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Quel avenir pour la transition au Sénégal ?

Par Samba Sy

D 30 novembre 2013     H 00:00     A     C 0 messages


Deux ans après son arrivée au pouvoir, le président Macky Sall est confronté à une équation qui, sous des formes sans doute différentes, se dresse devant chaque homme voulant aller de l’avant : comment faire du neuf avec du vieux ? Autrement dit, ne disposant pas d’une quelconque pierre philosophale, comment, à partir du plomb faire de l’or ? Une question assurément difficile, mais dont la marche du monde elle-même atteste qu’elle n’est pas sans solution.

Abdoulaye Wade, à quelques semaines de sa défaite historique du 25 mars 2012, lâcha une de ses phrases tonitruantes dont lui seul avait le secret : « Je ne vois pas comment, en l’état actuel des choses, l’un quelconque des ces postulants au pouvoir pourrait, même si par miracle il l’emportait sur moi, gouverner le Sénégal ! » Une phrase qui fit débat et que beaucoup rangèrent au nombre des éléments renseignant sur la bien petite estime en laquelle le vieux président tenait ses compatriotes.

Wade défait et le recul aidant, il semble pourtant nécessaire de réinterpréter cette déclaration, de ne pas la réduire simplement à sa dimension psychologique, révélatrice des errances de l’ancien président sénégalais que tous savent bien trop rempli de lui-même. En effet, les épreuves auxquelles est confronté son successeur, l’âpreté et l’urgence des questions qu’il doit résoudre, rapportées à la faiblesse relative des ressources dont il dispose, attestent qu’Abdoulaye Wade savait au moins où en était le Sénégal : un pays que ses douze années de « gestion » avait fini de piéger au point d’allumer des foyers de tension dans l’essentiel de ses compartiments.

En effet, à regarder les télévisions sénégalaises, à écouter les radios ou à lire la presse écrite, s’installe le sentiment - poignant - qu’au Sénégal l’insatisfaction est la chose la mieux partagée. Non pas que les Sénégalais soient grognons ou grincheux, loin de là ! Simplement parce que, pour la plupart, ils ont des besoins pressants qui se déclinent en accès à un coût supportable aux produits de première nécessité, en demande d’éducation et de formation pour leurs enfants, en moyens d’obtenir un minimum de soins en cas de maladie, en possibilité de se loger quelque part sans être envahis à longueur d’années par des eaux putrides...

Les Sénégalais réclament des emplois. Ils souhaitent disposer d’une fourniture énergétique à feu continu et à des coûts accessibles ; ils veulent pouvoir écouler leurs propres productions à des prix rémunérateurs. Les Sénégalais exigent d’être gouvernés autrement et mieux par des dirigeants qui les serviraient au lieu de se servir d’eux. De plus en plus, ils sont réfractaires à l’injustice sociale et déterminés à se battre pour que leurs intérêts soient rigoureusement pris en compte. Ces raisons qui les ont conduit à se débarrasser de Wade, au prix d’une mobilisation exceptionnelle, cultivent en eux une impatience légitime : au quotidien ils se posent à haute voix cette question : qu’est-ce que l’actuel pouvoir a apporté comme changement profitable dans leur vie de tous les jours ?

Instruits par leur vécu du caractère dommageable de tout exercice du pouvoir dont les tenants s’exemptent de vertu, les Sénégalais scrutent les moindres faits et gestes de leurs gouvernants et, à chaque fois qu’ils croient détecter des traits d’un passé qu’ils souhaitent irrémédiablement révolu, ils ne manquent pas de traduire tout leur dépit. Au total et pour aller vite, le président Macky Sall et sa coalition ont fort à faire. Au Sénégal tout est urgence, et il est attendu d’eux les jalons d’une rupture fondamentale : ils ont à poser, avec efficience et célérité, des actes qui prouvent à tous que dorénavant plus rien ne sera comme avant. Pour le dire autrement, le président Sall et Benno Bokk Yakaar doivent, dans le même temps, installer les fondamentaux d’une rupture radicale d’avec l’ordre ancien et trouver les ressources pour satisfaire, au plus vite, les demandes pressantes de leurs compatriotes.

Quel bilan peut-on tirer, de ce point de vue, de leur dix huit mois de gestion du Sénégal ?

URGENCE ET DIFFICULTE DE RUPTURE AVEC UN PASSIF INHIBITEUR

Les vaincus du 25 mars 2012 n’ont pas encore fini de se gausser de la coalition Bennoo Bokk Yakaar qui a mis fin à leur rêve d’hégémonie qui, selon leur maître à penser Abdoulaye Wade, devait durer au moins 50 ans ! Pour ce qui reste du Parti démocratique sénégalais et des rares soutiens de Wade acceptant encore de se réclamer de lui, Benno Bokk Yakaar est un véritable « Soupou Kandje » du nom d’un plat sénégalais fait de composantes aussi variées qu’inattendues, pour certaines d’entre elles en tout cas ! Pour dire que les coalisés de Benno viennent d’horizons et de sensibilités diverses et que rien d’autre ne les aurait réuni que le désir de faire partir le désormais ancien président de la République du Sénégal.

Dans le fond, il semble qu’il faut bien admettre qu’il y a une part de vérité dans cette déclaration. Benno Bokk Yakaar, sans forcément s’y réduire, est bien une coalition de circonstance. Elle s’est imposée à certains des acteurs majeurs de la vie politique du Sénégal comme une voie efficace pour conjurer ce qui apparaissait comme un péril pour le pays : la reconduction de Wade pour un troisième mandat coïncidant avec la voie qui lui serait balisée pour mettre, envers et contre tout et tous, son fils Karim au pouvoir.

Dans un tel contexte, que des partis politiques différents, des éléments de la société civile, bref des citoyens de tous bords aient conjugués leurs forces pour préserver la stabilité du pays, la paix civile et les libertés ne devrait pas surprendre. Pour autant, il y a bien de la différence entre le Parti de l’indépendance et du travail, parti de transformation sociale, attaché aux valeurs de justice, d’égalité, de liberté et de progrès et un parti tel que celui d’Idrissa Seck – Rewmi - dont le président estime être né pour diriger le Sénégal, au point qu’il n’en revient toujours pas de n’être pas devenu, comme il le disait urbi et orbi, le 4ème président de la République du Sénégal !

