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Le Sénégal, plus vulnérable à l’extrémisme et à l’instabilité

D 25 juin 2013     H 05:03     A IRIN     C 0 messages


DAKAR - Alors que la violence fait rage dans le nord du Nigeria et que des Casques bleus sont sur le point d’être déployés pour stabiliser la paix dans le nord du Mali, les craintes de voir les mouvements islamiques se déplacer au-delà des frontières s’accroissent, car l’instabilité risquerait de s’étendre au reste de la région, y compris au Sénégal, où les discours extrémistes gagnent du terrain, selon un rapport [ http://www.issafrica.org/publications/ecowas-peace-and-security-report/grand-angle-sur-le-radicalisme-religieux-et-la-menace-terroriste-au-senegal ] récemment publié par l’Institut d’études sur la sécurité (ISS).

Quatre confréries islamiques dominent la vie politique et religieuse du Sénégal : les Qâdiriyya, la Tijaniyya, le Mouridisme et les Layènes. Chaque confrérie se compose d’un chef (ou cheikh) et de disciples (mourides). Les confréries du Sénégal sont en général perçues comme des remparts contre le fondamentaliste, mais le rapport note la montée d’une rhétorique radicale.

Par le passé, les fondamentalistes cherchant à prendre le pouvoir dans les mosquées du Sénégal s’opposaient aux confréries ; ils disaient vouloir réformer la forme d’islam pratiquée, selon l’auteur du rapport, Bakary Sambe, qui travaille au Centre d’études des religions de l’université Gaston Berger à Saint-Louis. Mais ils ont rapidement réalisé que cette stratégie ne fonctionnerait pas ; ils ont donc opté pour une trêve stratégique, a-t-il dit, axée sur des causes communes, y compris un appel à éradiquer ce qu’ils appellent les « mauvaises valeurs », comme l’homosexualité et l’État laïc.

Les imams des confréries insistent de plus en plus sur le fait qu’ils pratiquent un islam « sain » et pur, et c’est la raison pour laquelle ils se sont opposés au discours réformiste, a dit M. Sambe.

Lors de l’enquête, qui a été réalisée par des chercheurs auprès de 400 habitants de Dakar et de sa banlieue, de la ville et du département de Saint-Louis, ainsi que de Thiès et Mbour, environ 30 pour cent des personnes interrogées ont affirmé qu’elles avaient été accusées de ne pas pratiquer le bon islam.

Les wahhabites (qui appartiennent au courant le plus conservateur de l’islam sunnite) auraient critiqué les confréries qui promeuvent le culte des imams - marabouts au Sénégal - au détriment du culte du prophète Mahomet, a indiqué M. Sambe. À Thiès, par exemple, des personnes ayant participé à l’étude ont évoqué une mosquée qui ne soutient pas le bon islam et qui promeut le culte des hommes au détriment du culte de la foi.

« Il est de plus en plus fréquent de voir les groupes fondamentalistes, comme Al-Qaida au Maghreb islamique [AQMI], s’emparer des questions d’enjeu national et leur donner une interprétation religieuse afin de créer des idéologies nationales - cela fait partie de leur nouvelle stratégie », a dit un imam du quartier de Sicap Baobab à Dakar, qui a préféré garder l’anonymat.

Si la majorité des mosquées évitent les prêches fondamentalistes, une minorité non négligeable utilise une rhétorique de plus en plus radicale, a-t-il dit.

Situations délicates

Le Sénégal se retrouve parfois dans des situations délicates, car il est à la fois un membre important des réseaux islamiques en Afrique et un allié traditionnel de l’occident.

Selon le rapport, le Sénégal a hérité de la gouvernance laïque de la France - pays colonisateur - mais 95 pour cent de ses habitants sont musulmans et, de plus en plus souvent, ils expriment leurs inquiétudes sur la manière dont le pays est gouverné. Si les confréries ont une grande influence sur le choix de la personne qui dirige le Sénégal, leur influence est plus importante dans d’autres domaines. Par exemple, 90 pour cent des enfants sénégalais sont scolarisés dans des établissements laïcs publics ou privés, mais plusieurs milliers d’élèves sont inscrits dans des écoles coraniques dirigées par des marabouts et suivent un enseignement non contrôlé dans des établissements aux sources de financement souvent inconnues.

« L’idée d’une laïcité stricte dans un pays qui compte 95 pour cent de musulmans ne passe pas toujours facilement », a dit M. Sambe. « Bon nombre de personnes considèrent que les élites françaises éduquées qui ont dirigé le pays ont échoué . Ils demandent une alternative islamique ».

