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Sénégal : Oumar Blondin Diop, devoir de mémoire

D 22 janvier 2014     H 18:44     A     C 0 messages


Oumar Blondin Diop, une tragédie sénégalaise (Par Barka Bâ)
« Le léopard meurt avec ses tâches » (Proverbe africain)

Le 11 mai 1973, Omar Blondin Diop, âgé seulement de 26 ans, était découvert mort, dans des circonstances tragiques, dans sa cellule de la prison de Gorée. Cette nouvelle avait causé le choc et l’effroi au sein de la jeunesse sénégalaise qui ne cessait, à coups de grèves et de marches, de protester contre l’incarcération du premier sénégalais a avoir réussi le prestigieux concours de l’école normale supérieure de Saint Cloud et qui, pour cette raison, était destiné à un brillant avenir. Cette mort brutale consacrait le point d’orgue des années de plomb du régime senghorien qu’une jeunesse insurgée avait fait trembler sur ses bases.

Quand Omar disparaissait, l’auteur de ces lignes n’était pas encore né. Mais il parait qu’à l’époque, le fond de l’air était rempli d’idées généreuses et souvent subversives. En France, Omar Blondin et ses amis avaient lu d’une traite des bouquins prémonitoires, devenus cultes chez les gauchistes de tout poil, écrits par des intellectuels de haut vol, membres de l’ Internationale situationniste : « La Société du spectacle » de Guy Debord, le « Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations » de Raoul Vaneigem et « De la misère en milieu étudiant » de Mustapha Khayati, trois grenades dégoupillées qui allaient donner le signal de la révolte estudiantine de Mai 68.

Une « chienlit », comme le général De Gaulle qualifiait cette insurrection juvénile, à laquelle le normalien Omar Blondin Diop prendra une part active aux côtés de Daniel Cohn-Bendit. Un an auparavant, Che Guevara venait de mourir en Bolivie, assassiné par des militaires instrumentalisés par la Cia. Aux Etats-Unis, Stockely Carmichael, Huey P. Newton, Eldridge Cleaver et Bobby Seale, descendants d’esclaves et nègres marrons audacieux, figures de choc du Black panthers party (BPP), foutaient une trouille indescriptible à l’Amérique blanche et raciste des White Anglo-Saxons protestants (WASP). En Uruguay, les fameux Tupamaros prônaient l’action directe et la guérilla urbaine. Ils allaient directement inspirer deux des frangins Blondin et leurs copains qui allaient passer à l’acte en tentant d’incendier deux sites du ministère des Travaux publics, le centre culturel français de Dakar et de saboter la visite, dans la même capitale, du président Georges Pompidou.

Un vrai sacrilège aux yeux du régime autoritaire de l’époque, qui ne tolérait aucune opinion dissidente. Le juge aura la main particulièrement lourde, n’hésitant pas à prononcer une peine de réclusion à perpétuité au bagne de Kédougou pour certains des protagonistes de l’affaire. C’est pour avoir tenté de libérer ses frères détenus, à l’image de ce que certains « Blacks panthers » avaient réussi aux Usa pour leur « sœur » Assata Shakur, exfiltrée à Cuba après l’attaque spectaculaire d’une prison, qu’Omar Blondin Diop et son camarade Alioune Sall « Paloma » (devenu l’un des meilleurs spécialistes africains de la prospective) furent capturés au Mali et extradés au Sénégal avec la suite que l’on sait. Quarante ans après cet épisode douloureux, l’heure est venue de nous réconcilier avec cette partie injustement méconnue de notre histoire qui nous regarde avec la mauvaise conscience de l’œil de Caïn.

Omar Blondin Diop, ses frères survivants et leurs amis ont payé au plus fort leur folle témérité et leur romantisme révolutionnaire. Mais au moment où le fric-roi et le cynisme débridé sont érigés en valeurs absolues, leur trajectoire tragique nous rappelle qu’il n’y pas encore longtemps, de jeunes Sénégalais étaient prêts à mourir pour leurs idées. Tricotant dans la conscience collective un fil rouge qui fait que du martyr de la colonisation Baïdy Kacce Pam, supplicié devant ses parents à 25 ans à Podor en compagnie du laam Toro Sidiki Sall pour avoir tué le commandant colon Abel Jeandet qui voulait l’humilier, en passant par Omar Blondin Diop, les « malsains » de 88 aux insurgés du 23 juin emmenés par le mouvement « Y en a marre », la jeunesse sénégalaise, aux heures cruciales, a toujours su dire « non ». Salut, Omar !

Barka BA
silatigi@yahoo.fr

COMMENT OMAR BLONDIN DIOP S’EST-IL RETROUVÉ DANS LES GÉÔLES DE SENGHOR ?

