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L’Accord de partenariat économique UE-Afrique de l’Ouest est absurde

Jacques Berthelot- 15 mai 2016

D 17 mai 2016     H 18:59     A Jacques Berthelot     C 0 messages


Genèse des APE

Au lendemain des indépendances d’Afrique sub-saharienne (SSA), notamment des 16 Etats d’Afrique de l’Ouest (AO) – les 15 de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), et la Mauritanie –, tous d’anciennes colonies (à l’exception du Libéria), l’UE a maintenu les préférences commerciales non réciproques leur permettant d’y exporter 97% de leurs produits agricoles et 100% de leurs produits industriels tout en pouvant taxer leurs importations venant de l’UE, dans le cadre d’accords larges de coopération, dits Conventions de Lomé, de 1975 à 2000. Mais les 9 Etats d’Amérique latine (AL) exportateurs de bananes vers l’UE – Colombie, Equateur, Pérou, Costa Rica, El Salvador, Honduras, Guatemala, Nicaragua et Panama – ont poursuivi l’UE au GATT d’abord en 1993, puis à l’OMC à partir de sa création en 1995, où l’UE a été condamnée trois fois. La raison : ces pays en développement (PED) devaient payer des droits de douane (DD) à l’UE alors qu’elle importait à droits nuls les bananes venant des pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique), ce qui était contraire au principe de non-discrimination de l’OMC. Selon ce principe, si les pays développés peuvent accorder des préférences commerciales non réciproques aux PED, ils ne peuvent les discriminer selon un critère géographique mais ils peuvent le faire selon un critère de niveau de développement. D’où la mise en œuvre du "système de préférences généralisées" (SPG) bilatéral de l’UE depuis 1971 pour les PED – qui bénéficient de DD inférieurs d’environ 30% en moyenne aux droits normaux dits de la "nation la plus favorisée" (NPF) appliqués aux pays développés – et de droits nuls et sans quotas tarifaires (DFQF, duty free-quota free en anglais) appliqués aux "pays les moins avancés" (PMA), depuis la Décision "Tout sauf les armes" (TSA) de 2001.

L’UE a obtenu une dérogation de l’OMC pour prolonger les préférences non réciproques aux pays ACP de 1995 à 2001, ce qui l’a conduite à transformer les Conventions de Lomé en Accord de Cotonou le 23 juin 2000, dont le volet économique prévoyait la mise en place de 7 Accords de Partenariat Economique (APE) régionaux, dont 5 en Afrique sub-saharienne (ASS). Il s’agit d’Accords de libre-échange (ALE) où les pays ACP ne pourraient plus taxer 80% de leurs importations venant de l’UE qui elle-même ouvrirait son marché à 100% de ses importations venant des pays ayant signé des APE, sachant qu’elle l’avait déjà ouvert à près de 100% depuis longtemps. Comme les APE ne pouvaient être mis en place immédiatement, l’UE a obtenu une seconde dérogation à condition qu’ils deviennent effectifs à partir de janvier 2008.

Une première remarque est que l’UE n’a rien fait pour obtenir de l’OMC le droit de maintenir des préférences non réciproques avec les pays ACP compte tenu des différences dans les niveaux de développement entre les pays ACP, notamment d’AO, et ceux d’AL. En effet en 1995, le PIB moyen par habitant de 1294 $ des 9 pays d’AL exportateurs de bananes était 2,3 fois supérieur à celui moyen de Côte-d’Ivoire et du Ghana (560 $), seuls exportateurs de bananes d’AO vers l’UE. Et l’écart a augmenté puisqu’il était en 2014 4,3 fois supérieur (6321 $ contre 1454 $). En outre la guerre de la banane a été enterrée à l’OMC en décembre 2009 par une baisse des DD à payer à l’UE, baisse accentuée par les ALE conclus entre l’UE et ces pays fin 2012 et étendus à l’Equateur en 2014, qui ont accepté en contrepartie le droit de l’UE de continuer à importer sans DD les bananes des pays ACP. Il serait donc possible d’obtenir à l’OMC une dérogation pour que l’UE leur redonne des préférences non réciproques. D’autant qu’ils font face à 4 défis spécifiques : explosion démographique, déficit alimentaire croissant (hors cacao qui n’est pas un produit alimentaire de base), changement climatique accentué et forte dépendance des exportations de pétrole et autres minerais dont les prix s’effondrent.

Mais l’UE ne souhaite pas renouveler les accords commerciaux non réciproques car elle poursuit depuis les années 1980 une stratégie d’accès facilité aux marchés des pays tiers, notamment des PED, tout en garantissant son approvisionnement en matières premières aux prix mondiaux, notamment à travers les "politiques d’ajustement structurel" imposées aux PED endettés par la Banque Mondiale et le FMI où les pays développés détiennent la majorité du capital, donc des voix. Elle a été renforcée dans le document "Global Europe" du 6 octobre 2006 du Commissaire au commerce Peter Mandelson et confirmée dans le document "Le commerce pour tous" de juin 2015 de la Commissaire Cecilia Malmström. Pour Peter Mandelson "Notre prospérité est directement liée à l’ouverture des marchés où nous cherchons à vendre… A côté de notre engagement à l’OMC nous avons cherché, à travers des négociations bilatérales, à enlever les barrières commerciales aux frontières… Capitalisant sur l’OMC, notre objectif sera d’aller au-delà de ce qui peut être atteint au niveau mondial en recherchant des réductions tarifaires plus profondes ; en s’attaquant aux barrières non tarifaires au commerce ; et en couvrant des thèmes qui ne sont pas encore prêts à une discussion multilatérale, telles que les règles sur la concurrence ou l’investissement". Cecilia Malmström confirme : "Compte tenu de la dépendance de l’UE à l’égard des ressources importées, l’accès à l’énergie et aux matières premières est déterminant pour la compétitivité de l’UE. Les accords commerciaux peuvent améliorer l’accès de ces produits en fixant des règles en matière de non-discrimination et de transit, en s’attaquant aux exigences de contenu local… et en veillant à ce que les entreprises publiques soient en concurrence sur un pied d’égalité avec les autres entreprises selon les principes du marché".