Bon nombre de jeunes Sénégalais - au moins 40 pour cent seraient au chômage - se sentent trahis par un système politique incapable de leur donner du travail, mais ils sont également déçus par les confréries et cherchent donc une version plus moderne de l’islam.

« Nous avons rencontré des jeunes déterminés ; prêts à poser des bombes si on le leur demande . C’est nouveau ici, et la situation est sérieuse », a dit M. Sambe, ajoutant : « Les confréries doivent s’adapter pour attirer davantage de jeunes ».

Le discours radical peut plaire à une minorité de ces jeunes, qui souhaitent adhérer à une cause et sentent qu’ils ont peu d’alternatives, a dit l’imam de Dakar.

Il y a bien sûr une grande différence entre la promotion d’un islam plus radical et la pratique du djihad : les deux ne devraient pas être associées, selon les participants au séminaire organisé par l’Initiative de la société ouverte pour l’Afrique de l’Ouest (Open Society Initiative for West Africa, OSIWA) à l’occasion de la publication du rapport de l’ISS.

Des retombées de la situation au Mali ?

Cependant, sachant que le Sénégal est un pays voisin du Mali et qu’il est affecté par « des vulnérabilités structurelles, institutionnelles et géopolitiques, il pourrait être pris pour cible par les islamistes radicaux qui ont occupé le nord du Mali », a dit le colonel Djibril Ba, ancien commandant en second de la gendarmerie nationale, lors du séminaire. Depuis le début de la crise malienne, les forces de sécurité et de défense sénégalaises gèrent un système d’alerte précoce pour la sécurité afin de prévenir toute instabilité, a-t-il dit.

L’explosion de deux voitures piégées le 23 mars au Niger - la première a visé le camp militaire d’Agadez, la seconde la mine d’uranium d’Arlit, exploitée par une entreprise française ; elles auraient été fomentées par le leader militant Mokhtar Belmokhtar - a ébranlé les forces de sécurité de la région. La France a des intérêts économiques, militaires et diplomatiques au Sénégal - et au Niger - qui a décidé de soutenir la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA) et pourrait donc devenir la cible de représailles, a indiqué le colonel Ba.

Les frontières poreuses entre le Sénégal et ses voisins - la Mauritanie, le Mali, la Guinée, la Guinée-Bissau et la Gambie - et l’insuffisance des capacités et des ressources nécessaires à la surveillance des frontières créent les conditions propices aux trafics et à la criminalité de toutes sortes, comme le trafic d’armes, a dit M. Ba. « Même les États-Unis, qui disposent de nombreuses techniques hautement sophistiquées et d’un nouveau mur-frontière, sont incapables de contrôler leur frontière sud », a-t-il dit.

Mais tous ne sont pas aussi inquiets. Idrissa Diop, chercheur à l’école normale de Dakar, partage le point de vue de plusieurs personnes interrogées par les journalistes d’IRIN. Ce musulman était assis à côté d’un ami et collègue chrétien originaire de la région de Kolda : « Nous vivons ensemble - c’est mon grand frère, nous partageons toutes nos fêtes religieuses. La religion devrait rapprocher les gens. Lorsqu’elle sépare les gens, cela veut dire que quelque chose ne va pas. Le fondamentalisme qui touche certains groupes au Mali ne pourrait pas s’implanter ici », a-t-il dit à IRIN. « Nous ne le tolèrerions pas ».

Recommandations de l’ISS

L’ISS dit qu’il faut faire davantage pour prévenir tout problème. Il réclame la mise en place d’un système d’alerte précoce pour la sécurité, établi en collaboration avec les groupes religieux, les ministres, le personnel de sécurité et les autres personnes impliquées dans le suivi et l’analyse des évènements qui se produisent.

Il demande également aux dirigeants d’entamer un dialogue avec les autorités religieuses sénégalaises pour essayer de limiter le développement du discours extrémiste dans les mosquées et ailleurs.

Le problème de longue date de la réglementation des écoles coraniques a été abordé lors d’un séminaire organisé à Dakar sur la base des conclusions du rapport.

La police, la gendarmerie et l’armée sénégalaises devraient travailler en étroite collaboration, échanger leurs informations et leurs renseignements concernant tous les problèmes de sécurité, a dit M. Ba. Il faut améliorer leur synergie et celle des forces de sécurité et de défense des alliés de la région, a-t-il dit.

Source : http://www.irinnews.org