Pour prendre un autre exemple, il semble qu’il y ait bien de la différence entre, d’une part, la famille éclatée des socio-démocrates que sont l’Afp de Moustapha Niasse et le Parti socialiste d’Ousmane Tanor Dieng et, d’autre part, le parti du président Sall. Macky Sall après avoir gravi bien des échelons dans le Pds et dans les rouages de l’État sénégalais qui le verront être directeur de société, ministre, Premier ministre et président de l’Assemblée nationale, a dû prendre son destin en main quand il s’est senti attaqué par Abdoulaye Wade, simplement parce que l’ancien président avait le sentiment qu’il faisait de l’ombre à son fils…

À marche forcée, et il faut bien le reconnaître au prix d’un remarquable travail de terrain adossé à des soutiens et des ressources financières importantes, il réussit à profiter des dissensions des acteurs majeurs issus des Assises nationales pour s’imposer à l’élection présidentielle de 2012 comme challenger de Wade au second tour.

Le parti du président, l’Alliance pour la République, est un parti en construction et, comme de coutume au Sénégal pour les partis au pouvoir, il fonctionne comme un aimant précipitant vers lui des hommes et des femmes aux trajectoires politiques parfois bien dissonantes.

En effet, à côté des libéraux anciens militants du Pds, on compte beaucoup d’anciens militants de l’extrême gauche sénégalaise, sans occulter de « preux chevaliers » de la société civile. Au point qu’il n’est pas impertinent de se poser la question de savoir ce qu’il en est véritablement de l’orientation politique de l’Apr. D’autant que le président de la République Macky Sall a inauguré sa gestion par quelques choix devant faire réfléchir.

Une décision forte de baisser la fiscalité sur les salaires pour soulager les travailleurs sénégalais étranglés par le niveau des prix. Une décision courageuse d’homologuer certains des prix touchant aux denrées de première nécessité. Une décision franche de travailler à une couverture santé universelle qui concernerait aussi les plus démunis des Sénégalais. Un choix de doter de « bourses familiales » les familles indigentes pour les soutenir dans la scolarisation de leurs enfants. Sans compter le relèvement des prix d’achat de l’arachide pour contrer la décision inique de Wade de décapiter la filière arachidière pour faire place à des opérateurs économiques qui se sont avérés être de simples spéculateurs.

Mais dans le même temps, le président de la République a procédé à des nominations faisant, elles aussi, réfléchir. Ainsi en a-t-il été d’Aminata Niane qui fut un élément majeur du dispositif wadien ou encore de l’homme lige de la Compagnie sucrière sénégalaise, Diagna Ndiaye… Rallié sur le tard aux Assises nationales qui se sont tenues alors qu’il n’avait pas fini de rompre avec le Pds et Abdoulaye Wade, Macky Sall a signé la « charte de la gouvernance démocratique » tout en disant, de façon audible, que sur certains aspects des conclusions des Assises, il marquait sa différence. Ainsi a-t-il constamment précisé qu’il n’était pas dans ses intentions de quitter la direction de son parti même devenu président.

De la même manière, il ne semble pas particulièrement convaincu que le Sénégal souffre de son système présidentialiste outrancier même si, à la vérité, il a fait montre d’une extrême ouverture aux conclusions des Assises nationales en choisissant le président de cette initiative qui fit date, Amadou Moctar Mbow, pour diriger la Commission nationale de réforme des institutions… Par ailleurs, le président Sall semble « lesté » par certains des membres éminents de son parti qui ne cessent, de façon plus ou moins ostensible, de ramer à contre courant de son option de mettre « la patrie avant le parti ».

Pour ceux-là qui ont rompu avec le Pds sans rompre d’avec la culture du Parti État, le pouvoir doit principalement servir à conforter l’armure politique de ceux qui le gèrent pour leur permettre de rester aux premières loges. Une analyse qui les conduit, inexorablement, à confondre la patrie avec le parti, les poussant à tenter de faire renaitre de ses cendres la si dommageable politique clientéliste du précédent régime, une politique ayant fait pourtant bien du tort à la nation sénégalaise.

Bref, le président Sall est confronté à une équation qui, sous des formes sans doute différentes, se dresse devant chaque homme voulant aller de l’avant : comment faire du neuf avec du vieux ? Autrement dit, ne disposant pas d’une quelconque pierre philosophale, comment, à partir du plomb faire de l’or ? Une question assurément difficile, mais dont la marche du monde elle-même atteste qu’elle n’est pas sans solution.

Précisément parce que toujours et partout il a bien fallu, avec les hommes tels qu’ils sont, leurs talents et limites, leurs forces et faiblesses, inventer ou créer. La question à résoudre devient donc celle-ci : quelles sont les forces qui dans l’alliance hybride que constitue Benno Bokk Yaakaar vont finir par triompher ? Le fléau de la balance va-t-il pencher vers l’ordre ancien, ramenant le Sénégal vers des pratiques héritées du Parti socialiste et aggravées à la limite extrême par le Parti démocratique sénégalais ? Ou alors la veille citoyenne aidant, les nombreuses batailles livrées par les forces de progrès vont-elles donner naissance, au Sénégal, à une nouvelle étape qualitativement supérieure ?