C’est dans ce contexte que la Commission européenne justifie les APE avec un raisonnement par l’absurde : puisque les accords préférentiels de Lomé n’ont pas empêché les pays ACP de s’appauvrir, les exposer au libre-échange avec leur principal partenaire commercial déclenchera nécessairement une réaction salutaire qui accroîtra fortement leur compétitivité : "La coopération commerciale passée ACP-UE, qui a en premier lieu été bâtie sur ces préférences commerciales non réciproques, n’a pas produit les résultats espérés. Bien qu’elle ait accordé un accès à droits nuls à pratiquement tous les produits, cela n’a pas empêché la marginalisation accrue des pays ACP dans le commerce mondial… C’est pourquoi une approche plus globale est requise… Les Accords de Partenariat Economique sont un instrument pour réaliser ces objectifs… en enlevant progressivement toutes les barrières aux échanges entre l’UE et les groupements de pays ACP et en renforçant la coopération dans tous les domaines relevant des échanges". C’est un raisonnement aussi absurde que celui consistant pour un éleveur de poulets à ouvrir la porte du poulailler pour que le renard puisse éprouver la capacité de résistance des poulets. En l’occurrence les 16 "poulets" d’AO avaient en 2014 un PIB moyen par tête 17,7 fois inférieur à celui du "renard" UE (1 547 € contre 27 335 €).

Il faut dire que les lobbies des grands groupes européens, notamment français, ont été à la manœuvre pour persuader les Chefs d’Etat d’AO qu’ils avaient tout à gagner à l’APE. C’est notamment le cas de la Compagnie Fruitière de Robert Fabre, qui produit et exporte l’essentiel des bananes et ananas de Côte d’Ivoire, Ghana et Cameroun sur ses propres bateaux, et des tomates cerises au Sénégal. C’est le Groupe Mimran, propriétaire des Grands Moulins d’Abidjan et de Dakar, qui a obtenu que le droit déjà minime (5% ad valorem) du tarif extérieur commun (TEC) de la CEDEAO sur les céréales (à l’exception du riz) soit éliminé dès 2020. C’est le groupe Bolloré, qui gère la plupart des infrastructures portuaires du Golfe de Guinée et est impliqué dans l’exportation de 65% du cacao de Côte-d’Ivoire.

Evolution de la négociation de l’APE Afrique de l’Ouest-UE

Les 16 pays d’AO, dont les 15 de la CEDEAO – dont 12 PMA (Bénin, Burkina Faso, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Mali, Niger, Sénégal, Sierra Leone, Togo), 3 PED (Côte d’Ivoire, Ghana et Nigéria) relevant du régime douanier SPG de l’UE et le Cap Vert qui bénéficie du régime SPG+ lui conférant des avantages comparables à ceux des PMA – et la Mauritanie ont commencé à négocier l’APE en octobre 2003 avec la Commission européenne. L’UEMOA – Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest, un sous-ensemble de la CEDEAO qui réunit 7 pays francophones (Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal, Togo) plus la Guinée Bissau qui ont en commun le franc CFA arrimé à l’euro (1 euro égale 655,957 FCFA) – participe aussi aux négociations.

Mais, alors que les pays ACP négociaient l’application des Conventions de Lomé avec la Direction Générale de la Coopération, les APE ont été négociés avec la Direction générale (DG) Commerce, ce qui augurait mal de la priorité à donner aux besoins de développement de l’AO.

Très vite les Etats d’AO ont émis des réserves sur l’APE, appuyés par les mobilisations de leurs sociétés civiles, et le Président Wade du Sénégal a même participé le 7 janvier 2008 à Dakar à une marche de protestation contre l’APE, après avoir écrit dans Le Monde du 15 novembre 2007 : "Les nouveaux accords de partenariat économique prétendent démanteler les protections tarifaires et instaurer une parfaite égalité de compétition entre des économies européennes et africaines totalement asymétriques.. Cela revient à livrer totalement les marchés africains aux produits européens subventionnés. Non seulement l’industrie africaine n’a pas la capacité et les structures qui lui permettraient de répondre même à une forte demande européenne, mais ce nouveau dispositif de désarmement tarifaire imposé par le libre-échange entraînerait immédiatement d’énormes pertes de recettes douanières pour nos pays : or les recettes douanières constituent entre 35 % et 70 % des budgets des Etats africains". Telle n’a pas été l’attitude de son successeur Macky Sall Diop, fier d’avoir été élu par ses pairs pour coordonner la négociation de l’APE avec l’UE.

Les Chefs d’Etat d’AO ont confirmé le 10 juillet 2014 à Accra le paraphe de l’APE régional apposé par leurs négociateurs en chef le 30 juin à Ouagadougou et le Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UE a autorisé sa signature le 12 décembre 2014 sous réserve de sa conclusion qui implique que tous les Etats d’AO le signent. Le Parlement européen a tenu de multiples débats sur l’avancée de l’APE, son opinion dominante étant qu’il ne voit pas comment il pourrait s’opposer à un APE que la majorité des Chefs d’Etats africains souhaitent signer. Début mai 2016 la Gambie et le Nigéria n’ont pas encore signé et son Président, Muhammadu Buhari, a déclaré à l’assemblée plénière du Parlement européen le 3 février qu’en l’état le Nigéria ne pouvait signer l’APE car il menacerait par trop l’industrialisation de son pays. En cas de signature tous les Etats de l’AO comme de l’UE devront le ratifier – car il s’agit d’un accord "mixte" compte tenu de son volet "développement" à côté de celui des échanges –, mais la ratification ne s’opposerait pas à sa mise en oeuvre "provisoire" comme on le voit pour l’APE UE-Cariforum mis en oeuvre depuis plus de 5 ans sans que tous les Etats l’aient ratifié à ce jour.

