Vous êtes ici : Accueil » Afrique de l’Ouest » Sénégal » Sénégal : Les populations se soulèvent contre l’accaparament des terres

Sénégal : Les populations se soulèvent contre l’accaparament des terres

Révélations autour d’un deal sur 20 000 ha

D 22 décembre 2011     H 04:55     A Le Collectif pour la Défense des Terres de Fanaye     C 0 messages


Préambule

La Communauté Rurale de Fanaye, située dans l’Arrondissement de Thillé Boubacar, Département de Podor, couvre une superficie totale de 185.100 ha répartie comme suit :

• Terres du walo (tout confondu) : 20.361 ha (soit 11%) ;
• Terres du jeeri : 164.739 ha (soit 89%).
L’ensemble de ces terres est structuré ainsi :
• terres cultivables et parcours du bétail : 62.934 ha (soit 34 %) ;
• forêts réservées : 122.166 ha (soit 66%).

Les populations ne vivent que de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. La Communauté Rurale renferme un nombre très important de cheptel. On dénombre plus de 106.000 têtes bovines et plus de 76.000 ovins caprins.

INTRODUCTION

Les populations de la communauté rurale de Fanaye sont confrontées depuis quelques mois à un sérieux problème d’accaparement de leurs terres. Il s’agit d’une attribution, par le Président du Conseil Rural (PCR), de terres d’une superficie de 20.000 ha à des privés étrangers. Ces terres ont été cédées à 2,5 FCFA le m², dans le but de produire du biocarburant et des denrées destinées à l’exportation par une société dénommée SENETHANOL. Face à ce désastre, les populations se sont mobilisées et ont mis en place un Collectif pour la Défense des Terres de la Communauté Rurale.

Les populations de la Communauté Rurale de Ndiayene/Pendao, voisine de la Communauté Rurale de Fanaye, se sont également mobilisées pour apporter leur soutien et ont intégré le Collectif. L’entêtement du Président du Conseil Rural et des responsables de la société SENETHANOL, ainsi que le silence assourdissant des autorités administratives, malgré les appels incessants des populations, ont abouti à des violences ayant entraîné des pertes en vies humaines et des blessés. Ce mémorandum a pour objectif de faire comprendre le problème de l’accaparement de terres à Fanaye à travers des délibérations abusives et illégales, de monter l’impertinence, l’opacité qui entoure le projet SENETHANOL et la démarche douteuse de ses responsables, ainsi que les diverses actions du Collectif en vue de faire valoir le droit des populations et de faire régner la paix.

DES DELIBERATIONS ABUSIVES ET ILLEGALES

Un groupe de conseillers ruraux a fait savoir que dans le courant du mois de juin, le PCR de Fanaye – M. Karasse Kane – leur a fait parvenir des convocations en vue de délibérer sur l’attribution d’un terrain d’une superficie de 20.000 ha à la société SENETHANOL. Cette société devrait utiliser ces terres pour la réalisation d’un projet de production d’Ethanol à partir de la culture de la patate douce.

Dans sa démarche, le PCR a mis les conseillers et les populations devant les faits accomplis. En effet, les convocations ont été envoyées moins de 24 h avant le jour de la réunion de délibération et le PCR avait déjà réussi à créer sa petite majorité et a pu faire voter le projet avec 23 voix pour et 21 contre. Malgré l’opposition d’une bonne partie des conseillers ruraux pour vice de forme et pour nécessité de se concerter avec les populations et les chefs de villages (qui sont des membres de droit de la commission domaniale), il n’a pas été possible de faire revenir à la raison le PCR.

Il convient de noter que le PCR fut pendant tout le temps assisté par le Sous Préfet de Thillé Boubacar, Ameth Diop, présent le jour de la délibération, le 15 juin 2011. Ce dernier n’a d’ailleurs pas tardé à approuver la décision d’attribution de 300 ha à SENETHANOL seulement cinq jours après la réunion délibération (le 20 juin 2011) sans attendre le délai de contestation légal requis.

Une coalition de dix huit (18) chefs de villages avait aussitôt écrit au président de la République (avec ampliation au sous-préfet, au préfet et au gouverneur) pour dire leur opposition au projet. Ils sont actuellement au nombre de quarante trois (43) chefs de village à s’opposer au projet. Le Collectif pour la défense des terres de Fanaye est alors mis sur pied, avec des représentants de chaque village de la communauté rurale en plus du chef de village. Les populations de la Communauté Rurale se sont fortement mobilisées pour dénoncer ce projet d’accaparement de leurs terres et ont organisé une grande marche le 30 juillet 2011 pour manifester leur mécontentement. Les ressortissants de la Communauté Rurale de Fanaye dans la diaspora (France, Gabon, Etats-Unis) ont manifesté leur désaccord et ont écrit aux autorités pour dénoncer le projet. Les populations ont décidé de s’opposer aux travaux, malgré les intimidations de la gendarmerie qui a eu à emprisonner certaines personnes.