EXCLUSIF SenePlus - SON FRÈRE, LE DOCTEUR DIALO DIOP RACONTE - Première partie

Frédéric ATAYODI | Publication 31/05/2013

Dans son engagement révolutionnaire et anti-impérialiste, Omar Blondin Diop, mort en détention dans sa cellule, à Gorée, le 11 mai 1973, n’avait laissé aucun courant idéologique en rade pour sa formation politique : du trotskisme au communisme, du marxisme-léninisme à l’anarchisme, Omar Blondin Diop a étudié tous ces courants, sans pourtant se revendiquer exclusivement d’une chapelle ou de l’autre. Cela tient à la liberté d’esprit du personnage. Le médecin mais également charismatique leader politique Dialo Diop, lui aussi protagoniste de premier plan de cette période des années 68 à 73, nous révèle, dans une série d’interviews historiques accordées exclusivement à SenePlus.Com, quelques éléments de la personnalité de son frère Omar Blondin Diop, l’un des héros de l’histoire politique du Sénégal.

Omar Diop est né à Niamey (Niger) le 18 septembre 1946 avant de passer avec ses frères, une partie de leur enfance entre le Sénégal et la France. A Paris, avec eux, il se retrouve dans les meilleurs établissements scolaires comme le lycée Montaigne et Louis Le Grand.

Elève professeur en philosophie, Omar fréquente tous les philosophes classiques, de Socrate à Platon, en passant par Heidegger et Sartre. « La caractéristique de Omar, c’est un esprit complètement libre. Vous ne pouvez pas figer Omar dans une catégorie, qu’elle soit idéologique, philosophique ou organisationnelle. Omar n’appartenait à aucun courant idéologique. Il est passé à peu près par tous les courants de la gauche, de l’extrême gauche. Il les a tous étudiés », explique son frère Dialo Diop.

Brillant intellectuel à la conscience politique aiguë, premier Sénégalais à être admis à Normale Sup’, là où le poète et grammairien Léopold Sédar Senghor, a échoué, Omar Blondin était l’aîné d’une famille de 11 garçons qui a sacrifié sa vie pour obtenir la libération de "quatre" de ses frères et ses amis, condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement. Il était reproché à ces jeunes frères d’avoir brûlé le Centre culturel français (CCF) et le siège du ministère des Travaux publics, à la veille d’une visite officielle du président français George Pompidou, ami et condisciple de Léopold Sédar Senghor, à Dakar. Ces jeunes étaient également accusés d’avoir préparé des cocktails Molotov à lancer sur le cortège officiel de Senghor et Pompidou lors de la visite de ce denier dans la capitale sénégalaise en 1971.

"Peines disproportionnées et excessives"

Si Omar Blondin Diop s’était engagé, bravant tous les risques pour la libération des jeunes étudiants, c’est parce qu’il estimait que la décision de justice était démesurée par rapport aux chefs d’inculpation retenus contre eux. « C’est surtout le caractère disproportionné et excessif de la sanction judiciaire qui l’avait scandalisé. Il avait trouvé que c’était un abus de pouvoir caractérisé qu’il ne pouvait pas laisser comme ça », indique Dialo Diop qui, lui-même, avait été condamné à perpétuité par une Cour spéciale au même titre que Ibrahima Paye (dit Jacky). Leurs autres compagnons seront également condamnés, Nouhoum Camara à 20 ans d’emprisonnement, feu Tiémoko Camara et Sidy Gueye à 10 ans chacun et le jeune Mohamed Blondin Diop dit Pape Ndiaye à 5 ans.

Ayant participé aux événements de mai 68, Omar avait été expulsé de France en même temps que Daniel Cohn Bendit sur décision de George Pompidou, le premier ministre d’alors. Rentré au Sénégal, Omar réussira à repartir dans l’Hexagone pour faire son agréation une fois cette expulsion levée. Et c’est à ce moment que survient l’arrestation de ses frères et amis à Dakar.

Omar et ses quelques amis notamment Alioune Sall Paloma décide à ce moment d’aller se former dans des camps d’entrainement. « Ils sont passés partout, en Turquie, en Syrie, en Erythrée… Ils ont fait un périple compliqué. Ça faisait partie de son entrainement absolument ! Quand vous êtes confronté à la violence, vous cherchez les moyens d’auto défense », explique Dialo Diop. Ce dernier ayant pris connaissance du plan de libération planifié par son frère Omar, tente de l’en dissuader tout en lui proposant un plan de substitution consigné dans une correspondance qui lui sera fatale à la faveur d’une visite officielle du président Senghor à Bamako, où le jeune normalien s’était réfugié avec ses camarades.