DE LA COALITION DE CIRCONSTANCE À L’ÉQUIPE POLITIQUE GAGNANTE

Il est probable que septembre 2013 représente un moment important dans le cheminement du président de la République du Sénégal Macky Sall. En effet, c’est à cette étape de son parcours, 18 mois après son arrivée au pouvoir, que le tombeur de Wade a décidé de remanier notablement son gouvernement en se séparant de son tout premier Premier ministre, le banquier Abdoul Mbaye. Mais septembre 2013 fut aussi le mois choisi par le leader du Parti Rewmi-Idrissa Seck - pour officialiser sa rupture d’avec la coalition présidentielle. Septembre 2013 correspondit par ailleurs, non seulement avec une sorte de pic des inondations consécutives aux pluies diluviennes tombées sur le Sénégal mais aussi d’avec l’interruption, quinze jours durant, de la fourniture en eau potable de Dakar, la capitale du pays, suite à un dysfonctionnement important du dispositif de la Société nationale des eaux du Sénégal. Le tout s’agrégeant à la cherté des prix renforcée par la période hivernale, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à cette période les Sénégalais n’avaient nullement le coeur à la fête !

Du reste, il faudra bien un jour que ces Sénégalais puissent être fixés sur le départ d’Abdoul Mbaye. Celui-ci a-t-il précipité son départ, tellement la récurrence dans son discours de la formule « je n’ai pas demandé à être Premier ministre » a fini par braquer le président de la République, ou ce dernier s’est-il décidé à changer le chef de son équipe gouvernementale parce que celui-là ne lui donnait plus satisfaction ? Ou encore, et plus prosaïquement, Abdoul Mbaye aurait-il été une victime expiatoire dont le remplacement serait destiné à donner quelque répit pour franchir un cap difficile ?

En tous les cas, le quasi maintien de l’équilibre des forces au sein de l’équipe gouvernementale, en dépit du forcing de certains cadres de l’Apr et de la coalition primaire du président (Macky 2012), atteste de la volonté de Macky Sall de continuer à faire corps avec ses alliés.

Ce qui donne plus de relief au choix d’Idrissa Seck de rompre avec ses partenaires de Benno, un choix qu’il justifie en alléguant le déficit de communication entre le président et ses alliés et le fait que ceux qui représentaient son parti dans l’équipe gouvernementale aient été reconduits sans son assentiment. Le moins que l’on puisse dire est qu’en prenant le large Idrissa Seck réaffirme son ambition de toujours. Il veut être président de la République du Sénégal et se dit que plus tôt il se positionne sans équivoque comme postulant à ce poste en 2017, mieux cela vaut pour lui, en termes de lisibilité et de capacité à fédérer les oppositions éclatées de l’actuel régime.

Or, à son corps défendant, ce positionnement d’Idrissa Seck risque d’avoir un retentissement positif sur la coalition Benno Bokk Yaakaar. Celle-ci ne pourra plus seulement se suffire de ses plages d’échanges à l’échelle du gouvernement et de l’Assemblée nationale : il lui faudra bien d’autres espaces de rencontres de ses membres si ceux-ci veulent avoir du répondant, d’une part, et d’autre part, traverser sans pertes considérables l’écueil des élections locales de mars 2014. Mieux, le gouvernement ne peut accélérer comme le dit l’actuel Premier ministre « la cadence », dans son effort de résolution des problèmes des Sénégalais, sans que ces derniers n’adhérent massivement aux choix politiques du moment. D’où l’enjeu de forces politiques larges, alliées dans l’effort de trouver des solutions rationnelles aux très sérieuses difficultés qui affectent le quotidien des Sénégalais.

Très certainement, ceux-ci vont davantage être exigeants et dubitatifs vis-à-vis de Macky Sall et de son régime et ceci dans une mesure inversement proportionnelle à la synergie des forces politiques sur lesquelles Macky et son camp embrayent. Autrement dit, moins le président Sall pourra compter sur ses alliés de départ, davantage il aura de la peine à entrainer les Sénégalais dans son sillage. N’a-t-il pas eu 26% des suffrages au 1er tour, avant de monter à 65% au second, tellement il avait fédéré le mécontentement contre Wade et ses affidés ? Le soulèvement populaire du 23 juin 2011 n’a-t-il pas été un révélateur éclatant des possibilités de riposte des Sénégalais s’ils se sentent, dans leurs aspirations profondes, trahis ou floués ?

Bien entendu, il n’y a pas à fétichiser la coalition Benno Bokk Yaakaar. Celle-là elle-même n’a aucune chance de triompher si elle ne travaille pas à ressentir les pulsations populaires pour les capter et les traduire, dans la mesure, du possible en choix politiques pertinents au profit du Sénégal.
En la matière, Benno Book Yaakaar doit allier langage de vérité et responsabilité, justice sociale et créativité. Il doit être possible, avec le soutien populaire, de sortir des schémas rigides des officines d’argent ayant enfermé le Sénégal dans les voies peu porteuses durant plusieurs décennies. Benno doit faire plus et mieux pour l’École et la Santé, elle doit oeuvrer pour davantage de justice sociale afin qu’au Sénégal le soleil brille pour le plus de monde. Les hommes et femmes aux affaires doivent donner le ton de par leur engagement au travail et leur respect du bien public. En prouvant la marche en marchant, ils pourraient convaincre la jeunesse du pays qu’il n’y a pas, pour un quelconque peuple de la planète terre, un destin définitivement obturé. Pour arriver à un tel renversement, il semble impératif que les forces de transformation sociale, partis et syndicats, tirent les leçons de vie qu’impose leur vécu des dernières années.

RÔLE ET PLACE DES FORCES DE TRANSFORMATION SOCIALE DANS LE SÉNÉGAL D’AUJOURD’HUI

Les organisations politiques issues peu ou proue du Parti africain de l’Indépendance (Pai), crée en 1957, d’obédience marxiste, ayant porté très haut la bataille pour l’indépendance des nations africaines et donc du Sénégal, ont connu des fortunes diverses.

De certaines d’entre elles, il ne reste plus qu’un sigle, évoqué à l’occasion, avec un brin de nostalgie. Contrairement à d’autres qui, en dépit d’un poids électoral peu significatif, continuent d’influer fortement sur le cours de la vie politique nationale. Ainsi en est-il de la Ligue démocratique et du Parti de l’indépendance et du travail et, dans une moindre mesure, d’And-Jef. Ces trois partis politiques ont été au coeur de l’alternance démocratique survenue au Sénégal en 2000, le Pit et la Ligue démocratique jouant en ce qui les concerne un rôle essentiel dans tous les événements ayant conduit à la défaite de Wade en mars 2012.

