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Sénégal - Les mouvements sociaux en Afrique de l’Ouest : entre les dégâts du libéralisme économique et la promesse du libéralisme politique.

D 14 juin 2014     H 12:35     A     C 0 messages


Conférence internationale organisée à Dakar du 17 au 19 juin par la Fondation Rosa Luxemburg, Hôtel Ngor Diarama. (participation gratuite et ouverte à tous et à toutes)

En juin 2012, le Bureau Afrique de l’Ouest de la Fondation Rosa Luxemburg avait organisé une
conférence internationale sur le thème : « Quels changements pour l’Afrique ? Quels acteurs pour
les porter ? ». L’idée de base était qu’il fallait aller au-delà de la critique du néolibéralisme et des
institutions existantes pour aborder la question cruciale des paradigmes politiques et économiques
alternatifs ainsi que celle des acteurs susceptibles de porter les ruptures radicales tant attendues.
Au cours de ces échanges, la plupart des participants étaient plus ou moins d’accord sur le fait
que la soi-disant « démocratie libérale », loin de constituer une panacée, fait partie du problème à
surmonter par le continent africain. De même, s’il était admis que l’espoir d’un changement social
significatif en Afrique repose aujourd’hui sur les mouvements sociaux, il était néanmoins reconnu
qu’ils tendent à souffrir d’un manque d’autonomie vis-à-vis des systèmes politiques en place.

Mieux, les mouvements sociaux du début du XXIe
siècle sembleraient même s’être perdus dans les
bois (voir Ndongo Samba Sylla (dir.), Pour une autre Afrique. Éléments de réflexion pour sortir de
l’impasse, L’Harmattan, 2014).
Depuis cette Conférence, la Fondation a cherché à approfondir deux questions principales,
notamment dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest : celle de la relation entre la crise de la
démocratie libérale et la résurgence des mouvements sociaux ; et celle du potentiel en termes de
transformation sociale des mouvements sociaux contemporains. En 2013, la Fondation, avec le
concours de ses partenaires, a ainsi pris l’initiative de coordonner une étude sur les mouvements
sociaux en Afrique de l’Ouest.

Cette initiative vise d’une certaine manière à combler un vide dans le domaine de la recherche.
Alors que la littérature sur les mouvements sociaux commence à s’étoffer un peu partout, surtout
après le passage du « printemps arabe », cela n’a pas été encore le cas en Afrique de l’Ouest, où
l’entrée « mouvement social » tarde à s’imposer comme un prisme analytique permettant
d’éclairer les dynamiques sociopolitiques. Alors que l’on sent intuitivement que quelque chose se
passe, au vu des nombreux mouvements de protestation qui ont pris place dans la plupart des
pays de la région, il y a en pratique très peu de travaux qui permettent de se faire une idée
générale des tenants et aboutissants de cette résurgence apparente des mouvements sociaux.
Quelles sont les luttes sociopolitiques qui ont marqué récemment les pays de la région ? A quelles
logiques obéissent-elles ? Quelles formes prennent-elles ? Quel a été leur impact politique ?

Assiste-t-on à une résurgence des mouvements sociaux ? Si oui, sont-ils une réponse à la crise de
la soi-disant « démocratie représentative » ? Ont-ils donné lieu à l’émergence de nouvelles formes
d’expression et de participation démocratiques ? Quels défis apportent-ils ? Quelles sont les
limites des mouvements sociaux ? Telles sont les questions qui ont orienté ce projet de recherche.

L’approche retenue a été de réaliser pour chaque pays un chapitre faisant le point sur les
mouvements sociaux pour la période 2010-2013. Treize pays de l’Afrique de l’Ouest ont ainsi été
couverts. Les auteurs des différents chapitres sont des chercheurs expérimentés, notamment
des sociologues, anthropologues, politologues, historiens, etc. Ces différentes contributions sont
en cours de publication sous forme d’ouvrage dans deux langues (en français et en anglais).
Les résultats qui dérivent de ces recherches tendent à confirmer certaines intuitions comme
l’hypothèse d’une résurgence des mouvements sociaux en Afrique de l’Ouest. Ils tendent
également à remettre en question nombre d’hypothèses et de catégories analytiques tenus pour
évidents dans la littérature sur les mouvements sociaux et la démocratie.

Les différentes contributions ont insisté sur la nécessité d’analyser les mouvements sociaux en
tenant compte des spécificités historiques et contextuelles. Malgré de nombreuses similarités
résultant des caractéristiques structurelles du capitalisme contemporain, les mouvements sociaux
en Afrique gardent une certaine spécificité vis-à-vis des mouvements sociaux en Occident. Au sein
même de l’Afrique de l’Ouest, les formes de luttes sociopolitiques dominantes différent selon les
pays. Les particularités historiques et les trajectoires politiques impriment une coloration et un
contenu variables aux mouvements sociaux. Par exemple, les pays qui viennent de sortir de
conflits semblent être moins réceptifs aux mouvements sociaux, notamment ceux orientés vers les
revendications matérielles (cas de la Côte d’Ivoire). Dans les pays qui sont au seuil de leur
« transition démocratique », les mouvements sociaux dominants sont généralement orientés vers les questions de « gouvernance » et de respect des droits humains et de l’ordre constitutionnel
(cas de la Guinée). Dans ces cas de figure, l’idée même d’un changement radical est chassée par la
mémoire fraiche d’un passé douloureux.

