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Franc CFA néocolonial : réalisons le Frexit ou France dégage !

Par Guy Marius Sagna, Membre du Front anti APE anti CFA

D 13 octobre 2017     H 05:53     A Guy Marius SAGNA     C 0 messages


A la fin des années 50, le Général De Gaulle et Léopold Sédar Senghor proposaient aux colonies françaises les deux termes suivants de l’alternative : « indépendance » ou communauté franco-africaine. La communauté franco-africaine consistait à céder une autonomie administrative nationale aux ex-colonies et à laisser à la France la gestion de leur monnaie commune (franc CFA), de leur défense et de leurs affaires étrangères. Pour la France et ses collabos africains il fallait gagner ou gagner : « indépendance » et communauté franco-africaine devaient finalement signifier la même chose. Senghor précisera déjà en 1958 que « le choix du peuple sénégalais, c’est l’indépendance, ils veulent qu’elle ait lieu seulement dans l’amitié avec la France, pas en litige ». Laurent Fabius, sur Radio France Internationale (RFI) le 12 mai 2012, résumera la réalité par son fameux « les pouvoirs passent et les intérêts de la France demeurent ». Jusqu’à présent ils ont gagné mais jamais la gestion de cette monnaie néo coloniale n’a été aussi menacée. Résultats, « réformistes » et « extensionnistes » du franc CFA, parmi lesquels Ahmadou Al Aminou Lo, directeur national de la BCEAO au Sénégal lors de l’émission télévisée Point de vue sur la Radio télévision du Sénégal (RTS) le dimanche 10 Septembre dernier, s’attaquent aux « abolitionnistes » : en criant Haro sur les « activistes », par le déni du droit de veto de la France dans les conseils d’administration des banques centrales, en exprimant leur volonté anti démocratique et anti populaire de technicisation du débat sur le franc CFA, en faisant ouvertement de l’idéologie et de la politique politicienne dans le débat sur le franc CFA…

Depuis le 19 Septembre 2017 où le camarade Kémi Séba a brûlé un billet de 5.000FCFA, un torrent de critiques moralisatrices, condescendantes et malhonnêtes à l’endroit des « activistes » a été noté au Sénégal. Urgences Panafricanistes, Y’en à marre, le Front anti APE anti CFA… sont des destinataires de ces critiques. Même si nous ne nous définissons pas comme des « activistes » mais comme des révolutionnaires anti-impérialistes travaillant avec nos autres sœurs et frères africains à édifier l’organisation africaine avec des sections dans tous les pays pour frayer la révolution anti impérialiste.

Le 14 mars 2017, se tenait la 9e journée de diffusion des comptes extérieurs du Sénégal, portant sur « l’évolution du commerce extérieur au sein de l’Uemoa : évolution récentes et perspectives ». La BCEAO y informait que le Sénégal, 2e économie de l’Union derrière la Côte d’Ivoire, avait une balance commerciale déficitaire. Le Sénégal importe presque le double de ce qu’il exporte. Quel rapport avec le franc CFA ?
Alors que dans des pays tels que le Maroc, la Tunisie et l’Afrique du Sud la contribution du secteur bancaire au financement de l’économie s’élève à plus de 70%, au Sénégal cela tourne autour de 36% en fin 2015 selon le Directeur de la Monnaie et du Crédit du ministère de l’économie, des finances et du plan. Quel rapport avec le franc CFA ?

Le directeur national de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) du Sénégal, Ahmadou Al Aminou Lo, annonce que « mandat a été donné au Comité national de la balance des paiements de procéder à un examen approfondi des filières d’importation, assorti de mesures concrètes pour atténuer, voire inverser la tendance structurelle du déficit du compte commercial. ». Selon toujours le directeur national de la BCEAO du Sénégal, « le commerce intra-Uemoa reste faible (…) Lorsque vous prenez le total des exportations des huit pays comparés aux flux à l’intérieur de l’Union, il ne représente que 17% ». Or, « ce qui caractérise une zone monétaire c’est le commerce intra-zone ».

La fixité des parités et la surévaluation caractérisant le franc CFA entrainent la non compétitivité sur le marché international des marchandises produites en zone franc CFA et celles venant d’ailleurs sont plus compétitives que les produits africains sur le marché local. Ce franc CFA est une des causes du fait que 68,8% des Pmi sénégalaises ont réalisé la totalité de leur chiffre d’affaires sur le marché domestique et moins de 1% d’entre elles l’ont réalisé à l’extérieur en 2015.