Toutefois des pressions de plus en plus fortes sont exercées sur le Nigéria, tant par les institutions européennes que par les lobbies des affaires de l’UE et par la Côte d’Ivoire et le Ghana. Ces deux pays, craignant de devoir payer à l’UE les droits de douane (DD) du SPG sur leurs exportations de cacao, bananes, ananas et conserves de thon, avaient en effet conclu avec l’UE fin 2007 et début 2008 des APE dits "intérimaires" qui ont pérennisé les préférences non réciproques mais ils redoutent la menace de la Commission européenne de ne plus reconnaitre ces APE intérimaires à partir du 1er octobre 2016 si l’APE régional n’est pas signé par les 16 Etats d’AO. En cas de refus définitif du Nigéria de signer – il compte 51,6% de la population et 78,3% du PIB de l’AO en 2014 – l’APE régional serait définitivement enterré mais la Commission pourrait accepter de pérenniser les deux APE intérimaires, ce qui ferait voler en éclat l’intégration régionale censée être le principal objectif de l’APE régional. En effet les 14 autres Etats devraient rétablir des DD sur leurs importations venant de ces deux pays afin ne pas être envahis par les produits européens qu’ils auraient importés à droits nuls, et le Tarif extérieur commun (TEC) en vigueur depuis janvier 2015 disparaitrait.

Contenu de l’APE Afrique de l’Ouest-UE

Selon la DG commerce qui vient de publier sa propre étude d’impact de l’APE AO en mars 2016, l’APE AO vise à favoriser la croissance économique, le plein emploi, l’éradication de la pauvreté, l’intégration régionale ainsi que l’intégration accrue de l’AO dans le commerce mondial, bien qu’elle soit parmi les régions les plus intégrées, deux fois plus que l’UE, en comparant les ratios (importations + exportations)/PIB, et d’ailleurs ces deux derniers objectifs sont contradictoires. C’est ce qu’a déclaré Mamadou Cissokho, président honoraire du Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles d’Afrique de l’Ouest (ROPPA), au Forum public de l’OMC le 2 octobre 2014 : "Tous les pays qui se sont développés ont commencé par créer les conditions pour le faire en se protégeant et ce n’est qu’après qu’ils se sont ouverts aux autres. On ne peut demander aujourd’hui à l’Afrique d’être le premier exemple qui montrera que c’est en s’ouvrant d’abord au commerce qu’elle va se développer".

La DG Commerce a financé depuis 2003 de nombreuses études d’impact de l’APE pour mieux la justifier auprès des pouvoirs publics et sociétés civiles de l’UE et de l’AO. Elle a notamment financé depuis 2008 4 études confiées à des bureaux d’études reconnus mais a finalement refusé de les publier car leurs conclusions ne correspondaient pas à ses attentes. Heureusement ces études ont fuité mais on ne peut toujours pas les télécharger. En dernier lieu elle a réalisé une évaluation avec ses fonctionnaires en mars 2016, tout en demandant à l’IFPRI (bureau d’études américain spécialisé dans l’évaluation des ALE) de la compléter par l’indispensable modélisation en équilibre général sans laquelle aucune évaluation n’apparait scientifiquement crédible à ses yeux. Pourquoi en effet faire simple et transparent quand on peut faire compliqué et opaque ? Le paradoxe est que les modélisateurs de l’IFPRI avaient déjà participé à 3 des études fuitées et ont rédigé cette fois des conclusions répondant mieux aux attentes de la DG Commerce. Mais cette dernière étude est truffée de contre-vérités sur lesquelles on va revenir.

La DG Commerce affirme que, contrairement aux autres ALE déjà négociés par l’UE ou encore en négociation, cet APE est déséquilibré en faveur de l’AO à quatre niveaux : de l’accès au marché, de l’aide au développement, des sauvegardes et des règles d’origine.

✓ L’accès au marché : ouverture à 75% des importations d’AO venant de l’UE qui importerait sans DD 100% de ce qu’elle importe de l’AO. En réalité les 75% d’ouverture affichés correspondent aux lignes tarifaires qui ont représenté 82% de la valeur des importations de l’AO venant de l’UE en 2012 selon le South Centre de Genève.

✓ Une aide au développement de 6,5 milliards d’euros (Md€) au titre du PAPED (programme d’appui à l’APE) sur 5 ans pour permettre à l’AO de renforcer sa compétitivité en dépit de l’ouverture accrue de son marché aux exportations de l’UE. Mais le PAPED ne contient pas un euro de plus que les aides traditionnelles de coopération dont il ne constitue qu’un nouvel emballage comme l’a souligné une brochure de la Direction générale Coopération (DEVCO) de la Commission européenne du 3 juillet 2015. Qui plus est l’article 60 de l’APE prévoit que l’UE apportera aussi une aide pour combler la perte de recettes budgétaires liées à la baisse des DD. Cette promesse n’engage que ceux qui veulent y croire, d’autant qu’il n’y a déjà aucune garantie que l’Accord de Cotonou, qui expire en 2020 et qui a été le cadre des aides aux pays ACP, sera renouvelé ou que l’UE continuera à leur apporter une aide financière conséquente, à hauteur en particulier de leur explosion démographique puisque la population d’ASS serait multipliée par 2,2 de 2015 à 2050 et celle d’AO par 2,3. Remarquons que les 6,5 Md€ d’aides totales de l’UE sur 5 ans ne correspondent qu’à 3,5 euros par habitant d’AO et par an, soit quelques sucettes.

✓ Des sauvegardes, notamment pour la sécurité alimentaire : en fait la sauvegarde prévue par l’APE est inférieure à la "sauvegarde spéciale agricole" (SSA) dont jouit l’UE à l’OMC – qui peut être déclenchée soit par la hausse des volumes importés soit par la chute des prix à l’importation – car celle prévue à l’APE n’est déclenchée que par la hausse des volumes importés. Or, dans le contexte actuel de forte volatilité des prix et du taux de change de l’euro – qui est aussi celui du franc CFA pour 8 Etats d’AO –, une sauvegarde liée aux prix est indispensable. Pour la hausse des volumes prévue à l’APE, les droits supplémentaires ne peuvent dépasser "le droit de douane appliqué de la nation la plus favorisée", tandis que pour la SSA utilisée par l’UE le droit supplémentaire peut dépasser "un tiers du niveau du droit de douane ordinaire en vigueur l’année où l’action a lieu". La sauvegarde de l’APE est aussi contradictoire avec la "taxe complémentaire de protection" (TCP) de la CEDEAO qui s’applique aux produits importés des pays tiers soit lorsque l’augmentation du volume importé d’un produit au cours d’une année est supérieure ou égale à 25% de la moyenne des importations des trois dernières années, soit lorsque la moyenne du prix CAF d’un produit importé au cours d’un mois tombe en dessous de 80% de la moyenne des prix à l’importation des trois dernières années. La TCP ne pourrait donc s’appliquer qu’aux importations venant d’autres pays que l’UE. En outre la sauvegarde de l’APE est bien inférieure au "mécanisme de sauvegarde spéciale" négocié dans le Doha Round. Qui plus est la sauvegarde de l’APE ne peut excéder 4 ans ou au plus 2 fois 4 ans et toute mesure dépassant 1 an doit être approuvée par le Comité conjoint AO-UE.

