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Pétition pour une monnaie africaine au service des économies et populations africaines (en zone franc et ailleurs)

D 13 juin 2015     H 10:00     A     C 0 messages


Si vous n’avez déjà signé cet appel, voici le lien pour le faire

http://www.zone-franc-libre.net

Créé par le décret n° 45-0136 du 25 décembre 1945 fixant la valeur de certaines monnaies des territoires d’outre-mer pour consolider l’empire français, le franc des colonies françaises d’Afrique (CFA), devenu plus tard franc de la communauté (coopération) financière africaine, est au centre de vives et ô combien légitimes critiques depuis plusieurs décennies. Instrument importé et imposé par la France, comptable en partie d’un non-développement chronique de sa zone d’influence, il prive les pays africains d’une composante essentielle de leur souveraineté économique et d’immenses ressources monétaires indispensables à leur développement économique et social. Simultanément, du fait de la libre transférabilité des capitaux et des réseaux au sein desquels il perdure, le franc CFA est bien un pilier de la Françafrique, vaste marché ayant pour vocation historique la prédation des richesses africaines au profit de l’ancienne puissance tutélaire. Suspendant le temps économique de millions d’Africains, il se reproduit désormais au mépris de toute légitimité démocratique, soutenu par une clientèle élitaire et bureaucratique africaine qu’il nourrit de ses rentes. Longtemps il aura freiné la décolonisation économique en renforçant les effets d’une spécialisation productive assignant les pays africains au rôle exclusif de fournisseur de matières premières au marché mondial.

Le franc CFA, imperméable à tout débat ouvert quant aux fondements de sa politique, fini par incarner un haut lieu de l’arbitraire postcolonial, une zone d’exclusion citoyenne fermée à la voix des peuples, participant de la médiocrité des institutions africaines.

Alors que les banques centrales des grands ensembles économiques du monde, Europe, Etats-Unis, Chine, Japon, pays dits émergents, en proie aux crises dévastatrices du capitalisme mondialisé, sont engagées dans des politiques monétaires actives pour soutenir l’activité productive et l’emploi, les banques centrales de la Zone franc rajoutent à la damnation géologique des matières premières, la tragédie monétaire du blocage des réserves des pays africains au Trésor public français. Une forme odieuse de subvention des « pauvres » aux « riches » !

Au nom d’une prétendue « garantie de convertibilité » de la monnaie, plus de 2739 milliards de francs CFA figuraient au « Compte d’opérations » ouvert auprès du Trésor français par la BCEAO (Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest) à la fin 2013, soit bien plus que la richesse créée au Togo en 2013, plus que la dette publique du Burkina Faso en 2012, l’équivalent de la facture des importations du Sénégal en 2011 ! Pour la zone d’émission de la BEAC (Banque des Etats d’Afrique Centrale), les réserves logées en France au « Compte d’opérations » approchaient les 5000 milliards de francs CFA au 31 décembre 2013, soit plus que l’ensemble des recettes fiscales inscrites au budget de l’Etat du Cameroun en 2013, une somme autrement comparable aux crédits consentis aux agents économiques du Congo, du Gabon, de Guinée équatoriale, du Tchad et de Centrafrique en 2013 !

Les deux zones d’émission de la BCEAO et de la BEAC totalisaient en 2013 au moins 7713,9 milliards de francs CFA de réserves de change disponibles pour le Trésor français au détriment des besoins des économies africaines, représentant environ une ponction de 52 834 francs CFA par habitant des 14 pays concernés. Ces détentions oisives représentent en 2014 pour la BCEAO un taux de couverture de l’émission monétaire de 84,3 % contre 20% requis et 97,9% pour la BEAC en 2013. Notons que ces sommes surpassent ce qui est officiellement désigné par le vocable « aide publique au développement » de la France aux grands récipiendaires africains que sont la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Sénégal, le Congo, le Mali et le Burkina Faso réunis ! De quoi alimenter bien des questions…

Pour apprécier le coût exorbitant des contraintes liées au franc CFA et illustrer cette destruction massive de richesses en termes de financement des infrastructures, - une urgence quasi absolue- il faut garder à l’esprit par exemple les 40 milliards de coûts estimés du projet routier de désenclavement du Sahel, les 300 milliards de francs CFA indispensables à l’assainissement urbain de la ville de Cotonou menacée par les eaux ou les près de 50 milliards nécessaires à la construction du pont devant relier Kinshasa à Brazzaville.