Le paradoxe du Pit, de la Ld, bref des Partis qui se sont réclamés ou qui se réclament encore du marxisme, des idéaux de justice sociale, de liberté et de progrès, c’est que leur champ d’influence est sans rapport avec le nombre de leurs militants ou encore de leurs ressources matérielles ou financières.

Pour prendre un exemple, le salon du président du Pit, Amath Dansokho, a été le cadre de bien des tractations à l’issue desquelles des coalitions victorieuses ont été bâties au Sénégal. Dans le débat public, les dirigeants de ces organisations occupent une telle place qu’ils sont qualifiés de « faiseurs de rois ». Mais le fait est qu’à chaque fois qu’un combat politique est remporté et qu’il se pose dès lors la problématique de la gestion du pouvoir, ni le Pit ni la Ls, les autres organisations de la gauche historique du Sénégal encore moins, ne peuvent prétendre occuper le devant de la scène.

Une conséquence immédiate de cet état de fait est que des Sénégalais - et parfois même des militants de ces organisations - se convainquent de la nécessité de « faire court », en choisissant de rallier le camp des « grands partis », en se donnant par la même de meilleures chances, selon eux, d’accéder à des positions à partir desquelles ils participeraient de la gestion des affaires du pays…

À quoi s’ajoute le fait que l’ancien président de la République du Sénégal, surfant à merveille sur les rivalités historiques et les divergences d’options doctrinales des forces de gauche du Sénégal, s’était rallié de manière relativement durable le concours et de la Ligue démocratique et celui d’And Jef. Faut-il le rappeler, la rupture entre le Pds et le Pit surviendra moins d’une année après l’arrivée de Wade au pouvoir sur la base d’une différence sérieuse d’appréciation quant au contenu de la constitution de 2001, alors qu’aussi bien la Ld que Aj s’accommodaient des options wadiennes et de nombre de ses autres lubies durant de trop longues années.

Le même Abdoulaye Wade, se servant à tour de bras des ressources publiques, réussira à « domestiquer » durablement certaines centrales syndicales du pays, les jouant les unes contre les autres, au point de les empêcher dans la durée de mener une lutte conséquente pour faire face aux multiples agressions que n’ont cessé de subir douze années durant, les travailleurs sénégalais…

La conséquence de tout ceci fut un discrédit relatif de beaucoup de dirigeants syndicaux, une dispersion relative des troupes faisant que dans les secteurs de l’École et de la Santé par exemple il y eut alignement de mots d’ordre de grèves à l’efficacité en définitive sujette à caution…

Au total, les organisations de gauche, celles oeuvrant pour la libération humaine, font face à des défis pressants. D’abord celui de cohérence doctrinale. Elles se doivent de préciser, dans un contexte où il y a bien du flou quant aux identités des uns et des autres, de préciser donc leur nature, c’est-à-dire revendiquer leur camp. Ce qui ne peut bien entendu s’arrêter à une simple réclame. Il s’agirait plutôt de poser des actes qui, dans le contexte historique concret du Sénégal, révéleraient qu’on est d’un camp plutôt que d’un autre.

Le défi de l’unité des forces de transformation sociale est aussi à relever. Précisément parce que les tâches sont devenues si tentaculaires, l’adversité si rude et multiforme, qu’il y a bien de la vanité ou pire, de l’inintelligence quant à penser qu’on peut les relever en demeurant dispersés. Elles se doivent aussi de faire face au défi du discernement. Précisément parce que dans la réalité complexe du 21ème siècle, avec un Sénégal subissant de plein fouet le néolibéralisme érigée en politique à une échelle quasi tentaculaire, il importe, d’une part, d’avoir l’exacte mesure des forces mobilisables pour une riposte efficace et, d’autre part, de faire le tri entre les étapes ou les objectifs à atteindre à court, moyen et long termes. Pour dire que, dans un tel cadre, rien ne serait plus préjudiciable que les mots d’ordre n’ayant aucune prise sur le réel si ce n’est le renoncement définitif à tout objectif de libération de l’exploitation et de la domination.

Comme toujours, les peuples demeurent en quête d’une humanité plus humaine, de sorte qu’au Sénégal comme ailleurs, ils ont besoin d’un horizon dont ils seraient à la fois les concepteurs et les ardents bâtisseurs. Aux hommes de progrès du Sénégal donc de se donner les moyens de convaincre un nombre de plus en plus important de leurs compatriotes qu’un Sénégal de justice sociale, où il serait bon vivre pour le grand nombre, est bien dans l’ordre du réalisable.

CONCLUSION

En définitive la réalisation d’une deuxième alternance démocratique offre aux Sénégalais la belle opportunité de redonner à la politique son sens véritable. Faut-il le rappeler ? L’action politique, loin d’être une activité éthérée ou un art si complexe qu’il ne serait réservé qu’à quelques initiés, se ramène « à la construction de la cité ». Dès lors, qui mieux que les habitants de cette cité pour la faire avec des chances de lui donner toutes ses vertus ?

Le président Macky Sall, sa coalition Benno Bokk Yaakaar détiennent donc, entre leurs mains périssables, des atouts certains. Avec ceux-là, ils peuvent réaliser la paix en Casamance puisque le contexte s’y prête, après des décennies de conflit, mais aussi et plus globalement, réconcilier les Sénégalais avec eux-mêmes, en leur prouvant que l’engagement partisan peut se nourrir du projet d’être utile aux autres, à la communauté. S’ils parvenaient à avancer dans cette direction, non seulement leur pays le Sénégal leur en serait redevable, mais plus et mieux, il rendrait un fier service à leur sous-région et au continent africain où un nombre croissant d’hommes et de femmes, de jeunes surtout, se demandent anxieusement si demain sera un jour meilleur.

Samba Sy est secrétaire du Comité central du Parti de l’indépendance et du travail du Sénégal, membre du Conseil scientifique de la fondation Gabriel Péri

Quel avenir pour la transition au Sénégal ?