Un mois après, le 13 avril 2017, se tenait la réunion d’information sur la contribution de l’Observatoire de la qualité des services financiers (Oqsf) à la facilitation de l’accès au financement des Pme. Lors de cette rencontre, le ministère de l’économie du Sénégal déclarait en deçà des besoins du secteur privé les 3.300 milliards de FCFA injectés par les banques sénégalaises en 2015. Faiblesse s’expliquant notamment par une offre de crédit limitée. Ce phénomène de non financement de l’économie par les banques est une des caractéristiques du franc CFA : c’est la répression financière. C’est là une des raisons du fait que 65% des Pme sénégalaises disparaissent au bout de 2 à 3 ans d’existence. Selon la direction de l’appui au secteur privé (Dasp) 60% des Pme disparaissent durant leur année de création. Une autre raison de ce phénomène c’est que le franc CFA favorise les importations qui concurrencent les productions locales. Le cocktail franc CFA, APE et ressources naturelles (pétrole) sera mortifère pour un pays comme le Sénégal : maladie hollandaise assurée. Mais cela ni la BCEAO, ni les « extensionnistes » et même les « réformistes » ne le diront. Qui fait alors de la politique ou de l’idéologie ? Les « activistes » ou ceux qui les critiquent ? Par leur attitude, ils confirment le propos selon lequel « (…) la politique monétaire a toujours eu un contenu de classe et que la fonction essentielle de l’idéologie est de confondre les intérêts de certaines classes avec l’intérêt général ».

Ils feignent d’ignorer ou font étalage de leur ignorance. Notre famille politique qui lutte pour la souveraineté monétaire des pays de la zone franc est composée des différentes organisations panafricaines révolutionnaires mais également de tous les économistes qui se sont prononcés sur le franc CFA (De Joseph Tchuidjang Pouemi à Nicolas Agbohou aux Martial Ze Belinda, Kako Nubukpo, Demba Moussa Dembele, Ndongo Samba Sylla…).
S’ils veulent un débat technico-technique, ils peuvent répondre aux ouvrages, articles que ceux-ci ont faits sur la question. Encore que ceux-ci tout en apportant des arguments techniques jamais démentis n’ont jamais fait de cette question une problématique seulement technique mais d’abord et surtout politique. Vouloir en faire une question technique c’est chercher à exclure les peuples du débat et de la décision. Les cris d’orfraie de la BCEAO, du procureur sénégalais qui a interjeté appel dans l’affaire Kémi Séba et la déportation de ce dernier par le président Macky Sall expriment une peur que nous comprenons. Que ce débat et ces mobilisations aboutissent à la révolution anti impérialiste. C’est tout le mal que nous souhaitons à nos pays.

Cela ne choque pas nos « réformistes » que nous continuons à déléguer à la France la gestion de la valeur externe de notre monnaie. Cela ne choque pas nos « extensionnistes » que par le système de centralisation des devises des zones CFA nos peuples contribuent à financer une fraction même très petite (0,5%) de la dette publique française. Cela ne choque pas que plus de 150 millions d’africains confectionnent leur monnaie en France alors que le Nigéria, le Ghana, la RDC et l’Afrique du Sud le font eux-mêmes. Alors cela ne gênera pas que nous rappelions le mot de Edouard Balladur : « La monnaie n’est pas une question technique, mais politique qui tient à l’indépendance et à la souveraineté des Etats ».

Comme Domenico Losurdo, nous pensons qu’« On appréciera jamais assez la sagesse du mot attribué à Georges Clemenceau : la guerre est une chose trop sérieuse pour la confier à des généraux ! (…) les spécialistes (dans ce cas les spécialistes de la guerre) sont souvent capables de voir les arbres mais pas la forêt, et se laissent déborder par les détails en perdant de vue le tout ; en ce sens, ils connaissent tout sauf l’essentiel. ». Le débat sur le franc CFA confirme une fois de plus la profondeur du mot cher à Clemenceau : de même que la guerre est une chose trop sérieuse pour la confier aux généraux et aux spécialistes de la guerre, ainsi l’histoire de la soumission monétaire des pays de la zone franc CFA est une chose trop sérieuse pour la confier aux spécialistes et aux généraux de l’économie et de la finance de la BCEAO notamment.

