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SENEGAL : L’ALTERNANCE DEVOYEE, L’ALTERNATIVE PIEGEE

Problématique de la vraie révolution par et pour le peuple

D 19 mars 2012     H 09:52     A Victor Ousmane Sow ( YAW)     C 0 messages


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Le premier tour de l’élection présidentielle 2012 au Sénégal a vécu. Nous allons entamer la seconde manche dans les jours à venir. Mais alors, les deux candidats qui brigueront les suffrages définitifs des électeurs sont-ils ceux que nous attendions ?

Le premier, l’actuel chef de l’Etat, Maître Abdoulaye Wade a déçu. Le second, son ancien premier ministre, Macky Sall, comptable du bilan du premier, pourra-t-il ramener la pirogue Sénégal à bon port ? Peut-on avoir confiance en ces deux hommes ?

En 2000, dans un formidable élan de survie, le peuple, dans toutes ses couches sociales, solidaire dans l’action et dans sa réelle volonté à aspirer à de meilleures conditions de vie, cherchant à abréger immédiatement ses souffrances, a bouté hors du pouvoir, par les urnes et sans hésitation aucune, le vieux régime socialiste de 40 ans, sclérosé et devenu incapable d’apporter des remèdes aux maux grandissants de la société qui la gangrénaient, quand ce régime n’y a pas contribué lui-même.

Une atmosphère pesante de malaise social et un sentiment général et partagé de lassitude, de misère, de frustration, de désolation, de manque de perspectives avaient poussé à ce besoin profond de changement des hommes qui nous dirigeaient.

L’avènement du nouveau régime libéral, emmené et soutenu à ses débuts par une large coalition, toutes idéologies confondues, représentait un nouvel espoir, non pas tellement parce que ce régime aurait pu posséder un éventuel projet de société porteur, mais plutôt parce qu’il regroupait des hommes et des femmes, de divers horizons politiques, animés d’une bonne volonté de changement réel, insufflant ainsi une nouvelle dynamique de progrès social et économique. Oui, l’enthousiasme et l’espoir semblaient permis, quand bien même que cette pseudo-révolution ne paraissait pas, déjà, être porteuse d’un total changement radical, en tout cas attachée aux valeurs sociales de gauche.

L’euphorie de cette victoire du peuple en 2000 et sa confiance sincère et aveugle dans le nouveau régime l’ont emmené à voter en 2001 presqu’unanimement une nouvelle constitution taillée sur mesure au président de la République, Maître Abdoulaye Wade, un ancien opposant charismatique proche des masses populaires.

Comme un feu follet, le compagnonnage du président de la République et de ses partenaires politiques n’a duré que le temps d’une rose.

Il aurait été dit que des malentendus dans le partage des postes gouvernementaux et à la tête des sociétés d’Etat ont contribué à la discorde. Possible, toutefois cela ne semble pas avoir été un facteur décisif dans la séparation. Les raisons d’une telle rapide désunion sont à trouver plutôt dans l’inadéquation des programmes à dérouler de chaque camp politique et surtout la volonté manifeste du chef de l’Etat à imposer ses idées et à diviser pour mieux régner, bafouant ainsi l’esprit consensuel d’unité d’action dans la diversité des opinions qui avait motivé la mise en place de la coalition victorieuse. Pour qui connaît bien Maître Abdoulaye Wade, il ne peut être surpris de cela car la trahison chez lui, assimilée à de la ruse politique, ne date pas d’aujourd’hui ; déjà, dans sa longue période d’opposition au régime socialiste, il a abandonné plusieurs fois ces compagnons de route pour faire de l’entrisme dans les différents gouvernements de Abdou Diouf, son prédécesseur à la tête du Sénégal. Et, toujours dans l’opposition, il avait promis, quant il n’a pas réussi à le faire, d’augmenter les salaires et indemnités des députés et des ministres de la République ; cela augurait déjà de la gabegie et de la distribution future de prébendes au profit de ses partisans, alliés et autres lèches-bottes.

C’est donc à partir de ces années 2002 – 2003 que l’alternance a été dévoyée. D’abord parce que tous ceux qui devaient contribuer, au sein du pouvoir, au redressement de la société n’ont pu cheminer ensemble plus longtemps ; ensuite, parce que cela a permis au régime en place de dérouler seul, sans garde-fous, un programme libéral comportant tous les germes d’une véritable discrimination sociale inhérente à ce système politique.