Samba SY

Deux ans après son arrivée au pouvoir, le président Macky Sall est confronté à une équation qui, sous des formes sans doute différentes, se dresse devant chaque homme voulant aller de l’avant : comment faire du neuf avec du vieux ? Autrement dit, ne disposant pas d’une quelconque pierre philosophale, comment, à partir du plomb faire de l’or ? Une question assurément difficile, mais dont la marche du monde elle-même atteste qu’elle n’est pas sans solution.

Abdoulaye Wade, à quelques semaines de sa défaite historique du 25 mars 2012, lâcha une de ses phrases tonitruantes dont lui seul avait le secret : « Je ne vois pas comment, en l’état actuel des choses, l’un quelconque des ces postulants au pouvoir pourrait, même si par miracle il l’emportait sur moi, gouverner le Sénégal ! » Une phrase qui fit débat et que beaucoup rangèrent au nombre des éléments renseignant sur la bien petite estime en laquelle le vieux président tenait ses compatriotes.

Wade défait et le recul aidant, il semble pourtant nécessaire de réinterpréter cette déclaration, de ne pas la réduire simplement à sa dimension psychologique, révélatrice des errances de l’ancien président sénégalais que tous savent bien trop rempli de lui-même. En effet, les épreuves auxquelles est confronté son successeur, l’âpreté et l’urgence des questions qu’il doit résoudre, rapportées à la faiblesse relative des ressources dont il dispose, attestent qu’Abdoulaye Wade savait au moins où en était le Sénégal : un pays que ses douze années de « gestion » avait fini de piéger au point d’allumer des foyers de tension dans l’essentiel de ses compartiments.

En effet, à regarder les télévisions sénégalaises, à écouter les radios ou à lire la presse écrite, s’installe le sentiment - poignant - qu’au Sénégal l’insatisfaction est la chose la mieux partagée. Non pas que les Sénégalais soient grognons ou grincheux, loin de là ! Simplement parce que, pour la plupart, ils ont des besoins pressants qui se déclinent en accès à un coût supportable aux produits de première nécessité, en demande d’éducation et de formation pour leurs enfants, en moyens d’obtenir un minimum de soins en cas de maladie, en possibilité de se loger quelque part sans être envahis à longueur d’années par des eaux putrides...

Les Sénégalais réclament des emplois. Ils souhaitent disposer d’une fourniture énergétique à feu continu et à des coûts accessibles ; ils veulent pouvoir écouler leurs propres productions à des prix rémunérateurs. Les Sénégalais exigent d’être gouvernés autrement et mieux par des dirigeants qui les serviraient au lieu de se servir d’eux. De plus en plus, ils sont réfractaires à l’injustice sociale et déterminés à se battre pour que leurs intérêts soient rigoureusement pris en compte. Ces raisons qui les ont conduit à se débarrasser de Wade, au prix d’une mobilisation exceptionnelle, cultivent en eux une impatience légitime : au quotidien ils se posent à haute voix cette question : qu’est-ce que l’actuel pouvoir a apporté comme changement profitable dans leur vie de tous les jours ?

Instruits par leur vécu du caractère dommageable de tout exercice du pouvoir dont les tenants s’exemptent de vertu, les Sénégalais scrutent les moindres faits et gestes de leurs gouvernants et, à chaque fois qu’ils croient détecter des traits d’un passé qu’ils souhaitent irrémédiablement révolu, ils ne manquent pas de traduire tout leur dépit. Au total et pour aller vite, le président Macky Sall et sa coalition ont fort à faire. Au Sénégal tout est urgence, et il est attendu d’eux les jalons d’une rupture fondamentale : ils ont à poser, avec efficience et célérité, des actes qui prouvent à tous que dorénavant plus rien ne sera comme avant. Pour le dire autrement, le président Sall et Benno Bokk Yakaar doivent, dans le même temps, installer les fondamentaux d’une rupture radicale d’avec l’ordre ancien et trouver les ressources pour satisfaire, au plus vite, les demandes pressantes de leurs compatriotes.

Quel bilan peut-on tirer, de ce point de vue, de leur dix huit mois de gestion du Sénégal ?

URGENCE ET DIFFICULTE DE RUPTURE AVEC UN PASSIF INHIBITEUR

Les vaincus du 25 mars 2012 n’ont pas encore fini de se gausser de la coalition Bennoo Bokk Yakaar qui a mis fin à leur rêve d’hégémonie qui, selon leur maître à penser Abdoulaye Wade, devait durer au moins 50 ans ! Pour ce qui reste du Parti démocratique sénégalais et des rares soutiens de Wade acceptant encore de se réclamer de lui, Benno Bokk Yakaar est un véritable « Soupou Kandje » du nom d’un plat sénégalais fait de composantes aussi variées qu’inattendues, pour certaines d’entre elles en tout cas ! Pour dire que les coalisés de Benno viennent d’horizons et de sensibilités diverses et que rien d’autre ne les aurait réuni que le désir de faire partir le désormais ancien président de la République du Sénégal.

Dans le fond, il semble qu’il faut bien admettre qu’il y a une part de vérité dans cette déclaration. Benno Bokk Yakaar, sans forcément s’y réduire, est bien une coalition de circonstance. Elle s’est imposée à certains des acteurs majeurs de la vie politique du Sénégal comme une voie efficace pour conjurer ce qui apparaissait comme un péril pour le pays : la reconduction de Wade pour un troisième mandat coïncidant avec la voie qui lui serait balisée pour mettre, envers et contre tout et tous, son fils Karim au pouvoir.

Dans un tel contexte, que des partis politiques différents, des éléments de la société civile, bref des citoyens de tous bords aient conjugués leurs forces pour préserver la stabilité du pays, la paix civile et les libertés ne devrait pas surprendre. Pour autant, il y a bien de la différence entre le Parti de l’indépendance et du travail, parti de transformation sociale, attaché aux valeurs de justice, d’égalité, de liberté et de progrès et un parti tel que celui d’Idrissa Seck – Rewmi - dont le président estime être né pour diriger le Sénégal, au point qu’il n’en revient toujours pas de n’être pas devenu, comme il le disait urbi et orbi, le 4ème président de la République du Sénégal !

