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Sénégal : Il faut cesser d’attaquer les défenseurs des droits humains

Le gouvernement devrait enquêter et poursuivre en justice les auteurs des attaques lancées contre des dirigeants de la société civile

D 24 juin 2011     H 21:55     A Human Rights Watch     C 0 messages


(Bruxelles, le 24 juin 2011) - Le gouvernement sénégalais devrait rapidement enquêter sur les violentes attaques lancées contre les défenseurs des droits humains Alioune Tine et Oumar Diallo lors d’une manifestation organisée le 23 juin 2011 et poursuivre les responsables en justice, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Human Rights Watch a demandé au gouvernement d’autoriser les manifestations pacifiques et de mettre un terme aux menaces dont font l’objet Tine et d’autres militants.

Tine est secrétaire général de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO), une importante organisation sénégalaise de défense des droits humains. Lors d’une manifestation devant l’Assemblée nationale sénégalaise organisée pour protester contre un amendement constitutionnel controversé visant le régime applicable aux élections présidentielles, des jeunes du Parti démocratique sénégalais (PDS) du président Abdoulaye Wade ont identifié Tine et l’ont violemment frappé ainsi que son collègue de la RADDHO, Diallo, avant que d’autres manifestations ne les évacuent pour les mettre en sécurité. Les deux hommes ont été hospitalisés.

« Il est extrêmement troublant que l’un des principaux porte-parole des droits humains au Sénégal puisse être confronté à une telle brutalité », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les autorités sénégalaises devraient non seulement retrouver les auteurs des attaques, mais aussi enquêter pour savoir si les autorités de l’État ont encouragé ou ordonné ces attaques. »

Le 22 juin, le premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye a publiquement dénigré Tine lors d’un entretien diffusé à la radio sénégalaise et publié dans la presse écrite.

Depuis son lit d’hôpital, Tine a décrit à Human Rights Watch l’attaque dont il a fait l’objet :

En début d’après-midi [le 23 juin], je m’en retournais à l’Assemblée nationale pour la manifestation. J’avais entendu hier des menaces proférées à mon encontre, y compris par le premier ministre lui-même. Alors que je passais par une ruelle pour rejoindre la manifestation, j’ai été pris à partie. De jeunes voyous qui se tenaient devant la maison de leur dirigeant Farba Senghor [un membre haut placé du PDS de Wade] m’ont montré du doigt en disant : « Alioune Tine. C’est Alioune Tine. » Ils se sont alors abattus sur moi et m’ont frappé, frappé partout, mais surtout à la tête. Ils étaient nombreux, tout un groupe. Certains m’ont jeté des pierres, d’autres m’ont donné des coups de pied ou frappé à la tête et à la nuque à coups de poing ou avec des pierres pointues. Ils tapaient fort. J’étais debout mais à force de me frapper, ils m’ont fait tomber puis ils ont continué de taper. J’ai essayé de me protéger mais ils ont continué de me frapper.

J’ai dû perdre connaissance mais, heureusement, il se trouvait là des gens qui m’ont sauvé. De jeunes manifestants sont intervenus, m’ont protégé et m’ont enlevé des mains de ceux qui me battaient. Finalement, je suis arrivé aux urgences.

Tine a expliqué à Human Rights Watch qu’il avait vu du sang s’écouler de la bouche de Diallo, durement frappé lors de la même attaque.

Human Rights Watch s’est entretenu avec plusieurs autres témoins qui ont donné une description similaire de l’événement, dont un ancien ministre des affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, ressorti pratiquement indemne de l’attaque grâce à ses gardes du corps. Gadio a également identifié les assaillants comme étant de jeunes voyous proches de Senghor. La presse sénégalaise a aussi rendu compte de l’attaque ciblée.

Un peu plus tôt, ce même matin du 23 juin, les forces de sécurité avaient dispersé des manifestants, dont Tine et Gadio, au moyen de gaz lacrymogènes, de coups de matraque et de canons à eau. Or, selon Human Rights Watch, elles ne devraient pas faire usage d’une force injustifiée ou excessive à l’encontre de manifestants pacifiques.

Les remarques publiques du premier ministre Ndiaye concernant Tine la veille de l’attaque font d’autant plus craindre que le gouvernement ait pu jouer un rôle dans ces attaques, a affirmé Human Rights Watch. Ndiaye a ainsi déclaré aux médias :

Voilà quelqu’un qui est à la tête d’une ONG [organisation non gouvernementale] depuis plus de vingt ans, sans que personne ne sache comment [elle] fonctionne... Il va et vient en fonction des intérêts qu’il prétend défendre. Pour le moment, il arbore la couleur de l’adversaire et quelquefois même notre couleur.

Ndiaye a également qualifié les défenseurs des droits humains d’« hypocrites qui ont peur de s’affirmer ». Dans un article publié le 22 juin dans le quotidien sénégalais L’Observateur, le directeur général des impôts, Amadou Bâ, a menacé de supprimer l’exonération d’impôts dont bénéficient les organisations non gouvernementales « qui ont failli à leur mission », tandis que le ministre des affaires étrangères Madické Niang aurait envisagé de suspendre les accords de siège de certaines organisations.

La manifestation du 23 juin visait à lutter contre deux amendements de la constitution proposés par le parti du président Wade, selon lesquels un vice-président serait inclus dans le ticket présidentiel et un seuil minimum de 25 % seulement des suffrages serait exigé pour qu’un candidat remporte les élections sans avoir à procéder à un second tour de scrutin. À l’heure actuelle, la constitution exige une majorité des suffrages pour éviter un second tour. Alors que les manifestations se poursuivaient, le ministre de la justice de Wade, Cheikh Tidiane Sy, a annoncé le 23 juin que le gouvernement renoncerait à l’amendement.

De nombreux groupes de la société civile, dont la RADDHO, ont appelé à manifester contre la proposition d’amendements, affirmant que ceux-ci sont conçus pour améliorer les chances de réélection de Wade et lui permettre de choisir son successeur. L’ambassade des États-Unis à Dakar a publié un communiqué dans lequel elle se dit inquiète qu’« une loi constitutionnelle qui modifierait si fondamentalement le système par lequel est élu le président du Sénégal depuis cinquante ans ait été proposée sans bénéficier d’un débat approfondi, pertinent et ouvert parmi un large éventail de groupes et de citoyens concernés ». Le Sénégal est largement considéré comme l’un des pays africains les plus démocratiques et les plus respectueux des droits humains.

« Les attaques violentes lancées contre des défenseurs des droits humains ne donnent pas une bonne image de l’administration Wade », a conclu Daniel Bekele. « Le fait que l’on s’en prenne au messager reflète de manière inquiétante un renforcement de la répression. »