Quant aux dispositions de l’APE sur la sécurité alimentaire l’assertion de l’UE selon laquelle elles sont aussi déséquilibrées au profit de l’AO est à évaluer avec les constats suivants :
• Les DD de l’UE sur ses produits alimentaires de base (céréales, sucre, produits laitiers et viandes) sont très supérieurs à ceux de l’AO.

• L’APE interdit à l’AO d’augmenter ses DD appliqués (article 9 dit "statu quo") produit par produit. Au contraire, on va y revenir, l’AO devra les éliminer progressivement sur 82% de la valeur des produits importés (pas seulement agricoles) de l’UE.

• Les produits alimentaires de l’UE exportés en AO sont très fortement subventionnés. Certes il ne s’agit pas de subventions aux exportateurs que l’UE s’engage à éliminer dans l’APE, mais de subventions internes (notamment "découplées" du niveau des prix ou de la production) aux produits exportés qui ont le même effet de dumping. Elles ont été de 238 millions d’euros (M€) en 2015 sur les 3,6 millions de tonnes (Mt) de céréales exportées, de 72 M€ sur les produits laitiers et de 162 Mt sur les viandes (en 2014). Mais l’UE a refusé de traiter des subventions internes dans l’APE, alléguant qu’elles ne peuvent être débattues qu’à l’OMC, où l’UE se refuse à les remettre en cause au prétexte qu’elles seraient "découplées". Or ces subventions internes ont été accordées pour compenser la baisse des prix agricoles intérieurs de l’UE au cours des réformes de la PAC (politique agricole commune) de 1992, 1999, 2003 et 2005 et ont réduit de ce fait le besoin de DD plus élevés (elles ont un effet de substitution à l’importation).

• Par ailleurs la Commissaire au Commerce Cecilia Malmström, sa responsable des APE Sandra Gallina, et l’Ambassadeur de la CEDEAO à l’UE Yaya Sow n’ont cessé de répéter que l’APE AO a permis d’exclure de la libéralisation tous les produits alimentaires, ce qui est faux puisque les DD déjà minimes (5%) de deux produits essentiels, les céréales (hors riz) et la poudre de lait, tomberont à 0 dès le début de la libéralisation en année 6. Au total les pertes de DD sur les importations agricoles seraient de 148 M€ en 2035, même si cela ne représente que 5,7% des pertes totales.

✓ Des règles d’origine flexibles : la DG Commerce estime que les APE améliorent beaucoup les conditions sur les règles d’origine par rapport même à celles applicables aux PMA, qui eux-mêmes ne peuvent en effet exporter vers l’UE "Tout sauf les armes" qu’en respectant les règles d’origine, sans oublier les règles sanitaires et phytosanitaires de l’UE. Sont considérées comme "produits originaires" dans l’APE AO les produits obtenus en AO et contenant des matières qui n’y ont pas été entièrement obtenues, à condition qu’elles aient fait l’objet en AO d’ouvraisons ou transformations suffisantes. Le cumul des origines : les matières originaires de l’UE, de pays ACP ayant signé un APE et des PMA même autres que ceux d’ASS sont considérées comme originaires d’AO lorsqu’elles sont incorporées à des produits d’un Etat d’AO et il y a des pourcentages plafonds, variables selon les produits (notamment agricoles et de la filière textiles-vêtements), pour que les matières incorporées venant d’autres pays conservent le caractère de produit originaire d’AO. Ces règles sont assez complexes car variables selon les produits et les pays d’origine des matières.
Malgré les assertions de l’UE les règles d’origine des Etats-Unis (EU) sont plus favorables pour les exportations des pays d’ASS à DD nuls aux EU au titre de l’AGOA (African Growth and Opportunity Act), renouvelé pour 10 ans le 25 juin 2015. Ceci notamment pour les exportations de vêtements grâce à la clause "tissu d’un pays tiers" qui a permis aux pays bénéficiaires de l’AGOA d’exporter 7 fois plus de vêtements aux EU que vers l’UE car ils ont pu importer les tissus des pays asiatiques les moins chers alors que les règles d’origine de l’UE limitent le cumul des matières aux pays de l’UE, d’ASS, des PMA ou du Canada. Cela explique la forte expansion de l’industrie des vêtements à Madagascar jusque 2009 où il a perdu son éligibilité à l’AGOA suite au coup d’Etat ayant renversé le Président de la République, avant d’être à nouveau éligible depuis juin 2014, et les exportations de vêtements de Madagascar sont redevenus le second poste à l’exportation. De même le Kenya a exporté pour 380 M$ de vêtements aux EU au titre de l’AGOA en 2015, donc à DD nuls, contre seulement 3 M€ vers l’UE en 2013.

Toutefois cette clause "tissu de pays tiers", qui a permis à Madagascar et au Kenya de développer fortement la filière vêtements en créant beaucoup d’emplois, est à double tranchant. Car il s’agit d’emplois de sous-traitance de multinationales dans des zones franches orientées vers l’exportation, ce qui a entrainé le recul ou la stagnation de la production nationale de coton puisque sa transformation en filés et tissus n’était plus compétitive par rapport aux tissus asiatiques importés. Cette insertion dans les "chaines globales de valeur" tant vantées par l’OMC et l’UE n’est donc pas la voie à emprunter par l’AO pour qui il s’agit de trouver des débouchés rentables et stables pour le coton régional en développant toute la filière textile-habillement pour le marché régional, ce qui ne peut se faire que par une protection suffisante à l’importation. Y compris sur l’importation de la friperie qui explose, ayant été multipliée par 4 depuis 2005 et ayant augmenté de 67% de 2014 à 2015, avec 446 525 tonnes pour 420 M€, dont 62% venant de l’UE.

