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Au Sénégal, construire et renforcer l’unité syndicale

De la défense des travailleur-euse-s à la recherche d’alternatives politiques, deux militant-e-s africain-e-s témoignent de leurs combats quotidiens

D 19 décembre 2010     H 04:11     A     C 0 messages


Entretien avec Marieme Sakho Dansokho, coordinatrice pour les syndicats d’enseignant-e-s

Marieme Sakho Dansokho, ces
dernières années, vous avez été
la coordinatrice pour les
syndicats d’enseignant-e-s au
Sénégal. Quels progrès avezvous
fait au cours des deux
dernières années ?

Effectivement j’ai été
coordinatrice de l’intersyndicale,
composée de plusieurs syndicats
d’enseignants, et je pense que c’est
dans ce sens là qu’il faut essayer de voir la question de l’unité du
mouvement syndical enseignant. Aujourd’hui, au Sénégal, il y a
plus de 40 syndicats dans le secteur de l’éducation, et cela pose
beaucoup de problèmes et c’est pourquoi, pour pouvoir gagner
les batailles, avoir satisfaction par rapport aux revendications des
enseignant-e-s, nous nous sommes battu-e-s pour avoir un cadre
unitaire, appelé d’abord « intersyndicale de l’enseignement » et
nous nous sommes entendu-e-s autour d’un certain nombre de
points consensuels, points sur lesquels on devait se battre pour
l’intérêt de l’école et des enseignants. Il y a toujours eu des
problèmes, car il y avait d’autres syndicats qui n’étaient pas dans
l’intersyndicale et ça a créé des problèmes autour de la table de
négociations et cela a permis au gouvernement de jouer parce
que pouvant compter sur d’autres et diviser pour régner. Mais
quand on a vu que cela pouvait être très compliqué, nous nous
sommes retrouvé-e-s et nous avons pris des contacts et avec le
Comité de Dialogue Social (CDS) nous avons pensé que c’était
utile que l’on soit tous ensemble pour pouvoir avoir cette force et
faire face au gouvernement. Et heureusement, à part 2 syndicats,
tout le reste s’est entendu et c’est ce qui a donné naissance au
Cadre Unitaire des syndicats de l’enseignement (appelé CUS).
Nous réfléchissons et continuons le processus pour arriver, à
défaut d’unité organique, à avoir en tout cas l’unité d’action en
attendant d’avoir mieux. Mais nous sommes conscient-e-s que si
nous n’avons pas cette unité du mouvement syndical, cela sera
très difficile d’avoir satisfaction autour des points de
revendication.

Vous êtes également membre du Parti Socialiste au
Sénégal. Comment ces deux rôles se complètent les uns
les autres ?

Je suis membre du Parti socialiste, effectivement, mais à mon
niveau je dis que ce qui est le plus important c’est de ne pas faire
de mélange des genres. Faire de la politique c’est une chose et
l’objectif c’est d’aller au pouvoir, mais ce n’est pas le cas du
syndicat. Le syndicat c’est pour gagner des batailles et lutter
contre l’ injustice et sauvegarder les intérêts des travailleur-euses.
Le plus important c’est de ne pas faire de mélange des genres :
quand on est dans syndicat, on ne fait que du syndicalisme, on se
bat pour les intérêts de la corporation, les intérêts des travailleureuse-
s. Une fois que l’activité syndicale est finie, maintenant on a
le droit d’appartenir à un parti politique, de croire à une idéologie
et de la défendre. Moi, personnellement je n’ai pas de problème à
ce niveau là, je fais mon syndicalisme et je suis membre d’un
parti et je dirige un syndicat où les membres sont de plusieurs
partis. Nous ne sommes pas tou-te-s du même parti, mais quand
on est là, on ne peut pas savoir qui est de quel parti, car on ne
parle que syndicat, et c’est çà le plus important.