Au regard des immenses et pressants besoins des pays africains, la confiscation des réserves africaines confine au crime économique. Comme pour en témoigner, le président français, Monsieur François Hollande en visite à Dakar le 12 octobre 2012, n’affirmait-il pas : « […] je suis convaincu que les pays de la Zone franc doivent pouvoir assurer de manière active la gestion de leurs monnaies et mobiliser davantage leurs réserves pour la croissance et l’emploi » ? C’est l’occasion de relever que peu de responsables politiques et économiques africains de premier plan, dirigeants ou opposants, ont posé directement la question des réserves de change et plus généralement celle de la gestion monétaire scandaleuse de la Zone franc. Ce qui pourrait dénoter le peu de cas que les élites dirigeantes font du bien-être des populations africaines. Si les mécanismes de la Zone franc gardent une évidente empreinte coloniale, les excédents de réserves en France par rapport aux ratios exigés, les turpitudes révélées par les épisodes judicaires récents (BEAC à Paris) sont largement imputables aux décisions africaines, incompréhensibles à l’aune des enjeux de développement économique et social de leurs pays.

Le bon sens et l’intérêt bien compris des Africains commandent donc, sans délai, de libérer les réserves de change bloquées à Paris, fruit du travail et des sueurs des Africains, afin de les rendre disponibles pour des investissements nécessaires à l’amélioration des conditions de vie des peuples.

La Zone franc et ses banques centrales aujourd’hui cinquantenaires, incarnent un véritable anachronisme économique. Voilà une zone monétaire née comme un sous-multiple colonial du Franc français, qui survit à ce dernier désormais fondu dans l’euro. Voilà une monnaie qui, après avoir servi les desseins d’un empire colonial, prétend servir les destinées d’Etats indépendants. Voilà une monnaie utilisée par des pays économiquement faibles, appelés « pays les moins avancés » ou « pays pauvres très endettés », arrimée à l’une des monnaies les plus fortes du monde, pénalisant ainsi leurs exportations et subventionnant leurs importations, ce qui aboutit à creuser leur déficit commercial. Voilà une monnaie historiquement coloniale utilisée par des pays « indépendants », affirmant l’objectif d’être à terme des « pays émergents » là où tous les pays dits émergents disposent d’une souveraineté monétaire totale, la Chine avec le yuan, l’Afrique du Sud avec le rand, le Brésil avec le real, la Corée du Sud avec le won et l’Inde avec la roupie. Que d’incohérences et que de misères générées !

Ajoutons à ces incohérences l’« extraversion intellectuelle » qui fait des politiques des banques centrales de la Zone franc des pâles copies des orthodoxies libérales, que même les maîtres à penser de Washington, Paris ou Bruxelles ont abandonnées sur l’autel du pragmatisme et de l’impératif de relance économique. Malgré les résultats décevants d’une croissance faible, à peine positive une fois pris en compte l’accroissement démographique, l’inflation et la répartition, rien ne parvient à changer les orientations fondamentales de la politique monétaire de la BCEAO et de la BEAC. Pas plus l’expansion de la pauvreté que les écarts de développement explosifs avec d’autres parties du monde. Cette dimension de dépendance intellectuelle et culturelle du CFA rappelle l’enjeu de libération de l’emprise des modèles exogènes qui nourrit à juste titre depuis les années 60 la longue lutte (fronde) des patriotes et des mouvements sociaux (alternatifs) africains.

Notons enfin que la plupart des pays africains de la Zone franc se sont déclarés favorables à la création d’une monnaie commune panafricaine dans le cadre de la construction de l’Etat fédéral africain. Il est impensable qu’un tel horizon, depuis longtemps plébiscité par les peuples africains à la suite de leurs leaders visionnaires, soit servi par une monnaie d’origine coloniale. C’est bien d’un système monétaire actif au service des économies locales et africaines, porté par des signes monétaires en phase avec les attentes socio-culturelles des utilisateurs, que les économies africaines ont besoin. Un système monétaire adossé à une vision et une perspective endogènes rompant avec les vieux schémas extravertis.

Au vu de tout ce qui précède, les signataires de cette pétition exigent :

Le déblocage immédiat des réserves africaines, leur rapatriement et leur mobilisation dans le financement des économies africaines, dans un environnement transparent et démocratique à clarifier,

La fin de l’arrimage fixe et exclusif des monnaies de la Zone franc à l’euro et l’instauration de contrôles sur la transférabilité des capitaux dans cette zone,

L’adoption d’une politique monétaire souveraine au service du développement économique et social des pays africains,

La levée immédiate des obstacles politiques à la création de la monnaie unique dans la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest), ou au sein d’autres dispositifs à envisager en Afrique centrale, comme étape majeure vers la création d’une monnaie continentale,

Le soutien au projet de l’Union africaine de créer des institutions de gouvernance économique et monétaire souveraines au service du continent.

L’appel est initié par :

 Martial Ze Belinga, Economiste et sociologue
 Makhily Gassama, professeur de lettres certifié de classe exceptionnelle, ancien ministre de la culture et ancien ambassadeur du Sénégal
 Demba Moussa Dembélé, Economiste
 Bamba Sakho, docteur en sciences et diplômé en économie

Les initiateurs ont participé à la rédaction de l’ouvrage "50 ans après, quelle indépendance pour l’Afrique ?", éditions Philippe Rey.


Voir en ligne : Zone franc libre