Contrairement à l’image idyllique d’une « société civile » qui sert de contrepouvoir à un État
autoritaire et oppressif, plusieurs contributions ont montré que les organisations dites de la
« société civile » n’œuvrent pas toujours dans le sens du renforcement de la démocratie et de
l’unité nationale. Bien souvent, la « société civile » est une arène où les luttes partisanes sont
déplacées. Quand les acteurs de la « société civile » ne sont pas cooptés par le pouvoir, ils
peuvent parfois servir de porte-voix à des revendications régionalistes, ethniques ou religieuses.
Ce projet de recherche montre également que tous les mouvements sociaux ne sont pas
nécessairement des mouvements populaires et qu’ils n’ont pas le même potentiel en termes de
transformation sociale. Les luttes pour garantir les droits des « minorités » (femmes, LGBTI,
handicapés, etc.) et les luttes pour améliorer la « gouvernance » (respect de la Constitution, lutte
contre la corruption, etc.), si elles sont importantes, ne permettent pas fondamentalement de
changer le système en vigueur, système dont ils approfondissent la logique.

Dans ces deux types
de cas, ce qui est en cause, c’est moins la nature des arrangements institutionnels que leur
performance limitée. Ce qui est en cause, c’est moins la « démocratie libérale » que le fait qu’elle
n’ait pas tenu promesse. De même, les luttes corporatistes, qu’il s’agisse des syndicats, des
étudiants, des enseignants, des agents de santé, etc., ne peuvent fournir un contreprojet tant
qu’elles restent étriquées et confinées dans une perspective sectorielle. Enfin, les luttes
prolétariennes (contre la cherté de la vie, l’accaparement des terres, etc.), même si elles ont un
plus grand potentiel en termes de transformation sociale et ont souvent débouché sur des gains
appréciables à court-terme, demeurent limitées dans leurs effets tant qu’elles ne sont pas
articulées à un projet de transformation sociale de long terme. Or, jusque-là, les mouvements
sociaux en Afrique de l’Ouest se sont plus ou moins déployés selon ces différentes logiques. Ce
qui montre toute la difficulté qu’ils ont à penser le capitalisme néolibéral dans toute sa
complexité.

Dans l’ensemble, si l’on devait se risquer à fournir un résumé rapide du message central de cet
ouvrage collectif, l’on dirait la chose suivante : les mouvements sociaux en Afrique de l’Ouest sont
dans la situation paradoxale où ils doivent résister au quotidien aux dégâts du libéralisme
économique et en même temps faire pression sur un État affaibli - et dont le rôle se résume de
plus en plus à « assainir le climat des affaires » - pour qu’il matérialise la promesse du libéralisme
politique (celle de garantir en permanence à chaque individu tous ses droits). Autrement dit, la même scission économique/politique caractéristique du système capitaliste se retrouve dans la
structuration des mouvements sociaux. Concrètement, cela signifie par exemple que les
mouvements sociaux qui se battent contre des systèmes politiques autoritaires tendent à occulter
l’aspect économique du problème tandis que ceux qui résistent aux nombreuses formes de
dépossessions socioéconomiques induites par le modèle néolibéral d’accumulation tendent à
chercher des solutions dans le cadre des institutions politiques existantes. L’absence de
contreprojet reposant sur une base populaire et qui articule les dimensions économique et
politique explique jusque-là le manque de radicalité des mouvements sociaux, le caractère
incertain et précaire des « acquis » démocratiques pour lesquels ils continuent de lutter, et
également leur manque d’autonomie vis-à-vis de la politique partisane qui vise en permanence à
structurer la « société civile » selon sa logique et temporalité propres.

La Conférence qui se tiendra du 17 au 19 juin 2014 à Dakar permettra aux auteurs de l’ouvrage
collectif à venir de présenter leurs résultats et d’échanger entre eux ainsi qu’avec un public plus
large autour de la nature, des dynamiques, des ambiguïtés et du potentiel des mouvements
sociaux en Afrique de l’Ouest. Elle verra également la participation de chercheurs et chercheuses
dont le point de vue permettra de faire ressortir les similitudes et les différences qui existent entre
la situation de l’Afrique de l’Ouest et celles qui prévalent dans les autres régions du continent et
en Europe. Au sortir de la Conférence, l’objectif attendu est la mise en place d’un réseau de
recherche sur les mouvements sociaux en Afrique de l’Ouest ainsi que l’identification de
perspectives de recherche future.

Conférenciers attendus :

 Trevor Ngwane (Afrique du Sud),
 Cornelia Hildebrandt (Allemagne),
 Louisa Prause (Allemagne),
 Cláudio Alves Furtado (Cap-Vert, Brésil),
 Francis Akindès (Côte d’Ivoire),
 Dina El-Khawaga (Égypte),
 Lila Chouli (France, Burkina Faso),
 Kojo Opoku Aidoo (Ghana),
 Alpha Amadou Bano Barry (Guinée),
 Leonardo Cardoso (Guinée-Bissau),
 George Klay Kieh Jr (Liberia, États-Unis),
 Issa Ndiaye (Mali),
 Zekeria Ould Ahmed Salem (Mauritanie),
 Souley Adji (Niger),
 Modou Diome (Sénégal),
 Ibrahim Abdullah (Sierra Leone).

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