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Sénégal, pour la victoire du peuple : organiser l’impossible !

Par Guy Marius Sagna

D 29 mars 2017     H 16:39     A Guy Marius SAGNA     C 0 messages


Dans la rue et peut-être dans les urnes

Quand Donald Trump lançait sa campagne aux cris de Make America Great again ! certains, exhibant l’acte de naissance, le casier judiciaire et la carte d’identité ensanglantés du sang des amérindiens, des noirs, des sud-américains, des masses pauvres appartenant au WASP des Etats-Unis, ont répliqué : When was America ever great ?
Au Sénégal, entre les critiques de la majorité de l’opposition contre le président Macky Sall et sa coalition Benno Bokk Yaakar, on peut lire le même refrain Make Senegal great again ! Et l’on peut se poser la question de savoir quand est-ce que le Sénégal a-t-il déjà était grand ? La grandeur à laquelle fait allusion l’opposition est encore là. Il est en effet grand le Sénégal qui avec 3.696 hommes et femmes est le 7e contributeur de troupes onusiennes pour les opérations de maintien de la paix alors qu’il est en proie à une crise sécuritaire intérieure sans précédant. Au même moment 22 départements sur les 45 qu’il compte sont dépourvus de poste de police et de gendarmerie. Le Sénégal compte un policier pour plus de 5.000 habitants alors que le ratio universel de couverture sécuritaire est d’un policier pour 1.000 habitants. 7e exportateur de troupe de maintien de la paix, 3e exportateur de joueurs de football dans les championnats européens, parmi les premiers pays exportateurs de migrants irréguliers avec 12.000 sénégalais qui en 2015 et 2016 ont tenté d’entrer en Italie par la mer Méditerranée, meilleur élève du FMI, de la Bank, de l’Union Européenne…la balance commerciale du Sénégal est structurellement déficitaire. Il importe deux fois plus qu’il n’exporte. Et cela ne date pas du 25 mars 2012.

Le pays de la Teranga, qui mérite vraiment son nom dans sa propension jusqu’à présent à accorder l’hospitalité à l’impérialisme, va vers des élections législatives aux enjeux différemment cernés mais importants. Ceux-ci sont bien résumés ainsi : « Si le président n’a pas une majorité, le premier ministre ne sortira pas de son camp. Il sera du camp de l’opposition. Même si le premier ministre est issu du camp présidentiel, l’opposition pourra le destituer à tout moment. »(1). Convoquant l’article 42 de la constitution qui déclare que « le Président de la République détermine la politique de la nation » et l’article 53 disant que « le gouvernement conduit la politique de la Nation sous la direction du Premier Ministre » un analyste d’ajouter : « alors allez donc demander à un premier ministre issu d’une liste opposée à la politique du Chef de l’Etat, de conduire une politique qu’il combat ? Ce serait un désaccord inédit entre les deux têtes de l’Etat. L’exemple le plus achevé de la dyarchie au sommet de l’Etat. »(2). Autrement dit, pour la première fois au Sénégal, malgré un parti-Etat avec un budget électoral de 3.360 milliards de francs Cfa, malgré le mode de scrutin majoritaire favorisant les grands partis politiques, malgré les média d’Etat véritables caisses de résonnance du parti du président de la république et de ses alliés, malgré les Ndiggël…il est envisagé y compris par le président et ses souteneurs que la majorité à l’assemblée nationale échappe à l’exécutif. En 1988, disent certains, les sénégalais avaient des cailloux mais pas de cartes d’électeurs. En 2000, ils avaient des cailloux et des cartes d’électeurs d’où la survenance en mars de la première alternance politique. En 1962 le Sénégal avait Mamadou Dia mais pas de majorité à l’assemblée nationale. La question est : à qui cette majorité va-t-elle aller ?