Que pensez-vous des récentes grèves et manifestations
en France ? Ces événements ne vous donnent-ils pas la
confiance que les syndicats au Sénégal peuvent se
rejoindre et retrouver leur force dans l’action contre le
gouvernement ?

Ce qui s’est passé en France, la lutte des syndicats, c’était une
lutte légitime sur la retraite en France, mais nos pays ne sont pas
épargnés. Nous allons tous vers ce problème de retraite.
D’ailleurs ici nous sommes confronté-e-s à ce problème, car il y a
10 ou 15 ans, il y avait 15 travailleur-euse-s actifs pour deux
retraité-e-s, mais maintenant il n’y a pas deux travailleur-euse-s
actifs pour un-e retraité-e. Moi qui vous parle, je ne sais pas si je
vais bénéficier d’une pension ou pas car il n’y a plus de
recrutement. Ici c’est la solidarité inter-générationnelle. Donc
c’est un problème qui se pose partout dans le monde. Il y a lieu
de s’inquiéter avec la multiplication des syndicats qui dispersent
les forces. Est-ce que demain on pourra faire face et avoir
confiance face au gouvernement pour freiner ses velléités ? Ce
n’est pas évident. En France, au début de la lutte, les syndicats
étaient pratiquement tous ensemble, mais à un moment donné
de la lutte, il y a eu relâchement quelque part. La question de
l’unité du mouvement syndical est importante pour faire face aux
interlocuteurs de demain et régler des problèmes et surtout celui
de la protections sociale qui est très important

Il y a actuellement un conflit social concernant le fait que
les enseignants ne sont pas payés de leurs salaires à
temps. Quel est le contexte de ce différend ?

Effectivement, c’est un problème très douloureux, parce que
les corps qu’on appelle émergents, les nouveaux enseignant-e-s
d’aujourd’hui issu-e-s du volontarisme et de la vacation, qui
constituent les corps émergents, sont maintenant plus nombreux
que les enseignant-e-s traditionnel-le-s. Et pour ne pas gonfler la
masse salariale, qui est contrôlée par les Institutions financières
et les bailleurs de fonds, on met le salaire sur le budget matériel
de l’Education. Et c’est récurrent, à partir du mois de septembre,
ce budget-là est épuisé et le gouvernement a des problèmes pour
payer les corps émergents, voilà la réalité. Donc chaque année, à
partir de septembre, il y a un problème de paiement des salaires.
Ils attendent pour renflouer les caisses qu’il y ait des
mouvements de fonds et on attend vers le 10 ou le 15 pour payer
les salaires. Nous disons que c’est injuste, nous avons besoin de
ces personnels enseignants pour atteindre les objectifs du
millénaire. Donc ces enseignant-e-s doivent avoir leurs bulletins
de salaire payés à temps, parce que leurs salaires doivent être
budgétisés et logés au Ministère du budget, qu’ils soient au trésor
et soient payés au même titre que tous les enseignants ! On ne
peut pas prendre des salaires, les loger dans un budget matériel
et laisser des pères et mères de famille en rade, qui travaillent,
attendre jusqu’au-delà du 10 pour ne pas avoir leurs salaires.
Tout cela fait partie de notre bataille, celle des organisations
syndicales des enseignants, c’est çà le fond du problème.

Quelles mesures les syndicats d’enseignant-e-s
entendent-ils prendre par rapport à la lutte actuelle ?

Ce qui se passe dernièrement, vendredi dernier, le cadre
unitaire des syndicats d’enseignement s’est réuni, a tenu un point
de presse et entend sortir un plan d’action pour d’ici quelques
jours, si le gouvernement ne se résout pas à régler et payer les
salaires de ce corps émergeant et à mettre en oeuvre les accords
de septembre 2009, donc à déposer un autre préavis de grève et
aller en action pour mettre fin à tout ce qui se passe aujourd’hui
et qu’on assimile à de l’anarchie.

Propos recueillis par Andy Wynne, Dakar, 17 novembre 2010