« Les hommes font eux-mêmes leur histoire, mais dans des circonstances qu’ils n’ont pas choisies » disait Karl Marx. Si les peuples africains vivaient dans des systèmes de souveraineté démocratique, point besoin pour les « activistes » de brûler des billets de franc CFA. Point besoin de rassemblements dans plusieurs pays. Cette souveraineté démocratique imposerait aux dirigeants de consulter les populations et de faire des positions de celles-ci exprimées selon des voies démocratiques et non « démoncratiques », comme c’est le cas dans nos pays, des positions d’Etat. Alors appeler à « un débat serein et respectueux » en expulsant Kémi Séba de sa terre africaine du Sénégal c’est se prévaloir de sa propre turpitude. Mais c’est aussi révéler de quel côté se trouve l’absence de sérénité. Ces « activistes », en plus des autres membres de notre famille politique qui ont réfléchi et écrit sur le CFA, ont imposé « une libération de la parole monétaire » pour parler comme Dembele et Ze Belinga. Car si cela ne dépendait que des classes dominantes des pays de la zone CFA et de la France il n’y aurait pas de débat même dans la rue. Tant que la critique du franc CFA reste dans les livres et les séances de dédicace elle est inoffensive. Mais quand la rue africaine s’en empare elle devient dangereuse.

Oui, il faut un débat sur le Franc CFA entre les « réformistes », les « abolitionnistes » ou « panafricanistes » et les « extensionnistes ».
Quand Jean Paul Dias, homme politique sénégalais, dit « (…) il faut, je ne parle pas de forcer, amener la Gambie à adhérer au CFA, c’est même dans l’intérêt de la Gambie. », il demande l’extension du franc CFA à d’autres pays. Tout comme Ouattara récemment. En cela ils s’alignent sur Hubert Védrine, l’autre « extensionniste », ancien ministre français des Affaires étrangères qui a proposé l’élargissement de la zone franc CFA à d’autres pays africains (le Nigéria, le Ghana…) dans un rapport commandé par le gouvernement français en 2013.

Quand Michel Sapin dit « La zone franc n’est pas la zone de la France, elle est la zone de l’Afrique (…) qui doit être une zone entre les mains des africains. C’est aux africains de nous faire des propositions s’ils veulent » il exprime une position réformiste.
Les « abolitionnistes » c’est tous ceux-là qui se battent pour une monnaie commune souveraine c’est-à-dire une monnaie africaine, par les africains et pour les africains.

A la question qui sont derrière les « activistes » ? La BCEAO répond : des « idéologues du bouc émissaire », des « spéculateurs ». Elle ajoute que le docteur en économie camerounais du nom de Tchuindjang Pouemi qui a écrit en 1983 un livre intitulé Monnaie, servitude et liberté. La répression monétaire de l’Afrique, le professeur Nicolas Agbohou qui a publié en 2008 son ouvrage intitulé Le franc CFA et l’Euro contre l’Afrique, ainsi que ceux qui ont écrit Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. À qui profite le franc CFA ? en 2016 sont des économistes qui ont créé un filon pour faire du buzz. C’est tout ! Comment la BCEAO peut-elle nous sortir des arguties pareilles ? La peur fait dire n’importe quoi aux représentants des oppresseurs.

La BCEAO nie catégoriquement l’existence d’un droit de veto français dans son conseil d’administration. Mais elle sait qu’en réalité, ce que les défenseurs d’une monnaie commune souveraine appellent « droit de veto » n’est rien d’autre que la règle de l’unanimité que les statuts de la BCEAO prévoient dans la prise de décisions et qui fonctionne dans les faits comme un véritable droit de veto. Règle de l’unanimité dont jouit aussi le représentant de la France dans le conseil d’administration. Et cela est aussi valable dans la Banque centrale des Comores et dans celle de la Cemac.
Nier l’existence du droit de veto de la France dans les conseils d’administration des banques centrales c’est chercher à prétendre que la France est sur le même pied que les 15 pays africains de la zone franc (PAZF). Comment peut-on affirmer cela alors que nous nous souvenons de l’épisode de 1994 ? Le 11 janvier 1994, c’est le ministre français de la coopération qui annoncera aux chefs d’Etat des PAZF une dévaluation surprise de 50% du franc CFA lors d’une réunion officiellement convoquée pour régler le problème de la mauvaise gestion de la Compagnie Air Afrique.
La BCEAO nie l’existence du droit de veto du représentant de la France dans le conseil d’administration de la banque centrale de l’UEMOA. Ecoutons ce que des acteurs de premier plan ont dit de la dévaluation du franc CFA de 1994. Voilà ce que le Premier Ministre français Edouard Balladur a dit là-dessus : la dévaluation a été faite « à l’instigation de la France, parce qu’il nous a semblé que c’était la meilleure formule pour aider ces pays dans leur développement ».