Pour prendre un autre exemple, il semble qu’il y ait bien de la différence entre, d’une part, la famille éclatée des socio-démocrates que sont l’Afp de Moustapha Niasse et le Parti socialiste d’Ousmane Tanor Dieng et, d’autre part, le parti du président Sall. Macky Sall après avoir gravi bien des échelons dans le Pds et dans les rouages de l’État sénégalais qui le verront être directeur de société, ministre, Premier ministre et président de l’Assemblée nationale, a dû prendre son destin en main quand il s’est senti attaqué par Abdoulaye Wade, simplement parce que l’ancien président avait le sentiment qu’il faisait de l’ombre à son fils…

À marche forcée, et il faut bien le reconnaître au prix d’un remarquable travail de terrain adossé à des soutiens et des ressources financières importantes, il réussit à profiter des dissensions des acteurs majeurs issus des Assises nationales pour s’imposer à l’élection présidentielle de 2012 comme challenger de Wade au second tour.

Le parti du président, l’Alliance pour la République, est un parti en construction et, comme de coutume au Sénégal pour les partis au pouvoir, il fonctionne comme un aimant précipitant vers lui des hommes et des femmes aux trajectoires politiques parfois bien dissonantes.

En effet, à côté des libéraux anciens militants du Pds, on compte beaucoup d’anciens militants de l’extrême gauche sénégalaise, sans occulter de « preux chevaliers » de la société civile. Au point qu’il n’est pas impertinent de se poser la question de savoir ce qu’il en est véritablement de l’orientation politique de l’Apr. D’autant que le président de la République Macky Sall a inauguré sa gestion par quelques choix devant faire réfléchir.

Une décision forte de baisser la fiscalité sur les salaires pour soulager les travailleurs sénégalais étranglés par le niveau des prix. Une décision courageuse d’homologuer certains des prix touchant aux denrées de première nécessité. Une décision franche de travailler à une couverture santé universelle qui concernerait aussi les plus démunis des Sénégalais. Un choix de doter de « bourses familiales » les familles indigentes pour les soutenir dans la scolarisation de leurs enfants. Sans compter le relèvement des prix d’achat de l’arachide pour contrer la décision inique de Wade de décapiter la filière arachidière pour faire place à des opérateurs économiques qui se sont avérés être de simples spéculateurs.

Mais dans le même temps, le président de la République a procédé à des nominations faisant, elles aussi, réfléchir. Ainsi en a-t-il été d’Aminata Niane qui fut un élément majeur du dispositif wadien ou encore de l’homme lige de la Compagnie sucrière sénégalaise, Diagna Ndiaye… Rallié sur le tard aux Assises nationales qui se sont tenues alors qu’il n’avait pas fini de rompre avec le Pds et Abdoulaye Wade, Macky Sall a signé la « charte de la gouvernance démocratique » tout en disant, de façon audible, que sur certains aspects des conclusions des Assises, il marquait sa différence. Ainsi a-t-il constamment précisé qu’il n’était pas dans ses intentions de quitter la direction de son parti même devenu président.

De la même manière, il ne semble pas particulièrement convaincu que le Sénégal souffre de son système présidentialiste outrancier même si, à la vérité, il a fait montre d’une extrême ouverture aux conclusions des Assises nationales en choisissant le président de cette initiative qui fit date, Amadou Moctar Mbow, pour diriger la Commission nationale de réforme des institutions… Par ailleurs, le président Sall semble « lesté » par certains des membres éminents de son parti qui ne cessent, de façon plus ou moins ostensible, de ramer à contre courant de son option de mettre « la patrie avant le parti ».

Pour ceux-là qui ont rompu avec le Pds sans rompre d’avec la culture du Parti État, le pouvoir doit principalement servir à conforter l’armure politique de ceux qui le gèrent pour leur permettre de rester aux premières loges. Une analyse qui les conduit, inexorablement, à confondre la patrie avec le parti, les poussant à tenter de faire renaitre de ses cendres la si dommageable politique clientéliste du précédent régime, une politique ayant fait pourtant bien du tort à la nation sénégalaise.

Bref, le président Sall est confronté à une équation qui, sous des formes sans doute différentes, se dresse devant chaque homme voulant aller de l’avant : comment faire du neuf avec du vieux ? Autrement dit, ne disposant pas d’une quelconque pierre philosophale, comment, à partir du plomb faire de l’or ? Une question assurément difficile, mais dont la marche du monde elle-même atteste qu’elle n’est pas sans solution.

Précisément parce que toujours et partout il a bien fallu, avec les hommes tels qu’ils sont, leurs talents et limites, leurs forces et faiblesses, inventer ou créer. La question à résoudre devient donc celle-ci : quelles sont les forces qui dans l’alliance hybride que constitue Benno Bokk Yaakaar vont finir par triompher ? Le fléau de la balance va-t-il pencher vers l’ordre ancien, ramenant le Sénégal vers des pratiques héritées du Parti socialiste et aggravées à la limite extrême par le Parti démocratique sénégalais ? Ou alors la veille citoyenne aidant, les nombreuses batailles livrées par les forces de progrès vont-elles donner naissance, au Sénégal, à une nouvelle étape qualitativement supérieure ?