Malgré les contestations de tout bord, Le PCR avait catégoriquement refusé de fournir les documents relatifs au projet (procès verbal de délibération de la Communauté rurale, document du projet, protocole d’accord, etc.). Pire, le PCR et la société SENETHANOL se sont empressés d’aménager la terre et des forêts entières ont été détruites, à quelques kilomètres de l’emplacement de ce qui devra être « la grande muraille verte ». Pour légitimer le projet et forcer la main, ils ont engagé des jeunes de la localité rémunérés à 4000 FCFA par jour pour la coupe des arbustes et la sécurité de leurs différents sites, prétendant ainsi avoir créé des emplois. Ils avaient également offert 40 billets pour La Mecque !

Décidées à mener une bataille judiciaire pour l’annulation de la délibération et l’arrêt des travaux, les populations ont été surprises de constater que les travaux déjà entamés étaient allés au-delà des 300 ha affectés. Le Sous-préfet, interpellé à cet effet, se refusa de tout commentaire en renvoyant les membres du Collectif venus à sa rencontre vers le PCR. La surprise fût totale quand les populations apprirent qu’en fait, une délibération en date du 27 août 2011 attribuait les 19700 ha restants à la société SENETHANOL sans que le Conseil Rural ait siégé à cet effet.

En fait, les responsables de SENETHANOL s’étaient présentés dans un premier temps à la perception de Podor pour verser 500 millions FCFA correspondants aux taxes afférentes à l’utilisation des 20.000 ha de terres sur une durée de 15 ans. Mais le percepteur de Podor avait rejeté l’opération, car la délibération dont ils disposaient portait sur 300 ha, correspondant à la délibération du 15 juin 2011. Face à ce problème, les responsables de SENETHANOL avaient besoin d’une solution d’urgence, car il s’agissait, pour eux, d’une course contre la montre et non d’un problème de légalité. Le 27 août 2011, il s’était tenu une réunion du conseil rural qui avait pour ordre du jour :

 Situation d’exécution du projet SENETHANOL
 Partage d’information (signature de protocole d’accord entre terre des hommes et la communauté rurale ; forum des partenaires)

Cette réunion, non seulement ne portait pas sur une affectation de terres, mais n’a pu faire l’objet de délibération du fait des désaccords entre les conseillers. Seulement, puisque qu’il fallait à SENETHANOL une délibération, le PCR l’a pris comme prétexte pour sortir un « procès verbal » portant délibération des 19.700 ha restants, soi-disant votée à l’unanimité des conseillers présents. On se demande alors comment le sous-préfet, présent à cette réunion, a pu établir un arrêté portant affectation de terres sur la base d’un tel document ?

L’entêtement du PCR à vouloir imposer le projet SENETHANOL et la complicité des autorités administratives ont conduit aux violences qui ont eu lieu le mercredi 26 octobre à l’hôtel communautaire de Fanaye, quand le PCR, après avoir convoqué une réunion, s’est présenté avec son garde du corps et plus de quarante nervis tous armés, recrutés par la société SENETHANOL par l’intermédiaire du PCR. Le bilan fut très lourd et s’établit à ce jour à :

• 2 décès directs (par balles) ;
• 3 décès (crise cardiaque), suite aux évènements ;
• 21 blessés dont 3 ne pourront plus vaquer à leurs occupations habituelles ;
• saccage de la maison communautaire.

D’autre part, il est important de noter que le projet SENETHANOL de 20.000 ha (20 km/10 km) occupe 32 % des terres cultivables et parcours bétail de la communauté rurale et correspond à la totalité des terres se situant dans la zone du walo, dans laquelle se trouvent toutes les cultures irriguées de la Communauté Rurale. En plus, il se situe dans une Zone Agro-pastorale à Priorité Elevage (ZAPE), conformément au Plan d’Occupation et d’Affectation des Sols de la Communauté Rurale adopté le 26 Avril 2006 et toujours en vigueur. On dénombre dans cette zone plus de 106.000 bovins et plus de 76.000 ovins et caprins. L’implantation du projet entraînerait naturellement le déguerpissement de cinquante-six hameaux et de six villages officiels, l’expropriation de populations, et entraînerait la disparition d’espaces de pâture pour le bétail, de champs, de lacs et de forêts classées.