De cette alternance, il était attendu d’abord la fin du népotisme ambiant et de la corruption généralisée de l’ère PS, ainsi que la lutte contre l’enrichissement illicite ; ensuite, une meilleure répartition des richesses nationales ; une réponse adéquate à la demande sociale ; une solution durable à la mendicité des enfants de la rue, à celle des parents, hommes et femmes pauvres, à la quête quotidienne de la pitance familiale toute dignité refoulée ; une nouvelle et véritable politique industrielle, artisanale et agricole ; un nouvel environnement économique favorable à l’éclosion des talents d’hommes d’affaires ; et enfin, sans que cela ne soit de moindre importance, il était attendu la fin des hostilités en Casamance et l’installation d’une paix durable au Sénégal.

A l’exception du développement des infrastructures routières et éducatives qui n’étaient pas une priorité par rapport aux urgences sociales et aux problèmes énergétiques, et certaines infrastructures n’étant pas elles-mêmes prioritaires à d’autres, l’ère Wade s’est caractérisée par une gestion patrimoniale et familiale de la chose publique ; par un gaspillage sans nulle part pareil des deniers publiques, utilisés par la seule volonté et à la discrétion du Chef de l’Etat ; par une omniprésence du chef de l’Etat dans les médias et dans tous les évènements du pays et hors du pays (« Président Voyager, Président Inaugurer », comme disait Hadj Mansour, sauf erreur) ; par la naissance de nouveaux riches miraculeusement propriétaires fonciers et immobiliers ; par une corruption et un enrichissement illicite renforcés ; par un appauvrissement de la petite bourgeoisie pour ne pas parler de la misère criminelle des couches les plus démunies ; par la transhumance politique sans vergogne et sans honte d’hommes politiques aux mains sales.

L’alternance a vu également croître le phénomène « Bahsa ou Barça » (émigration clandestine et dangereuse des jeunes « sans avenir » par les mers en pirogues) ; enfin, il y a eu tout simplement un déclin des valeurs sociales et culturelles.

L’alternance a donc effectivement été dévoyée ; les attentes des populations ont été vaines, le Président Wade et ses gouvernements ayant trahi tous les espoirs, de 2002 à 2012, bien que réélu en 2007. Le célèbre journaliste, Abdou Latif Coulibaly, nous a édifiés largement sur les méfaits et mécomptes du pouvoir actuel.

Mais, l’alternative proposée par le second candidat du deuxième tour est-elle crédible ? Et quelle alternative ?

Regardons les faits et posons-nous encore les questions suivantes : Où est la GAUCHE RADICALE, porteuse des changements véritables dans toutes les sociétés ? A-t-elle eu un seul candidat aux élections présidentielles ou a-t-elle servi encore comme à son habitude de piédestal à d’autres personnalités politiques, étrangères à son idéologie ? Et qui est donc Macky Sall ? Peut-il assumer cette alternative, avec quel programme ?

Les élections de 2000 ont consacré en fait une alternance populaire ; voulue par les populations toutes couches et toutes sensibilités confondues, elle a été conduite par une équipe libérale au pouvoir, soutenue à ses débuts par des partis de gauche, faiseurs de rois.

Si Wade ne confisque pas le pouvoir, l’alternative de 2012 sera elle aussi certainement populaire, mais l’alternative révolutionnaire et progressiste restera à faire.

D’emblée, je me permets d’affirmer que c’est une alternative piégée.

D’abord, il n’y a aucun candidat de la Gauche radicale en course ; l’émiettement et l’affaiblissement des partis de gauche restent toujours un fait et il ne semble pas encore venu le temps de leur regroupement. Nous assistons plutôt à de nouveaux pôles politiques regroupant pêle-mêle des courants idéologiques opposés qui diluent leurs idéaux et convictions politiques. Or, sans une idéologie de gauche affirmée, forte et adossée à la défense exclusive des intérêts du peuple, point d’alternative révolutionnaire.

Nonobstant la tenue des assises nationales et la production de documents tels que la charte de bonne gouvernance et le projet de constitution, documents assumés par la majorité de l’opposition, il demeure un doute quand à l’effectivité de l’application des résultats et recommandations par le prochain candidat qui semble en voie de l’emporter ; en l’occurrence Macky Sall, car durant son magistère, il n’est pas encore soumis à la future nouvelle loi fondamentale proposée qui doit d’abord faire l’objet soit d’un référendum populaire, soit être soumise et votée à l’Assemblée nationale (Constituante ?). Ce candidat élu n’a pas réellement l’obligation, même s’il a signé les accords, de faire voter et faire appliquer ultérieurement la nouvelle constitution. Maître Wade est déjà un exemple patent de non respect d’engagements pris. Pourquoi pas ce nouvel élu ? Y pourrons-nous quelque chose ? Quels garde-fous ? D’ailleurs, la crise au sein de Benno Siggil Sénégal, incapable d’avoir son candidat de l’Unité et du Rassemblement, ne présage-t-il pas de désunion future et de non respect des engagements ? Lui-même, Macky Sall, n’a-t-il pas émis des réserves sur plusieurs points des conclusions des assises nationales ? N’a-t-il pas souvent ramé à contre-courant des autres opposants, avant et pendant les élections du premier tour ? Ne fait-il pas partie de ceux qui ont entraîné l’échec du M23 quant à son combat contre la candidature de Wade ?

