products Pricing
Regulatory Agency (PPPRA) dont la direction est assurée par des
dirigeants du secteur pétrolier, des représentants du
gouvernement, mais aussi des organisations syndicales qui sont
censés être l’organisme qui gère les produits pétroliers et la
fixation des prix.

Un déluge de mensonge.

En fait parler de subvention est, au pire, un mensonge au mieux
un abus de langage. En effet, le Nigeria garde 445.000 barils /
jours en plus des 2.5 millions de barils produit par jour pour sa
consommation domestique. 170.000 barils sont raffinés sur place,
(80.000 barils pour la raffinerie de Warri et 90.000 pour celle de
Port Harcourt). Le reste est raffiné à l’extérieur du pays pour être
ensuite réimporté. Dans le premier cas, celui du traitement
domestique sur place, le prix vendu compense très largement les
frais de raffinage, en effet il est estimé à 34 nairas[1]. Pour le
second cas les estimations sont de 44 nairas avec un raffinage de
très mauvaise qualité assuré, entre autre, par la société Trafigura
qui s’est illustrée en déchargeant des déchets toxiques à Abidjan
en Côte d’Ivoire. En fait le gouvernement, pour fixer le prix à la
pompe, se réfère au prix de l’essence importé en oubliant de
déduire la somme reçue lors de l’exportation du baril de brut qui
a servi au raffinement de cette essence.
Trois semaines avant l’annonce de cette augmentation, lors de
son voyage au Nigeria, Christine Lagarde, directrice du FMI avait
intimé l’ordre au gouvernement nigérian de réduire les dépenses
de l’Etat. C’est dans ce cadre que le gouvernement, en parlant de
suppression de la subvention, ne vise en fait qu’à intégrer les
445.000 barils dans la production OPEP et vendre le prix de
l’essence à un niveau identique à n’importe quel pays qui
importerait de l’essence sans fournir les barils de pétrole brut.
Evidement en termes de communication il est plus facile de dire
que l’on supprime les subventions au fuel plutôt que de dire que,
sous l’injonction du FMI, on augmente de plus de 100% les prix.
Autrement dit, la classe dirigeante nigériane tente de s’emparer
des 445.000 barils destinés à la population pour les vendre à
l’extérieur et faire un maximum de profit.

Le Goodluck de la bourgeoisie.

Les capitalistes nigérians n’ont eu de cesse de brader les
richesses et les entreprises aux multinationales et veulent
déréguler complètement le secteur pétrolier en privatisant la
Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC).
Jonathan Goodluck se justifie en expliquant qu’il s’agit, pour
l’état, de faire des réserves financières. Mais faire des réserves
pour quoi ? Déjà l’Etat a subventionné, à coup de milliards de
nairas, les principales banques du pays sans rien exiger en retour.
Pour mieux faire passer la pilule, les dirigeants tentent de faire
croire que les sommes récupérées sur la population serviront à
investir dans les infrastructures du pays. Ils ont déjà fait le même
coup en 2007 lors de l’augmentation du diesel sans que personne
n’ait rien vu de concret. Les infrastructures du pays sont
complètement laissées à l’abandon depuis des décennies malgré
les richesses énormes du pays dues à la manne pétrolière.
Pourquoi aujourd’hui cela changerait-il ? A titre d’exemple pour
Lagos, une ville qui compte plus de 15 millions d’habitants, il n’y
a même pas un réseau ferré, obligeant ainsi les citadins de
conditions modestes à utiliser taxis ou minibus.
Si le pays est dans un tel état c’est du fait d’une politique
d’alliance entre les élites nigérianes et les dirigeants des
multinationales qui prennent des mesures délétères pour le pays,
pourvu que cela leur rapporte. C’est ainsi que des fortunes se
font à coup de surfacturations d’importation ou d’augmentations
volontaires de surestarie.
Depuis 1999, malgré la délivrance de 19 licences pour la
construction de raffineries qui font cruellement défaut au pays,
aucune n’a vu le jour car les multinationales empêchent l’édifice
de toutes usines de transformation du pétrole qui pourraient les
concurrencer.
Pendant des décennies, le gouvernement a fermé les yeux sur la
pollution liée à l’extraction du pétrole. Dans le delta du Niger,
l’eau n’est plus potable, les activités agricoles sont condamnées,
l’air est devenu irrespirable du fait des torches et les populations
ne peuvent que voir leur région se détruire ou bien se réfugier
dans des activités mafieuses et de piraterie pour survivre.

La riposte des populations

Dès l’annonce de cette mesure, des milliers de nigérians sont
descendus spontanément dans la rue dans les principales villes
du pays Kano, Ilorin, Kogi, mais aussi Abuja, la capitale politique
et Lagos, le centre économique du pays. Ils ont exprimés un ras
le bol de ces gouvernements corrompus qui se succèdent, mais
mènent la même politique : celle de s’enrichir aux dépens des
populations. L’essence ne sert pas uniquement pour les véhicules,
mais aussi aux générateurs pour produire l’électricité du réseau
totalement déficient du fait de l’incurie des dirigeants. Les
nigérians considèrent que la seule retombée positive, de la
manne pétrolière est de bénéficier d’un prix relativement bas
pour l’essence.
Le doublement du prix de l’essence ne va pas avoir seulement un
impact sur les transports, mais aussi sur les produits de
consommation courante du fait de l’augmentation des coûts de
production et d’acheminement. Une situation impossible pour
70% des 160 millions d’habitants qui vivent avec moins de deux
dollars par jour.
Au Nigeria les deux principales organisations syndicales, le Trade
Union Congress (TUC) et le Nigerian Labour Congress (NLC) sont
puissantes, mais leur talon d’Achille est leur Direction
particulièrement corrompue qui évite, au maximum, les
affrontements décisifs avec la bourgeoisie. Les organisations
syndicales, quant elles ont défié le pouvoir de la bourgeoisie, l’ont
toujours fait sous la pression des mobilisations des masses.
Aussi les organisations de la gauche radicale, si elles sont faibles,
n’en sont pas moins actives et mettent en avant la nécessité de
l’auto-organisation et du contrôle des luttes par la base. C’est
dans ce cadre, que s’est créé le Joint Action Front, qui est vu
comme le troisième partenaire à coté deux organisations
syndicales pour mener la lutte.
A travers des revendications comme la nationalisation, le contrôle
des travailleurs et des consommateurs sur l’industrie pétrolière, la
gauche radicale met en avant des perspectives afin de créer une
alternative à la politique de pillage des multinationales
occidentales avec la complicité des élites du pays.
Les mobilisations ont été telles, que gouvernement et
bureaucratie syndicale se sont mis d’accord pour enrayer une
situation qui risquait de leur échapper. Pendant que les Directions
syndicales appelaient à la fin des manifestations et des grèves,
Jonathan Goodluck fixait le prix du litre d’essence à 97 nairas. En
parallèle l’armée investissait les principaux centres urbains et
empêchait violement tous rassemblements. L’heure est
maintenant au bilan et à la construction d’organisation réellement
au service des travailleurs et des populations.

Paul Martial

[1] Dr. Agbon. Se reporter à : http://saharareporters.com/article/real-cost-nigeria-petrol-dr-izielen-agbo