DE LA COALITION DE CIRCONSTANCE À L’ÉQUIPE POLITIQUE GAGNANTE

Il est probable que septembre 2013 représente un moment important dans le cheminement du président de la République du Sénégal Macky Sall. En effet, c’est à cette étape de son parcours, 18 mois après son arrivée au pouvoir, que le tombeur de Wade a décidé de remanier notablement son gouvernement en se séparant de son tout premier Premier ministre, le banquier Abdoul Mbaye. Mais septembre 2013 fut aussi le mois choisi par le leader du Parti Rewmi-Idrissa Seck - pour officialiser sa rupture d’avec la coalition présidentielle. Septembre 2013 correspondit par ailleurs, non seulement avec une sorte de pic des inondations consécutives aux pluies diluviennes tombées sur le Sénégal mais aussi d’avec l’interruption, quinze jours durant, de la fourniture en eau potable de Dakar, la capitale du pays, suite à un dysfonctionnement important du dispositif de la Société nationale des eaux du Sénégal. Le tout s’agrégeant à la cherté des prix renforcée par la période hivernale, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à cette période les Sénégalais n’avaient nullement le coeur à la fête !

Du reste, il faudra bien un jour que ces Sénégalais puissent être fixés sur le départ d’Abdoul Mbaye. Celui-ci a-t-il précipité son départ, tellement la récurrence dans son discours de la formule « je n’ai pas demandé à être Premier ministre » a fini par braquer le président de la République, ou ce dernier s’est-il décidé à changer le chef de son équipe gouvernementale parce que celui-là ne lui donnait plus satisfaction ? Ou encore, et plus prosaïquement, Abdoul Mbaye aurait-il été une victime expiatoire dont le remplacement serait destiné à donner quelque répit pour franchir un cap difficile ?

En tous les cas, le quasi maintien de l’équilibre des forces au sein de l’équipe gouvernementale, en dépit du forcing de certains cadres de l’Apr et de la coalition primaire du président (Macky 2012), atteste de la volonté de Macky Sall de continuer à faire corps avec ses alliés.

Ce qui donne plus de relief au choix d’Idrissa Seck de rompre avec ses partenaires de Benno, un choix qu’il justifie en alléguant le déficit de communication entre le président et ses alliés et le fait que ceux qui représentaient son parti dans l’équipe gouvernementale aient été reconduits sans son assentiment. Le moins que l’on puisse dire est qu’en prenant le large Idrissa Seck réaffirme son ambition de toujours. Il veut être président de la République du Sénégal et se dit que plus tôt il se positionne sans équivoque comme postulant à ce poste en 2017, mieux cela vaut pour lui, en termes de lisibilité et de capacité à fédérer les oppositions éclatées de l’actuel régime.

Or, à son corps défendant, ce positionnement d’Idrissa Seck risque d’avoir un retentissement positif sur la coalition Benno Bokk Yaakaar. Celle-ci ne pourra plus seulement se suffire de ses plages d’échanges à l’échelle du gouvernement et de l’Assemblée nationale : il lui faudra bien d’autres espaces de rencontres de ses membres si ceux-ci veulent avoir du répondant, d’une part, et d’autre part, traverser sans pertes considérables l’écueil des élections locales de mars 2014. Mieux, le gouvernement ne peut accélérer comme le dit l’actuel Premier ministre « la cadence », dans son effort de résolution des problèmes des Sénégalais, sans que ces derniers n’adhérent massivement aux choix politiques du moment. D’où l’enjeu de forces politiques larges, alliées dans l’effort de trouver des solutions rationnelles aux très sérieuses difficultés qui affectent le quotidien des Sénégalais.

Très certainement, ceux-ci vont davantage être exigeants et dubitatifs vis-à-vis de Macky Sall et de son régime et ceci dans une mesure inversement proportionnelle à la synergie des forces politiques sur lesquelles Macky et son camp embrayent. Autrement dit, moins le président Sall pourra compter sur ses alliés de départ, davantage il aura de la peine à entrainer les Sénégalais dans son sillage. N’a-t-il pas eu 26% des suffrages au 1er tour, avant de monter à 65% au second, tellement il avait fédéré le mécontentement contre Wade et ses affidés ? Le soulèvement populaire du 23 juin 2011 n’a-t-il pas été un révélateur éclatant des possibilités de riposte des Sénégalais s’ils se sentent, dans leurs aspirations profondes, trahis ou floués ?

Bien entendu, il n’y a pas à fétichiser la coalition Benno Bokk Yaakaar. Celle-là elle-même n’a aucune chance de triompher si elle ne travaille pas à ressentir les pulsations populaires pour les capter et les traduire, dans la mesure, du possible en choix politiques pertinents au profit du Sénégal.
En la matière, Benno Book Yaakaar doit allier langage de vérité et responsabilité, justice sociale et créativité. Il doit être possible, avec le soutien populaire, de sortir des schémas rigides des officines d’argent ayant enfermé le Sénégal dans les voies peu porteuses durant plusieurs décennies. Benno doit faire plus et mieux pour l’École et la Santé, elle doit oeuvrer pour davantage de justice sociale afin qu’au Sénégal le soleil brille pour le plus de monde. Les hommes et femmes aux affaires doivent donner le ton de par leur engagement au travail et leur respect du bien public. En prouvant la marche en marchant, ils pourraient convaincre la jeunesse du pays qu’il n’y a pas, pour un quelconque peuple de la planète terre, un destin définitivement obturé. Pour arriver à un tel renversement, il semble impératif que les forces de transformation sociale, partis et syndicats, tirent les leçons de vie qu’impose leur vécu des dernières années.

RÔLE ET PLACE DES FORCES DE TRANSFORMATION SOCIALE DANS LE SÉNÉGAL D’AUJOURD’HUI

Les organisations politiques issues peu ou proue du Parti africain de l’Indépendance (Pai), crée en 1957, d’obédience marxiste, ayant porté très haut la bataille pour l’indépendance des nations africaines et donc du Sénégal, ont connu des fortunes diverses.

De certaines d’entre elles, il ne reste plus qu’un sigle, évoqué à l’occasion, avec un brin de nostalgie. Contrairement à d’autres qui, en dépit d’un poids électoral peu significatif, continuent d’influer fortement sur le cours de la vie politique nationale. Ainsi en est-il de la Ligue démocratique et du Parti de l’indépendance et du travail et, dans une moindre mesure, d’And-Jef. Ces trois partis politiques ont été au coeur de l’alternance démocratique survenue au Sénégal en 2000, le Pit et la Ligue démocratique jouant en ce qui les concerne un rôle essentiel dans tous les événements ayant conduit à la défaite de Wade en mars 2012.