Omar Bongo, président du Gabon à l’époque, a révélé que « Personne ne nous a dit de dévaluer de 50 % dans les PMA, et de 25 % dans les PRI. Nous avons été tous mis dans le même panier ». Etienne Gnassingbé Eyadema, président du Togo, d’ajouter : « Comme l’on dit, la force prime souvent le droit. Je n’étais pas le seul à formuler cette mise en garde, mais la France….en a décidé autrement. Les voix africaines n’ont pas compté pour grand-chose dans cette affaire ».

Plus qu’un droit de veto, c’est la France qui décide.
Mais justement, si l’on discute de savoir si la France a un droit de veto ou pas dans les conseils d’administration c’est d’abord parce que la France est membre des conseils d’administration. Et c’est déjà là où git le lièvre. Que fait la France dans nos affaires à nous ?

C’est pourquoi nous devons préciser. Sortir du franc CFA pour nous c’est en sortir sous sa forme actuelle en dégageant à très court terme, transitoirement, la France de nos affaires monétaires. Réaliser la « France Exit » ou Frexit c’est poser trois actes : sortir la France de nos conseils d’administration (1), rapatrier nos réserves de change pour les garder nous-mêmes (2), fabriquer nous-mêmes notre monnaie (3). Tout en gardant le franc CFA tel quel ces trois mesures sont de l’ordre du possible et cela dans les meilleurs délais.

Le grand frère Tiken Jah Fakoli, qui a été déclaré persona non grata au Sénégal, pourrait le dire mieux que nous : « Allons dire aux présidents CFA qu’ils enlèvent la France de nos business on a tout compris » ; « Nanga def Président Macky, faut enlever la France de nos business on a tout compris » ; « Faut pas fâcher président Ouattara, faut enlever la France de nos business on a tout compris ».

La BCEAO dit que le Ghana, le Nigéria, la RDC, l’Afrique du Sud, et le Kenya sont les seuls pays africains qui impriment leurs billets chez eux. Elle ajoute que le Nigéria vu la taille de sa population a les moyens d’amortir ses investissements pour l’imprimerie de sa monnaie et que donc c’est une question de coût et non de lien colonial. Si la « mission civilisatrice monétaire » de la France était sincère les 150 millions d’africains ayant en commun le franc CFA auraient pu fabriquer dans l’un des 15 pays leur monnaie. Encore que les 8 pays de l’UEMOA ont une population plus importante que le Ghana ou le Kenya.

A moyen terme, comme le suggère Ndongo Samba Sylla, nous devons instaurer un débat démocratique autour notamment des préoccupations suivantes :

(i) Quels sont les pays de la zone franc en Afrique de l’Ouest qui souhaitent voir aboutir le projet de monnaie commune de la CEDEAO en 2020 ? Le Nigéria, le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Sénégal sont-ils prêts à aller vers cette voie ?

(ii) Changements légaux et institutionnels : processus décisionnel au sein de la nouvelle banque centrale ? Qu’adviendra-t-il de la BCEAO ?

(iii) Aspects techniques : régime de change de l’ECO ? Mandat de la banque centrale : priorité à l’inflation ou à la croissance ?

(iv) Intégration jusqu’où ? : Union bancaire ? Fonds de garantie (Fonds monétaire Afrique de l’Ouest) ? Titres uniques de dette africains (Ecobonds) ? Matières premières libellées en ECO ? Etc.

En plus de poser la problématique de la souveraineté monétaire, notre implication dans le débat sur le franc CFA, pose également la question de la souveraineté démocratique. A quel type d’intégration monétaire aspirons-nous ? Voulons-nous singer la zone Euro qui est contre les peuples ? Où cherchons-nous à arracher la souveraineté monétaire pour le compte des peuples africains ? Quelle intégration monétaire alternative à celles que les oligarchies nous ont jusqu’ici montrées ? Par quels mécanismes les peuples africains pourront-ils avoir un pouvoir dans cette zone monétaire alternative ?
Les rues africaines commencent à comprendre les enjeux et elles ont beaucoup d’appétit.

La lutte continue. Les peuples vaincront.

Dakar, le 13 Septembre 2017