« Effectivement, une fois que nous avions été condamnés, les Omar pensaient à une opération commando pour imposer notre libération. Nous les en avons dissuadé sans difficulté en expliquant que le risque était démesuré et que les conditions de détention sont telles que nous pouvions facilement nous faire la belle », affirme Dialo Diop.

En lieu en place d’une opération commando, un plan de substitution est envoyé à Omar et ses camarades de lutte établis provisoirement à Bamako. « Donc on a ajusté les plans en fonction de cela. Seulement, ce que nous n’avions pas prévu, c’est que le président Senghor allait faire une visite chez les putschistes maliens, chez Moussa Traoré. Puisque son ennemi intime Modibo Keita avait été renversé » en 1968 lors d’un coup d’Etat militaire.

La correspondance fatale à Omar

En prévision de la dite visite du président Senghor à Bamako, le redoutable chef de la sûreté malienne, Tiékoro Bagayoko, avait fait arrêter tous les réfugiés politiques sénégalais de façon préventive. C’est lui Bakayoko, qui plus tard, fera torturer Omar Blondin.

Dans la foulée, on découvre la lettre de Dialo Diop dans laquelle il fait à son frère Omar une proposition de substitution à l’opération commando. « C’est par mal chance, par imprudence ou par défaut de vigilance qu’ils ont trouvé dans sa poche ma lettre qui disait : - voici le plan de substitution que je te propose. C’était du pain béni pour Senghor et Jean-Collin (à l’époque tout puissant ministre de l’Intérieur) qui se sont arrangés avec le putschiste malien, Moussa Traoré pour qu’on extrade Omar et Paloma pieds et poings liés », raconte Dialo Diop.

Omar Blondin Diop et ses compagnons sont ensuite extradés du Mali vers le Sénégal où ils prendront la place de Dialo Diop et ses co-détenus à la prison de Gorée, après un passage au Fort B situé à côté de l’autoroute, près de l’échangeur de Hann.

Omar sera jugé puis condamnés à trois ans de réclusion pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » par un tribunal spécial, le 23 mars 1972.

À SUIVRE...

fatayodi@seneplus.com

LA FAMILLE DIOP EXIGE LA RÉOUVERTURE DU DOSSIER OMAR BLONDIN

L’hommage à Omar Blondin Diop à l’occasion du quarantième anniversaire de son décès visait à rétablir la vérité sur cette affaire. Mais avec l’interview accordée le 11 mai dernier au journal privé sénégalais, Le Quotidien, par Néré Faye, un des policiers mis en cause, la famille Blondin Diop exige la réouverture du dossier. Néré Faye, un des gardiens de la prison de Gorée où Omar Blondin Diop a été retrouvé mort, soutient la thèse selon laquelle il se serait suicidé. Le Dr Dialo Diop, frère du défunt et mandataire de sa famille dans cette affaire, explique dans cette troisième partie de son entretien avec SenePlus la pertinence de rouvrir cette page sombre de l’histoire politique du Sénégal.
Quarante ans après la mort d’Omar Blondin, le 11 mai 1973, sa famille a décidé le 11 mai dernier de rendre hommage à cet étudiant qui a marqué l’histoire politique et syndicale du Sénégal.

Une plaque commémorative a été érigée en son honneur le même jour à Gorée en présence de personnalités et de compagnons du défunt, un acte précédé d’un forum de témoignages pour édifier l’opinion sénégalaise sur cette affaire. Par la même occasion, beaucoup de jeunes ont découvert l’affaire dite Omar Blondin Diop.

Pourquoi avoir attendu quatre décennies pour rendre hommage à ce jeune activiste de gauche qui s’est battu pour une cause qu’une partie de l’opinion estime juste ? Dialo Diop, son frère, porte-parole de la famille, fait remarquer : « L’hommage des 40 ans, nous l’avons fondé sur la charte du Mandé, le Kurukanfuga datant de 1236 (…) qui dit que dans l’empire du Mandé, il n’y a pas d’esclave, tout humain est un humain. Mais elle dit aussi que tout mensonge qui perdure pendant 40 ans devient une vérité. Donc nous ne voulions pas passer ce seuil fatidique des 40 ans sans avoir rétabli la vérité. C’est pour cela qu’à la veille de l’inauguration, nous avons organisé un forum de témoignages ».

La charte du Mandé, une constitution avant la lettre, a été mise sur pied après la bataille de Kirina, entre les troupes victorieuses de Soudjata Keita, empereur du Mali et celles de Soumangourou Kanté, roi du Sosso. Elle régissait la vie du grand ensemble mandingue qui s’étendait au-delà du Mali actuel et couvrait une bonne partie de l’Afrique de l’Ouest.