INCOHERENCE ET OPACITE DU PROJET DE SENETHANOL

Le projet de SENETHANOL de 20.000 ha (20 km/10 km) occupe 32% de la zone agro-pastorale à priorité élevage de la Communauté Rurale de Fanaye en violation des règles en vigueur et n’a fait l’objet d’aucune concertation préalable avec les populations. Les documents obtenus via de tierces personnes suite au refus du PCR d’informer les populations, révèlent les faits suivants :

 20 juillet 2010 : accord de principe du PCR pour attribuer 20.000 ha de terres à la société SENETHANOL pour la culture de patates douces en vue de produire de l’éthanol.

 30 mars 2011 : signature du protocole d’accord entre la société SENETHANOL et le PCR, M. Karasse Kane (qui ne sait ni lire ni écrire le français), engageant par cet acte le Conseil rural et toute la Communauté Rurale de Fanaye. Le protocole d’accord est signé par le PCR, assisté d’un monsieur nommé Thierno Ousmane Kane et d’une dame nommée Mariame Datt, tous non résidents de la Communauté Rurale et n’occupant aucune fonction au niveau de la Communauté Rurale de Fanaye leur permettant de signer un quelconque accord ;

 30 mai 2011 : le ministre de l’Agriculture donne un avis favorable à l’attribution des 20.000 ha sous réserve que celle-ci soit progressive et s’étende de 2011 à 2015.

 15 juin 2011 : le Conseil Rural, malgré vice de forme, vote l’attribution de 300 ha. La convocation du PCR pour cette réunion portait sur l’attribution d’un terrain d’une superficie de 20.000 ha. Le sous-préfet, représentant l’Etat était présent le jour de la délibération et a conclu la séance en disant : « On a attribué 300 ha, mais on retient le principe de 20.000 ha ». Il a par la suite approuvé la délibération le 20 juin 2011, soit 5 jours seulement de publicité.

• 27 août 2011 : le PCR établit une délibération attribuant à SENETHANOL les 19700 ha restant, sans décision du Conseil Rural, en violation de la décision du ministre de l’Agriculture qui exigeait des attributions progressives jusqu’en 2015.

D’autre part, il faut souligner que l’article VI du « protocole d’accord » entre SENETHANOL et la Communauté Rurale dispose : « La société SENETHANOL s’engage à valoriser ledit terrain dans les deux années suivant l’attribution et à régler à la communauté rurale la somme de 500 millions FCFA sur la durée de la concession, soit 33 millions 333 333 FCFA payable par an au plus tard le 5 janvier de chaque année ». On se demande alors pourquoi la société SENETHANOL s’est empressée de verser d’un seul coût 500 millions au trésor contrairement aux dispositions du « protocole » signé.

L’EXAMEN DE CES FAITS REVELENT QUE :

 Le PCR a toujours agi seul, du juillet 2010 (accord de principe) à août 2011 (établissement d’un faux procès verbal) ;
 Les populations et le Conseil Rural n’ont été informés du projet que le 15 juin 2011, soit près de trois mois après la signature du protocole ;
 Le sous-préfet de Thillé Boubacar Ameth Diop a failli dans sa mission de neutralité et de contrôle de la légalité des délibérations du Conseil Rural ;
 Le PCR a violé l’esprit de la loi des collectivités locales en refusant catégoriquement de se concerter avec les populations ;

 Au lieu d’une production de patate douce par la société SENETHANOL comme indiqué dans tous les documents (lettre du ministre de la décentralisation et des collectivités locales, arrêté du sous-préfet, délibération de la communauté rurale, convocations des conseillers ruraux, plan d’affaire du projet), il s’agit désormais de la production de tournesol pour l’exportation, les résidus des cultures servant à produire du biocarburant.

 La société SENETHANOL n’a pas hésité à utiliser des méthodes non orthodoxes pour acquérir des terres, en violation des règles et procédures en vigueur.

Les populations de la Communauté Rurale de Fanaye estiment qu’il est inimaginable que dans une zone où les gens se nourrissent difficilement, où la majorité des jeunes s’est expatriée, au lieu d’aménager les terres susceptibles de l’être en vu de développer des cultures vivrières, on opte pour la production de biocarburants et de produits destinés à l’exportation, et veuille transformer les jeunes en ouvriers agricoles ou en esclaves, sous le prétexte de valorisation des terres et de création d’emplois. Le projet de SENETHANOL engendrerait d’immenses dégâts, économiques, sociaux et environnementaux. Cinquante six hameaux et six villages officiels devront être déguerpis. Des espaces de pâture pour le bétail, des espaces cultivables, des lacs et des forêts vont tous disparaître.