Dans la perspective de ces élections législatives, pour une liste commune de l’opposition un appel a été lancé pour « (…) un vaste front de tous ceux qui refusent le maintien du pays sous domination et sous humiliation, capable de vaincre les tenants du pouvoir et leurs alliés extérieurs. (…) il faut construire une liste de victoire autour de cette idée mais au travers d’une plateforme qui fasse bilan à la fois des manquements de la gestion précédente et des faiblesses des Assises nationales qui ont permis d’ouvrir les brèches de la trahison en cours ». (3)
Mais en réalité, ou la prochaine trahison pour certains est déjà en cours si elle a la chance d’avoir la majorité à l’assemblée nationale en juillet ou du moins le prochain clash entre le parti majoritaire issu des législatives de juillet 2017 et sa nouvelle Coalition Alternance 2000 (CA 2000) pour d’autres est déjà lancé.

Certains leaders acquis à l’idée d’une liste unique ou commune de l’opposition théorisent l’idée de législatives véritables primaires où tous les candidats à la candidature unique ou commune de l’opposition à la présidentielle de 2019 devront se présenter dans des départements. Celui ou celle parmi les candidats à la candidature qui gagnera son département sera le candidat de l’opposition en 2019. Si plusieurs gagnent il faudra passer par un deuxième tour des primaires.

Au sein d’une certaine opposition dans et en dehors de Manko les alliances et les mésalliances ainsi que les propositions d’investitures en direction des élections législatives de 2017 se tissent et se défont au gré des ambitions réelles ou supposées prêtées aux uns et aux autres pour la prochaine élection présidentielle de 2019.

Le refus des présidents Tanor Dieng et Moustapha Niasse, à l’époque candidats à la candidature de Benno Siggil Senegal (BSS) pour la présidentielle de 2012, de laisser l’autre être le candidat-président et d’accepter d’être en cas de victoire le futur premier ministre révélait qu’aucun des deux ne croyait aux conclusions des Assises Nationales qui prônaient une réduction des pouvoirs du président. De la même manière tous ceux qui se positionnent pour la prochaine présidentielle à partir de ces législatives nous informent par la même occasion qu’ils vont trahir les Assises Nationales et les travaux de la CNRI pour ceux qui prétendent les défendre encore et qu’ils vont laisser le système politique intact pour les autres qui ne s’en réclament pas.

Le président libéral Abdoulaye Wade dit en 1995 un propos rapporté en juillet 2000. « Pour moi, c’était des gens qui jouaient un jeu, l’histoire avait fait qu’ils avaient basculé dans un camp qui les soutenait. Ceux qui recevaient des subsides de Moscou, il fallait qu’ils jouent les communistes, comme ceux qui recevaient des armes aussi ». Il ajoute pour préciser la nature de la relation d’inféodation qu’il entretient avec le « Pôle de gauche » : « Je me suis toujours dit que c’était des gens à récupérer. Cette philosophie de la récupération a toujours été la mienne... c’est-à-dire qu’il y avait des Sénégalais qui sont tombés dans le piège soviétique, mais qui fondamentalement, ne sont pas marxistes ». (4)

Le ministre socialiste Serigne Mbaye Thiam nous éclaire en 2017 sur des événements qui se sont produits dix ans plus tôt. « (…) Abdoulaye Wade a été sur la défensive à 3 reprises. La première fois, c’est quand on a décidé de boycotter les élections législatives de 2007. C’était la première initiative majeure de l’opposition avec les Yéro Deh, Ibrahima Sène et Dialo Diop avec qui j’ai travaillé sur ce schéma du boycott dans mon parti. (…) Deuxième initiative politique où Abdoulaye Wade était sur la défensive, c’était les Assises. Avec les Yéro Deh, Ibrahima Sène et d’autres. Après avoir boycotté, on a eu une discussion avec des partis étrangers, notamment le parti socialiste français, qui nous disaient : ‘’Si vous boycottez, vous n’êtes pas à l’Assemblée et donc absents du jeu politique.’’ C’est à ce moment-là qu’on a réfléchi à un moyen d’être présents dans le jeu politique. On a rédigé les termes de référence des Assises et convaincu les leaders d’aller vers les Assises. Elles ont été un moment où l’opposition a occupé le débat politique au Sénégal. »(5)