Ajoutons que la Chambre des Représentants a souligné le 16 avril 2015 "les pratiques inéquitables de l’UE qui conditionnent l’accès au marché européen à la signature d’Accords commerciaux déséquilibrés" puisque l’AGOA n’exige pas de réciprocité commerciale de la part des pays d’ASS. La CEDEAO a d’ailleurs conclu en août 2014 un Accord cadre de commerce et d’investissement avec les EU, qui sont très actifs depuis pour inciter les pays de la CEDEAO à mieux utiliser l’AGOA.

Les principaux impacts de l’APE AO

Le rapport de la DG Commerce conclut que, sur la base des simulations, malgré une baisse de 11,7% des DD perçus, le PIB des pays d’AO augmentera en année 20 (1935) de 0% à 0,5% par comparaison à l’absence d’APE et le "bien-être" augmentera de 0,1% à 0,7% selon les pays. Les exportations de l’AO augmenteront de 1,5%, dont de 4,1% vers l’UE. La rémunération du travail augmentera dans tous les pays (jusqu’à 0,9% en Côte d’Ivoire), ainsi que celle des autres facteurs (capital, terres, autres ressources).

Ces conclusions ne sont absolument pas crédibles, pour les raisons suivantes :
✓ Les simulations oublient totalement que la population d’AO bondira de 64,4% de 2015 à 2035 (plus 227 M) alors que celle de l’UE devrait légèrement diminuer. Et l’oubli de la croissance démographique est partagé par toutes les études d’impact ci-dessous.

✓ Le modèle utilisé par l’IFPRI souffre d’énormes lacunes :
• Il ne prend en compte que les données de 7 pays sur 16, même s’ils représentent 80% de la population et 94% du PIB d’AO en 2014.

• Ces données sont issues du modèle GTAP-9 de 2011, qui utilise les matrices de comptabilité sociale basées sur les tableaux entrées-sorties aux données plus anciennes et disparates selon les pays (de 1998 en Côte d’Ivoire à 2006 au Nigéria et au Togo). Le nombre de secteurs de produits des tableaux diffère selon les pays (de 29 au Nigéria à 41 au Ghana), en particulier les secteurs de produits agricoles (de 6 en Côte d’Ivoire et Nigéria à 12 au Burkina et Ghana) et on ne peut vérifier la source des prix utilisés. Quand on sait en outre que ce type de modèle ne prend en compte qu’un seul consommateur-producteur par pays, et qu’il suppose une concurrence pure et parfaite, on est en droit de douter de ses résultats.

• D’autant que la même équipe de l’IFPRI a produit des résultats très différents dans les 3 rapports, financés par la DG Commerce, rapports non diffusés mais fuités, d’avril 2008, avril 2012 et janvier 2006.

On va donc évaluer la crédibilité de ces résultats sur les principaux points.

✓ Pertes de droits de douane (DD) et de recettes budgétaires totales

• L’étude de 2008 de Fontagné-Laborde-Mitaritonna estime que la perte des DD à la fin de la libéralisation serait de 38% sur les importations totales, dont de 82% sur celles venant de l’UE, et encore en supposant que l’inefficacité dans la collecte des DD fait que seuls 80% des droits dus sont perçus (une hypothèse partagée par toutes les autres études ci-dessous, qui a pour effet de minimiser les pertes de DD). Et le détournement de commerce au profit de l’UE représentera 32,5% de la baisse directe des DD.
• L’étude ITAQA d’avril 2008 de Decaluwe-Laborde-Maisonnave-Robichaud prévoit des pertes de DD moyens de 20% dont 28% au Sénégal et 37% au Burkina et Mali, avec une perte de 3,369 Md$ à la fin. Et l’étude estime que le PIB baissera par rapport au maintien du régime de Cotonou durant toutes les années de libéralisation parce que la baisse des budgets réduira les investissements. Les pertes de DD sont fortement minimisées car basées sur un taux de recouvrement allant de 38% au Togo à 88% au Burkina en passant par 51% au Nigéria.
• L’étude ITAQA d’avril 2012 de la même équipe, qui compare l’APE à une situation avec SGP pour les 3 PED et de DFQF pour les PMA et sans ouverture des frontières aux exportations de l’UE, anticipe une perte de 8% des recettes budgétaires totales (pas seulement des DD) à la fin de la libéralisation, dont de 14,8% au Nigéria.
• L’étude d’IFPRI de janvier 2016 de Bouet-Laborde-Traoré estime que les pertes de DD à l’importation iront de 7,5% au Bénin à 25,8% au Burkina. Mais l’IFPRI suppose que le PAPED de 6,5 Md€ pour 5 ans sera prolongé jusque 2035 et que l’UE contribuera à la perte de ces recettes douanières ou que les Etats d’AO devront augmenter d’autres impôts ou réduire leurs dépenses.
• Selon l’étude du FMI sur l’impact de l’APE pour le Sénégal, cité par la DG Commerce, les pertes de recettes budgétaires correspondraient à 1,2% du PIB. Mais, comme les DD (et TVA à l’importation) ont représenté 7,34% du PIB (moyenne de 2005 à 2009) et que les importations venant de l’UE ont représenté 44,5% de ses importations totales en 2015, les DD ont représenté 3,3% du PIB et, comme le Sénégal devra libéraliser 86,1% de la valeur de ses importations (selon le South Centre), les pertes de DD représenteront 2,81% du PIB. De plus cette étude repose aussi sur le fait que l’UE compensera les pertes de recettes.
• L’étude de la Banque Mondiale de décembre 2014 sur l’impact de l’APE pour le Nigéria est tout aussi fantaisiste puisque, avec un modèle à production constante, elle anticipe néanmoins une croissance de 3% des recettes budgétaires à la fin de la libéralisation, ce qui permettra d’absorber facilement la baisse attendue de 0,8% des DD.
• Tous ces modèles ne tiennent pas compte des pertes de recettes douanières des taxes à l’exportation qui, pour certains pays comme la Côte d’Ivoire et la Guinée-Bissau, sont supérieures aux DD à l’importation. Car l’APE interdit d’augmenter ces taxes, ce qui serait indispensable pour compenser les pertes des DD à l’importation et faire face à la forte hausse des dépenses publiques liée à l’explosion démographique.
• Ajoutons un commentaire sur l’assertion de la DG Commerce que l’APE augmenterait le "bien-être" de 0,1% à 0,7% selon les pays. Evidemment tous les modèles montrent qu’en libre-échange les consommateurs, qui représentent 100% de la population, gagnent plus suite à la baisse des prix que ce que perdent les producteurs et l’Etat en ressources douanières. Cette assertion repose sur plusieurs erreurs, la première étant que les baisses de prix des produits importés sont intégralement répercutées sur les consommateurs finals, et la seconde oublie que les pertes de revenus des producteurs évincés du marché seront bien plus importantes par leurs effets multiplicateurs, y compris sur les recettes fiscales internes. Et l’étude d’IFPRI de janvier 2016 déclare que "Les résultats concernant le bien-être sont négatifs pour le Nigeria, le Sénégal, le Bénin, le reste de la région de la CEDEAO, et le Togo et positif pour le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire".
• Ajoutons la contradiction de la DG Commerce qui s’attend néanmoins à la baisse des services publics liée à la baisse des recettes douanières mais cela pourra être compensé par de nouveaux impôts, notamment de TVA, puisque les prix à la consommation baisseront.