ACTIONS DU COLLECTIF POUR LA DEFENSE DES TERRES DE LA COMMUNAUTE RURALE DE FANAYE

Le Collectif pour la Défense des Terres de la Communauté Rurale de Fanaye s’est fixé comme mission de lutter contre l’accaparement des terres de la Communauté Rurale, de sensibiliser les autorités administratives sur le danger du projet de SENENTHANOL et d’œuvrer pour faire régner la paix dans cette localité paisible. Pour bien mener sa mission, le Collectif a tenu des réunions de concertation et de sensibilisation avec les chefs de village, la diaspora, les autorités religieuses et coutumières.

Une lettre d’un collectif des chefs de villages fut d’abord adressée le 22 juin 2011 au président de la République avec ampliation au sous-préfet, au préfet, au gouverneur et à tous les ministères concernés. Une réunion s’est tenue le 30 juillet 2011 à Fanaye en vue de concilier les parties, suivie d’une marche de protestation et de sensibilisation sur les dangers du projet. Le 1er octobre 2011, une autre marche pacifique fut organisée à Fanaye et un mémorandum furent remis aux autorités administratives (gouverneur, préfet, sous-préfet). Le mémorandum fut également transmis par voie de courrier au ministre des Collectivités Locales, l’informant des dangers potentiels du projet. En prenant toutes ces initiatives, le Collectif cherchait à éviter l’irréparable mais en vain.

Le 12 novembre 2011, le Collectif s’est rendu à Fanaye, pour présenter ses condoléances et échanger avec les populations suite aux événements meurtriers survenus le 26 octobre 2011. Le Collectif compte utiliser toutes les voies de droit et de recours pour l’annulation du projet de SENENTHANOL et fera tout son possible pour que justice soit rendue.

CONCLUSION

Les populations de la Communauté Rurale de Fanaye et Niayene/Pendao font part aux autorités sénégalaises, à l’opinion nationale et internationale, de leur profonde indignation et de leur refus catégorique à l’accaparement de leurs terres par la société SENENTHANOL. Elles jugent inadmissible l’affectation de 32% des terres cultivables et parcours de bétails pour la production de cultures destinées à l’exportation et pour la production de biocarburant, alors que la sécurité alimentaire de la localité (encore moins celle du pays) est loin d’être assurée.

Contrairement aux prétendus 2500 emplois que devra engendrer le projet, c’est plusieurs milliers d’occupants de la zone qui se retrouveront ainsi sans activités, sans ressources, dans le chômage et le désespoir.

Les populations de la Communauté Rurale de Fanaye et Niayene/Pendao n’acceptent pas et n’accepteront jamais que leur patrimoine soit bradé. Il appartient à l’Etat Sénégalais de les protéger, de défendre leur liberté et leurs biens, de préserver leur environnement. Elles tiennent les autorités administratives pour complices des événements meurtriers qui ont eu lieu à Fanaye et pour responsables de tout se qui pourrait advenir, si des mesures ne sont pas prises dans l’immédiat pour le retrait du projet.

Aujourd’hui, pour retrouver la paix de façon définitive, il faut effacer dans la mémoire individuelle et collective des populations, toutes les causes qui ont donné naissance aux tueries du 26 octobre 2011. Compte tenu de tout cela, au nom de la paix, pour la mémoire des disparus et pour panser les blessures physiques et morales, les populations exigent :

 le retrait pur et simple de ce projet qui se révèle porteur de violences, de désolation et de malentendu entre les familles dans la Communauté Rurale de Fanaye ;
• l’annulation des délibérations illégales d’affectation des 20.000 ha de terres ;
• la destitution du PCR de Fanaye Karasse Kane et sa poursuite pour faux, usage de faux, abus de pouvoir, incitation à la violence ayant abouti à mort d’hommes ;
• l’engagement de poursuites judiciaires contre les promoteurs du projet pour destruction de forêts entières et incitation à la violence ayant abouti à mort d’hommes ;
• la prise en charge des blessés et le dédommagement des familles des victime

Dakar, le 21 novembre 2011

* Le Collectif pour la Défense des Terres de Fanaye

Source : http://pambazuka.org