Le paradoxe du Pit, de la Ld, bref des Partis qui se sont réclamés ou qui se réclament encore du marxisme, des idéaux de justice sociale, de liberté et de progrès, c’est que leur champ d’influence est sans rapport avec le nombre de leurs militants ou encore de leurs ressources matérielles ou financières.

Pour prendre un exemple, le salon du président du Pit, Amath Dansokho, a été le cadre de bien des tractations à l’issue desquelles des coalitions victorieuses ont été bâties au Sénégal. Dans le débat public, les dirigeants de ces organisations occupent une telle place qu’ils sont qualifiés de « faiseurs de rois ». Mais le fait est qu’à chaque fois qu’un combat politique est remporté et qu’il se pose dès lors la problématique de la gestion du pouvoir, ni le Pit ni la Ls, les autres organisations de la gauche historique du Sénégal encore moins, ne peuvent prétendre occuper le devant de la scène.

Une conséquence immédiate de cet état de fait est que des Sénégalais - et parfois même des militants de ces organisations - se convainquent de la nécessité de « faire court », en choisissant de rallier le camp des « grands partis », en se donnant par la même de meilleures chances, selon eux, d’accéder à des positions à partir desquelles ils participeraient de la gestion des affaires du pays…

À quoi s’ajoute le fait que l’ancien président de la République du Sénégal, surfant à merveille sur les rivalités historiques et les divergences d’options doctrinales des forces de gauche du Sénégal, s’était rallié de manière relativement durable le concours et de la Ligue démocratique et celui d’And Jef. Faut-il le rappeler, la rupture entre le Pds et le Pit surviendra moins d’une année après l’arrivée de Wade au pouvoir sur la base d’une différence sérieuse d’appréciation quant au contenu de la constitution de 2001, alors qu’aussi bien la Ld que Aj s’accommodaient des options wadiennes et de nombre de ses autres lubies durant de trop longues années.

Le même Abdoulaye Wade, se servant à tour de bras des ressources publiques, réussira à « domestiquer » durablement certaines centrales syndicales du pays, les jouant les unes contre les autres, au point de les empêcher dans la durée de mener une lutte conséquente pour faire face aux multiples agressions que n’ont cessé de subir douze années durant, les travailleurs sénégalais…

La conséquence de tout ceci fut un discrédit relatif de beaucoup de dirigeants syndicaux, une dispersion relative des troupes faisant que dans les secteurs de l’École et de la Santé par exemple il y eut alignement de mots d’ordre de grèves à l’efficacité en définitive sujette à caution…

Au total, les organisations de gauche, celles oeuvrant pour la libération humaine, font face à des défis pressants. D’abord celui de cohérence doctrinale. Elles se doivent de préciser, dans un contexte où il y a bien du flou quant aux identités des uns et des autres, de préciser donc leur nature, c’est-à-dire revendiquer leur camp. Ce qui ne peut bien entendu s’arrêter à une simple réclame. Il s’agirait plutôt de poser des actes qui, dans le contexte historique concret du Sénégal, révéleraient qu’on est d’un camp plutôt que d’un autre.

Le défi de l’unité des forces de transformation sociale est aussi à relever. Précisément parce que les tâches sont devenues si tentaculaires, l’adversité si rude et multiforme, qu’il y a bien de la vanité ou pire, de l’inintelligence quant à penser qu’on peut les relever en demeurant dispersés. Elles se doivent aussi de faire face au défi du discernement. Précisément parce que dans la réalité complexe du 21ème siècle, avec un Sénégal subissant de plein fouet le néolibéralisme érigée en politique à une échelle quasi tentaculaire, il importe, d’une part, d’avoir l’exacte mesure des forces mobilisables pour une riposte efficace et, d’autre part, de faire le tri entre les étapes ou les objectifs à atteindre à court, moyen et long termes. Pour dire que, dans un tel cadre, rien ne serait plus préjudiciable que les mots d’ordre n’ayant aucune prise sur le réel si ce n’est le renoncement définitif à tout objectif de libération de l’exploitation et de la domination.

Comme toujours, les peuples demeurent en quête d’une humanité plus humaine, de sorte qu’au Sénégal comme ailleurs, ils ont besoin d’un horizon dont ils seraient à la fois les concepteurs et les ardents bâtisseurs. Aux hommes de progrès du Sénégal donc de se donner les moyens de convaincre un nombre de plus en plus important de leurs compatriotes qu’un Sénégal de justice sociale, où il serait bon vivre pour le grand nombre, est bien dans l’ordre du réalisable.

CONCLUSION

En définitive la réalisation d’une deuxième alternance démocratique offre aux Sénégalais la belle opportunité de redonner à la politique son sens véritable. Faut-il le rappeler ? L’action politique, loin d’être une activité éthérée ou un art si complexe qu’il ne serait réservé qu’à quelques initiés, se ramène « à la construction de la cité ». Dès lors, qui mieux que les habitants de cette cité pour la faire avec des chances de lui donner toutes ses vertus ?

Le président Macky Sall, sa coalition Benno Bokk Yaakaar détiennent donc, entre leurs mains périssables, des atouts certains. Avec ceux-là, ils peuvent réaliser la paix en Casamance puisque le contexte s’y prête, après des décennies de conflit, mais aussi et plus globalement, réconcilier les Sénégalais avec eux-mêmes, en leur prouvant que l’engagement partisan peut se nourrir du projet d’être utile aux autres, à la communauté. S’ils parvenaient à avancer dans cette direction, non seulement leur pays le Sénégal leur en serait redevable, mais plus et mieux, il rendrait un fier service à leur sous-région et au continent africain où un nombre croissant d’hommes et de femmes, de jeunes surtout, se demandent anxieusement si demain sera un jour meilleur.

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** Samba Sy est secrétaire du Comité central du Parti de l’indépendance et du travail du Sénégal, membre du Conseil scientifique de la fondation Gabriel Péri

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