✓ La méthodologie de SOL

Contrairement à toutes ces études basées sur des modèles d’équilibre général dont a vu les limites méthodologiques, SOL (ex-Solidarité) a utilisé une méthode plus réaliste bien que plus astreignante en temps de travail ayant consisté à calculer les pertes de DD ligne tarifaire (LT) par LT pour tous les chapitres du Système Harmonisé des échanges sur la base des importations effectives des pays d’AO venant de l’UE en 2015 et basé sur les DD de l’AO prévus pour l’APE par LT à 8 ou 10 chiffres qui prévaudraient à la fin du processus de libéralisation en 2035. Faute de données fiables pour les importations des pays d’AO, on a pris les données d’Eurostat sur les exportations de l’UE en AO, puis ajouté les pertes de DD liées à quatre facteurs :
• L’écart entre les valeurs FAB des exportations de l’UE et les valeurs CAF des importations de l’AO, correspondant aux frais de transport et d’assurance. On a estimé cet écart à 20% en moyenne pour l’AO. Cet écart est d’autant plus minimisé que le TEC (tarif extérieur commun) n’est pas réellement en vigueur et que les DD sont parfois cumulés pour les pays non côtiers alors que les produits ont déjà été dédouanés dans les ports des pays côtiers.
• Le détournement des échanges qui favorisera davantage les importations venant de l’UE car celles venant des pays tiers resteraient taxées. On a repris l’estimation de Fontagné d’un détournement de 33,6% supérieur à la perte directe de DD.
• La forte augmentation de la population qui induirait des importations bien supérieures, d’autant que l’APE réduirait la compétitivité des entreprises d’AO. On a estimé que le taux de hausse des importations venant de l’UE serait des 2/3 du taux de croissance démographique des différents Etats d’AO entre les périodes de démantèlement des DD (de T à T+5, de T+5 à T+10, de T+10 à T+15 et de T+15 à T+20, T étant l’année de signature de l’APE.
• La réduction des recettes budgétaires de TVA (taxe sur la valeur ajoutée) sur les importations car la TVA est basée sur la valeur CAF plus les DD à l’importation.
• On a ensuite appliqué aux pertes de DD calculées pour 2035 la répartition des pourcentages de pertes de DD aux différentes étapes de la libéralisation tels que calculés par le South Centre pour 2012 pour la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigéria et l’ensemble des PMA. On aboutit alors à des pertes de DD de 3,220 Md€ en 2035 pour l’AO, dont de 1,361 Md€ pour les 13 PMA (le Cap Vert y étant assimilé car son statut de SPG+ lui confère des avantages très proches de ceux des PMA) et 1,857 Md€ pour les 3 PED, dont de 237 M€ pour la Côte d’Ivoire, 361 M€ pour le Ghana et 1,255 Md€ pour le Nigéria. En cumulé depuis l’année T+5 (2020) où commence l’ouverture du marché de l’AO, les pertes de DD atteindraient en 2035 30 Md€, dont 13,6 Md€ pour les 13 PMA et 17,6 Md€ pour les 3 PED, dont 2,1 Md€ pour la Côte d’Ivoire, 3,5 Md€ pour le Ghana et 11,9 Md€ pour le Nigéria. L’APE est d’autant plus injuste pour les PMA que, sans lui, ils auraient pu continuer à taxer leurs importations venant de l’UE.

✓ L’impact de l’APE sur les exportations de l’AO

• La DG commerce prétend qu’avec l’APE les exportations de l’AO augmenteront de 4,5% vers l’UE, ce qui n’est pas crédible compte tenu d’une part de la forte hausse de la population d’AO et, d’autre part, de la perte de compétitivité de l’AO due non seulement aux importations moins chères venant de l’UE mais aussi au fait que l’UE aura intérêt à s’approvisionner auprès d’autres pays plus compétitifs avec lesquels elle a passé récemment des ALE (dont les pays andins et d’Amérique centrale et la Corée du Sud) ou est voie d’en finaliser (dont le TAFTA avec les EU, le CETA avec le Canada, avec le Mercosur, l’Inde, etc.). Cette assertion est encore moins crédible pour les exportations agricoles, d’une part parce que la population de l’UE va au mieux stagner et vieillir, donc consommera moins de produits alimentaires, et que l’AO va perdre en compétitivité non seulement sur les bananes et ananas mais aussi sur le cacao-chocolat et les conserves de thon. Les pertes de compétitivité se feront surtout avec les pays andins et d’Amérique centrale non seulement sur les bananes et ananas mais aussi sur le cacao-chocolat. En effet l’UE élimine ses DD sur la partie ad valorem des importations de chocolat qui est de 17,65% pour le SPG et la pâte et le beurre de cacao seront importés à DD nuls puisqu’ils n’ont que des droits ad valorem. Une autre concurrence pourra venir des EU si le TTIP est finalisé puisque les dernières offres tarifaires, récemment fuitées, montrent que l’UE est prête à éliminer tout DD si les EU en font autant. Quant aux conserves de thon les pays andins, notamment l’Equateur, bénéficient de l’entrée à DD nuls et la Corée du Sud d’un DD réduit à 4% au lieu de 20,50% pour le DD SPG et de 24% pour le DD NPF. Ajoutons que l’évaluation du GIEC 2014 sur le changement climatique en AO souligne que la production de bananes, y compris de plantains, pourrait diminuer.
• Le plus affligeant – qui souligne la méconnaissance de la DG Commerce et des modélisateurs de l’IFPRI – est que la plus forte croissance des exportations de l’AO vers l’UE concernerait les céréales (+10,2%), les autres produits alimentaires (+9,9%) et la viande rouge (8,4%). En effet l’AO a un déficit croissant en céréales (de 7,1 Mt en 2000 à 16,1 Mt en 2013, dont de 3,9 Mt à 7,4 Mt en blé, dont 2,7 Mt de l’UE (plus 0,9 Mt de céréales incluses dans les produits céréaliers exportés). L’AO n’exporte aucune viande bovine vers l’UE qui y a exporté par contre 83 295 tonnes en 2015 pour 67,2 M€. Et l’AO a un déficit croissant en tous produits alimentaires en général si l’on exclut le cacao, les fruits et les conserves de thon.
• Par contre la DG Commerce reconnait que les exportations de l’UE en AO devraient augmenter de 23,3%, ce qui est peu compatible avec la baisse limitée à 11,7% des DD de l’AO qu’elle admet.