Et pourquoi donc relancer l’ouverture du dossier alors qu’il s’agissait de rendre hommage à leur frère pour sa bravoure ? « C’est un concours de circonstances qui a provoqué cette réaction de la famille », soutient Dialo Diop en référence à l’interview du policier retraité Néré Brahim Faye. Sa prise de parole a été, de toute évidence, une occasion, voire une raison suffisante pour que la famille Blondin Diop relance le dossier.

« Ces accusations sont malhonnêtes. Je n’ai rien à me reprocher. C’est moi qui ai découvert le corps sans vie de Omar. A chaque fois que je lui apportais son repas, il avait l’habitude de venir à ma rencontre. Je l’ai appelé plusieurs fois : « Omar, Omar ». Sans réponses. Je me disais qu’il se cachait sous son lit. C’est en retournant sur mes pas que je l’ai vu, le drap du lit suspendu autour de son cou », racontait Néré Faye dans Le Quotidien. Ce que Dialo Diop qualifie de « mise en scène de la mort » de son frère. Pour lui, « la prise de parole de manière aussi intempestive et provocatrice » du policier retraité Néré Faye apporte « un élément nouveau » qui mérite un réexamen du dossier.

« Il faut savoir que Néré Faye qui a pris la parole de manière aussi intempestive que provocatrice est le seul des trois mis en cause à ne pas avoir été inculpé par le juge d’instruction, le doyen des juges » Moustapha Touré, s’est offusqué le responsable du Rassemblement national démocratique (RND), parti fondé par le savant sénégalais Cheikh Anta Diop.

Dialo Diop accuse ouvertement Néré Faye d’être « un des tueurs de Omar ».

Prié de s’expliquer sur cette accusation, il n’a pas hésité à se lancer dans cet exercice en rapport avec l’histoire et des autres mis en cause. « Nous connaissions Néré Faye depuis 40 ans par mon frère Mohamed (Blondin dit Pape Ndiaye, arrêté avec Omar Blondin Diop . Nous connaissions Adama Sy depuis 40 ans, nous connaissions Ibrahima Dièye depuis 40 ans, ainsi que le gardien chef Waly Diouf. « (…) Adama Sy et Ibrahima Dièye avaient été inculpés par le juge Moustapha Touré pour homicide à la suite de la plainte de mon père contre X », rappelle Dialo Diop ». MM. Diouf, Sy et Dièye étaient à Gorée des collègues de Néré Faye.

Dans son interview de Néré Faye indique que le sous-régisseur Ibrahima Samb, le directeur de l’administration pénitentiaire d’alors, Assane Diop ainsi que Adama Sy étaient tous trois décédés.

Néré Faye en villégiature au plus fort de la procédure

Pourquoi Néré Faye s’est-il soustrait à la justice en échappant au juge Moustapha Touré ? En effet, au moment où le juge inculpait Dièye et SY, Néré Faye déclare s’être trouvé en Côte d’ivoire, d’après son interview ; il ajoute avoir beaucoup voyagé par la suite, notamment entre l’Italie et l’Espagne. Il se trouve que la semaine qui a suivi l’inculpation des deux policiers, le juge Touré a été relevé de ses fonctions puis nommé ailleurs, dans une sorte de promotion-sanction ! « Comme le juge Touré a eu à l’expliquer dans une interview en novembre 2009, à La Gazette, il n’a pas eu le temps d’inculper Néré Faye qui était en villégiature entre la côte d’Ivoire, l’Italie et l’Espagne. Un simple maton ! », s’exclame Dialo Diop.

Avec quels moyens Néré Faye a-t-il pu prendre en charge de tels "voyages intercontinentaux". Et pourquoi donc tous ces voyages ? Est-ce pour s’éloigner du dossier ? « Je n’en sais rien, il faut le demander à ceux qui ont financé ses voyages. Parce que le salaire d’un garde pénitentiaires ne lui permet pas de faire de tels voyages » coûteux, rétorque le mandataire de la famille Blondin.

Pour mémoire, l’arrestation suivie de la condamnation à trois ans de prison d’Omar Blondin Diop, était liée à l’incarcération de ses amis et frères qui, comme lui, menaient un combat anti impérialiste.

Ces jeunes étudiants avaient été arrêtés puis condamnés à des peines disproportionnées en rapport avec les chefs d’inculpation retenus contre eux. C’est ce qui va scandaliser Omar Blondin Diop qui dans sa quête de moyens pour imposer la libération de ses frères, sera, à son tour, arrêtée, jugé, puis condamné à 3 ans de prison.