« Après la victoire commune, on pourrait nous offrir quelques sièges au nouveau gouvernement - mais toujours en minorité. Cela est le plus grand danger. Après février 1848, les démocrates socialistes français (...) ont commis la faute d’accepter des sièges pareils. Minorité au gouvernement des républicains purs, ils ont partagé volontairement la responsabilité de toutes les infamies votées et commises par la majorité, de toutes les trahisons de la classe ouvrière à l’intérieur. Et pendant que tout cela se passait, la classe ouvrière était paralysée par la présence au gouvernement de ces messieurs, qui prétendaient l’y représenter »(6). Cet avertissement de Engels, qui date de 1894, vaut également pour ceux qui pourraient tomber dans l’hameçon appâtés qu’ils seront par quelques positions insignifiantes sur une liste unique de l’opposition.

Certains avaient dès le départ un agenda caché qui à terme devait transformer Manko en coalition électorale et continuent de tenter à travers des manœuvres anti démocratiques de faire avaliser cela. Si cela marche, dans quelques années, comme Abdoulaye Wade et Serigne Mbaye Thiam, le pot aux roses sera révélé : Après avoir récupéré les Ousmane Sonko, Malick Noël Seck, Buuba Diop, Dialo Diop, Madièye Mbodj...nous avons mis Macky Sall en difficulté à trois reprises. La première c’est lors de la manifestation du 22 octobre…
On croit être dans une coalition alternative et s’engager pour la Patrie mais on s’engage pour une future bourgeoisie bureaucratique qui laissera intact le système. On croit voter pour le peuple mais on vote en réalité pour le « club unique ».

Il est important que les progressistes sénégalais qui se réclament de la gauche et ceux qui ne s’identifient pas à cette étiquette mais qui ont tous le même dénominateur commun d’être contre ce système néo colonial et présidentialiste de 57 ans méditent ces précédentes tromperies politiques. La sagesse populaire sénégalaise dit que les chèvres doivent s’accompagner avec des chèvres si elles ne veulent pas finir dans le ceere ou dans le daxine. Les chèvres sénégalaises n’ont pas encore suffisamment médité cela c’est pourquoi elles finissent dans le désert du Sahara, au fond de l’océan atlantique ou de la mer Méditerranée quand ce n’est pas dans les 76 enfants de moins de 5 ans et les 4 femmes qui des suites d’une diarrhée et d’une grossesse meurent tous les jours de l’année.

L’appel du député Decroix est séduisant et tentant. Le Sénégal a besoin d’autre chose. Or la « la reconstruction d’une politique citoyenne exige que les mouvements de résistance, de protestation et de luttes contre les effets de la mise en œuvre de ce système se libèrent du virus libéral »(7). Mais, comment se libérer de ce virus libéral dans une coalition dominée par des libéraux ? Ce n’est pas une question à renvoyer aux calendes grecques que celle cherchant à savoir la nature des politiques qui seront appliquées en cas de victoire. C’est comme le franc CFA ou la monnaie unique africaine. C’est aujourd’hui qu’il faut débattre pour savoir si la monnaie sera celle des peuples ou celle d’une ou de bourgeoisies africaines.

Si les Assises Nationales n’ont été pour certains qu’un jeu pour ne pas être absents du jeu politique ont comprend aisément pourquoi ils ne les ont pas défendues lors du référendum du 20 mars 2016. Après avoir été roulés dans la farine par Wade en 2000, par la social-démocratie dans les épisodes des Assises Nationales et de BSS puis par Macky en 2012 les progressistes sénégalais vont-ils accepter d’être d’éternels dindons des farces des familles politiques conservatrices ?

Différents scénarii sont envisageables pour ces prochaines élections législatives.