✓ Les DD du SPG que les exportateurs de Côte d’Ivoire, du Ghana et du Nigéria paieraient si l’APE n’est pas finalisé

• La Côte d’Ivoire et le Ghana sont les seuls pays d’AO à vouloir vraiment l’APE parce qu’ils perdraient le libre accès à l’UE pour leurs exportations de bananes, ananas, cacao transformé et conserves de thon sur lesquels ils devraient payer les DD du SPG. Le Nigeria, qui paie déjà les DD du SPG car il a refusé de signer un APE intérimaire, n’y perdrait pas grand-chose car il n’exporte qu’un peu de cacao et la plupart de ses produits non agricoles entrent à DD nuls dans l’UE. Mais la DG Commerce n’a pas cherché à évaluer les DD du SPG que ces 3 PED devraient payer ni demandé aux autres études qu’elle a financées de les évaluer, ce qui a permis à la Côte d’Ivoire et au Ghana de laisser entendre que ce serait une catastrophe dont ils ne pourraient se relever. L’approbation politique de l’APE par la majorité des Chefs d’Etat d’AO a été facilitée par le fait que la présidence de la CEDEAO a été assurée par le Président Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire de février 2012 à mars 2014, puis par le Président Dramani Mahama du Ghana de mars 2014 à mai 2015, puis par le Président Macky Sall du Sénégal.
• En réalité ces trois PED ont tout à perdre à la signature de l’APE car les DD du SPG à payer pour maintenir leurs exportations ne seraient pas considérables, seraient bien inférieurs aux pertes de DD sur leurs importations de l’UE (voir plus haut) et les DD du SPG peuvent être mutualisés au niveau de tous les pays d’AO. Solidarité (maintenant SOL) a calculé ces DD du SPG, ligne tarifaire (LT) par TL sur tous les chapitres du SH pour 2015. Ces DD auraient été de 188,5 M€ (après 164 M€ en 2014 et 164,5 M€ en 2013), dont 113,1 M€ pour la Côte d’Ivoire, 66,9 M€ pour le Ghana et 8,6 M€ pour le Nigéria. Et 97,3% de ces DD concernent les produits agricoles et conserves de thon dont 99,9% pour la Côte d’Ivoire, 97,9% pour le Ghana et 59% pour le Nigéria. Ces DD portent sur le cacao transformé pour 71,4 M€, les conserves de thon pour 60,8 M€ et les fruits tropicaux pour 40,6 M€. La perte très probable de compétitivité de ces produits dans l’UE et la stagnation des besoins de l’UE font qu’au mieux leurs exportations stagneront et donc aussi les DD du SPG à payer.
• Bien que les droits du SPG devraient être payés dès la mise en oeuvre provisoire de l’APE alors que la perte des DD à l’importation ne commencerait qu’en année T+5 (2020), les pertes nettes cumulées (déduction faite des DD du SPG) seraient de 26,2 Md€ en année T+20 (2035) pour l’AO, dont 13,6 Md€ pour les 13 PMA et 13,9 pour les 3 PED. Au-delà de T+20 (2035) les pertes nettes cumulées exploseraient, à 42 Md€ en 2040, 59,2 Md€ en 2045 et 77,6 Md€ en 2050. La société civile d’AO a proposé le 14 Janvier 2014 à Dakar de créer un Fonds régional de solidarité qui rembourserait aux exportateurs de Côte d’Ivoire, du Ghana et du Nigéria, les DD du SPG sur leurs exportations vers l’UE si l’APE régional n’est pas finalisé. Solidarité a calculé qu’il suffirait que chaque Etat d’AO y contribue par une cotisation de 0,24% de ses importations extra-AO. La Côte d’Ivoire serait le premier bénéficiaire car sa cotisation se limiterait à 15,4 M€, à comparer aux 113,1 M€ de DD du SPG en 2015. Toutefois, comme elle serait le seul des 3 PED à avoir encore en année 20 (2035) une perte nette de DD du SPG à payer par rapport aux pertes de DD à l’importation (mais cette perte nette disparaitrait dès l’année 21), les 15 autres Etats d’AO pourraient proposer que ce pays soit exempté de contribuer au Fonds de solidarité pendant les 5 à 10 premières années. La gestion du Fonds serait assurée par la CEDEAO à travers une agence spécifique à laquelle chaque Etat d’AO enverrait sa contribution mensuelle et l’Agence ferait des avances aux exportateurs des 3 pays, basées sur leurs factures prévisionnelles et connaissements, ce qui devrait leur ôter tout souci de poursuivre leurs exportations vers l’UE.
• Si les pays d’AO signaient l’APE ils seraient doublement les dindons de la farce : ils perdraient énormément de ressources budgétaires mais aussi leurs soi-disant préférences commerciales car il sera souvent plus avantageux pour l’UE de s’approvisionner dans les pays plus compétitifs avec lesquels elle aura conclu des ALE leur ouvrant aussi son marché sans DD.