Ensuite, les crises et la désunion au sein de la coalition de l’opposition Benno Siggil Sénégal ont miné toutes les chances de celle-ci de se placer en pôle position pour un deuxième tour face à une candidature certaine, même si illégale, de l’actuel chef de l’Etat. Personnellement, tous les candidats politiques du premier tour ne me semblaient pas être de bons chevaux. Sur près de quatorze millions d’habitants et sur plus de cinq millions d’électeurs inscrits, seuls deux millions et quelques ont voté ; cela ne pose-t-il pas un problème de représentativité pour les deux vainqueurs ? N’y a-t-il pas un rejet de tous les candidats du premier tour qui a poussé à cette forte abstention ? En tout état de cause, cela a laissé la voie ouverte à un outsider dont on ignore réellement les convictions politiques car ayant traversé un autre courant idéologique avant d’atterrir chez les libéraux. Par opportunisme ?

L’alternative sera ici d’autant plus piégée que l’histoire se répète. A quelques nuances près, les élections de 2000 et de 2012 ont été plus pour rejeter un président que pour en élire un autre ; en 2000, il fallait chasser Diouf, peu importait le candidat qui le remplacerait, pourvu qu’il soit battu. Et la Gauche pensait, à tort, que Wade, dans le contexte politique de l’époque, était le seul capable de gagner ce pari. En 2012, il faut chasser Wade, peu importe le candidat qui pourra le faire. Là, il se trouve être Macky Sall, et là encore tous les opposants resserrent les rangs autour de lui sans avoir la certitude que les accords qu’ils passent avec lui seront respectés. Faut-il vraiment lui faire confiance ? Macky Sall ne renie pas son compagnonnage avec Wade et assume pleinement sa part de gestion sous ce régime libéral jusqu’à son éviction. Alors, posons-nous la question de savoir s’il aurait quitté Wade s’il n’avait pas été défenestré ? Non, il serait sûrement encore au PDS. L’a-t-on entendu une seule fois critiquer vraiment ouvertement le régime ou dévoiler quelques secrets d’Etat, sous prétexte de la raison d’Etat et de sa soi-disant stature d’homme d’Etat justement ? Alors, est-il donc capable aujourd’hui de porter les changements profonds souhaités par la Gauche radicale ? Osera-t-il ester en justice contre ses anciens camarades pour enrichissement illicite ? N’allons-nous pas plutôt assister à un changement dans la continuité ? Autrement dit Macky Sall ne remplacerait-il pas Wade en poursuivant sa politique ? Ne remplacerons-nous pas un diable par un autre diable ? Avec son élection, ne risquons-nous pas de renvoyer aux calandres grecques la vraie révolution tant attendue et voulue par le peuple depuis 2000 ? Ce serait un crime. Il lui faudra certainement donner des gages qui rassurent et poser des actes forts. Cela suffira-t-il à convaincre les futurs alliés politiques, quand on sait qu’ils avaient cru en Wade ? Chat échaudé ne craint-il pas l’eau froide ? Mais le dilemme est là, qui des deux diables soutenir ? Et pourquoi la Gauche radicale devrait les soutenir ?

Enfin, on notera que ce sont les puissances de l’argent qui règnent. Aussi bien Wade que Macky Sall ont occupé le temps, l’espace et les consciences par la force des moyens financiers. Le fils a appris du père. Aucun autre candidat n’a injecté autant d’argent dans la campagne que ces deux vainqueurs du premier tour. Le paradoxe du Sénégal, à leur corps défendant, est que les électeurs ont préféré des hommes aux poches pleines, même si pleines salement, que des hommes aux programmes politiques qui créent les conditions structurelles d’une véritable société de développement à moyen et long termes.

On a que trop perdu du temps. A quand la révolution par et pour le peuple, la vraie celle-là ?

Beaucoup de questions, des doutes et pas de réponses là tout de suite.

Victor Ousmane SOW
Militant de Yoonu Askan Wi, Mouvement pour l’Autonomie Populaire
Tél. (+221) 77.659.96.47 / Email : vajabos@hotmail.com