Celles et ceux des sénégalais qui ont un projet antisystème devraient se souvenir que « Les grands ne nous paraissent grands que parce que nous sommes à genoux : levons-nous ! ». Aux progressistes d’être grands et de se lever. Se lever signifie pour eux d’aller sous leur propre drapeau et de convaincre le peuple. Il est intenable pour le peuple opprimé de s’appliquer un génocide discursif qui perpétue le génocide néo colonial en cours après les génocides esclavagiste et colonial. 57 ans de politiques anti nationales, anti populaires et anti démocratiques ont plongé le peuple sénégalais dans des crises sanitaire, éducative, sécuritaire, alimentaire, budgétaire…Ces crises dramatiques et tragiques ne sont pas des fatalités. Le peuple peut s’en sortir. Pour cela, autour d’un projet politique alternatif, il lui faut mettre en place un gouvernement dont les urgences dans les cinq prochaines années seront entre autres :

1- Santé : tous les sénégalais pourront se soigner où qu’ils se trouvent sur le territoire nationale à moindre coût. En lieu et place des taux de croissance et classement Doing Business du FMI ou « Fonds de la Misère Instantanée » et de son vampire de jumeau qu’est la Banque Mondiale et des diktats des autres Partenaires Techniques et Financiers (PTF) seront déterminés et diffusés les objectifs à très courts termes de réduction à leur plus simple expression de la mortalité infanto maternelle, de formation de suffisamment de personnel soignant et de dotation en matériel médical

2-Education : promouvoir une éducation - du préscolaire au supérieur - publique nationale, démocratique et populaire. A cet effet, elle sera gratuite et obligatoire jusqu’à un âge à déterminer. Supprimer l’analphabétisme par l’alphabétisation de 1.800.000 sénégalais en 3 ans. Les langues nationales seront introduites/généralisées dans l’éducation​

3-Sécurité : assurer démocratiquement la sécurité intérieur des sénégalais par le relèvement du ratio universel de couverture sécuritaire et l’organisation/renforcement des populations dans une perspective d’émancipation. Organisation des populations en Penc, congrès villageois…pour assurer un contrôle populaire sur l’Etat et une prise en charge des questions que sécuritaires et de toutes les autres questions.

4-Atteindre la souveraineté alimentaire (particulièrement l’autosuffisance céréalière et laitière) : Eliminer ainsi la soudure et renforcer substantiellement les revenus des exploitations agricoles familiales desquelles ne partiront plus des flux d’immigrants irréguliers. Sera ainsi réduite drastiquement la malnutrition par l’atteinte de la souveraineté alimentaire et le chômage…

5-Refondation de l’Etat dans les douze premiers mois sur la base des conclusions des Assises Nationales et des travaux de la CNRI améliorés.

6-Dénoncer APE, franc CFA, Accords de pêche, autoroute à péage, contrats miniers, Accords militaires…auxquels seront substitués des accords sauvegardant les intérêts du peuple sénégalais, permettant de financer sa sortie du sous-développement et d’assurer la sécurité du Sénégal, de ses voisins et de l’Afrique

D’où viendront les fonds pour financer ce programme d’urgence ? Ils proviendront de :
 la réduction du train de vie de l’Etat par la suppression des fonds secrets et du HCCT, le remplacement des salaires de députés par des indemnités de session…
 l’augmentation des revenus perçus par l’Etat dans les ressources minières, halieutiques…
 l’élargissement de l’assiette fiscale
 …
Le gouvernement qui devra conduire ces urgences sera constitué des femmes et des hommes politiques et techniciens qui partagent l’idée que la déconnexion du Sénégal dans une Afrique déconnectée des centres et institutions impérialistes est une condition nécessaire de sortie du sous-développement.

Pour terminer, donnons la parole à Berthold Brecht.
« Ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner. Mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu. ».

Dakar, le 28 mars 2017

Références :
1-Mously Diakhaté, Député, coordonnatrice des femmes de ‘’Macky 2012’’, in le journal Le Soleil des 25 et 26 février 2017
3-Appel de AJ/PADS in le journal Enquête du 05 janvier 2017
2-Dr Cheikh Diallo, ancien conseiller de Wade, in le journal L’Observateur du 13 mars 2017
4-Chronique d’une Alternance-Malick Diagne-p.64et 65-édition Xamal-juillet 2000.
5-Serigne Mbaye Thiam, chargé des élections du PS, ministre de l’éducation nationale, in le journal Le Quotidien du 16 février 2017
6-Friedrich Engels, in La révolution italienne à venir et le Parti Socialiste – P.486
7-Samir Amin, Le virus libéral. La guerre permanente et l’américanisation du monde.