✓ Loin de favoriser l’intégration de l’AO l’APE la briserait

L’étude de la DG Commerce ne chiffre pas l’impact de l’APE sur l’intégration régionale mais se limite à souligner que les fonds du PAPED sont principalement affectés à financer les programmes indicatifs nationaux (PIN) et le programme indicatif régional (PIR) d’investissements de l’AO qui sont cogérés par la CEDEAO et l’UEMOA. Et la DG Commerce choisit de souligner l’exemple du programme de production de coton qu’elle finance en Côte d’Ivoire comme un bon promoteur de l’intégration régionale puisque la production y a doublé de 2009 à 2013 où elle atteint 140 000 tonnes. Elle aurait pu choisir un meilleur exemple puisque les exportations de coton de l’UE (produit en Grèce et en Espagne) ont toujours dépassé celles du Burkina Faso, premier exportateur du C4, avec 367 600 tonnes exportées en 2014. Surtout parce que l’UE a le taux de subvention à la tonne de loin le plus élevé du monde et son taux de dumping a été de 211% en 2014, les subventions à la tonne (2 134 €) ayant été plus du double du prix FAB à l’exportation (1 011 €). Certes l’UE se vante de ne pas subventionner ses exportations mais ici il s’agit des subventions internes dont bénéficient aussi les exportations, mais l’UE déclare qu’elles n’ont pas d’effet de distorsion des échanges car les deux tiers sont notifiées à l’OMC dans la boîte verte des subventions découplées et le tiers dans la boite bleue des subventions aux produits plafonnés à la production. Toujours est-il que l’UE a sa part de responsabilité dans la baisse des prix mondiaux du coton dont souffre les producteurs d’AO car, si la part de l’UE dans la production de coton combinée EU + UE n’a été que de 13,1% en moyenne de 1995 à 2014, sa part dans leurs subventions à l’exportation combinées a été de 40,4%, et a même dépassé 50% en 2007, 2010 et 2014 !

Par contre la plupart des études antérieures sur l’APE ont souligné son impact négatif sur l’intégration régionale.

• Pour l’étude d’ITAQA de 2008 "La signature d’un APE avec l’UE affecte négativement les partenaires régionaux de Côte-d’Ivoire. Ses importations baissent de 4% en provenance du Nigeria, de 2,63% en provenance du Ghana et de 2,74% en provenance du Bénin. Celles du Nigéria provenant du Mali et du Niger seraient réduites de 8,7% et 5,7% respectivement, et de près de 5% pour celles du Ghana... A la fin du processus de libéralisation les exportations ivoiriennes vers le Burkina Faso et le Mali seraient réduites d’environ 9% et 6% respectivement".
• Pour l’étude d’ITAQA de 2012 "Il y a une baisse des échanges intra-régionaux. Cette réduction de la demande pour les importations régionales reflète le détournement des échanges an faveur de l’UE et au détriment des partenaires régionaux. Pour les produits d’égales qualités et caractéristiques la baisse des prix des produits européens due aux réductions de droits de douane pousse les importateurs africains à s’écarter des producteurs régionaux parce qu’ils deviennent moins compétitifs qu’avant la baisse des droits de douane".
• Selon l’étude des chercheurs nigérians d’Ibadan d’avril 2014, "D’ici à 2035 les importations en provenance du Bénin vont baisser de 3%, du Burkina Faso de 3,4%, de la Côte d’Ivoire de 3,1%, du Ghana de 2,9%, du Mali de 6,1%, du Niger de 3,6%, du Sénégal de 0,2% et du Togo de 3,9%. Par conséquent l’APE va détourner vers l’UE les importations du Nigeria provenant de ces pays".

Les autres contraintes de l’APE pour l’AO

✓ La clause NPF (article 6 de l’APE) obligerait l’AO à accorder à l’UE tout traitement plus favorable qu’elle consentirait à des pays autres que ceux d’Afrique et des pays ACP ayant, à la fois, une part des échanges commerciaux mondiaux supérieure à 1,5% et un taux d’industrialisation mesuré par le ratio de valeur ajoutée manufacturière rapportée au PIB supérieur à 10%. Ce qui vise notamment les Accords qui seraient passés avec d’autres grands pays développés et grands pays émergents comme l’Inde et la Chine ou le Brésil.

✓ Interdiction de modifier, sans l’accord de la DG Commerce, la classification des produits d’AO dans les 5 bandes du TEC (Tarif extérieur commun) (à 0%, 5%, 10%, 20%, 35%), leur période de libéralisation (en années 5, 10, 15, 20) et la liste des produits non libéralisés, quelle que soit l’évolution de la compétitivité des divers produits, et ceci afin de donner de la visibilité aux exportateurs de l’UE.

✓ La clause de "rendez-vous" (article 106) prévoit que, 6 mois après la conclusion de l’APE, des négociations commencent pour élargir l’APE aux services, à la propriété intellectuelle, à l’investissement, à la concurrence, aux marchés publics, aux paiements courants et mouvements de capitaux, à la protection des données à caractère personnel, à la protection des consommateurs, au développement durable. Bref il s’agit de réduire beaucoup plus l’espace d’autonomie économique des Etats d’AO nécessaire à des politiques de développement correspondant à leurs besoins propres, en obtenant par les APE ce que les pays ACP ont refusé à l’OMC.

✓ L’interdiction des restrictions quantitatives (article 34) est d’autant plus anormale que l’UE en utilise systématiquement dans tous ses autres ALE, notamment pour ses produits agricoles, et que sa très large utilisation de droits de douane spécifiques (tant d’euros par tonne) ou mixtes (ad valorem plus spécifiques), notamment sur les produits agricoles, où la partie ad valorem peut être moins importante que le droit spécifique, est un moyen indirect de restreindre les importations lorsque les prix mondiaux sont faibles.

Les impacts sociaux et politiques de l’APE

✓ Le modèle de l’IPRI utilisé par la DG Commerce "s’attend à ce que la rémunération du travail augmente dans tous les pays (jusqu’à 0,9% en Côte d’Ivoire)". Mais ces mêmes modélisateurs avaient écrit dans leur étude de janvier 2016 : "On se centre sur la main-d’œuvre non qualifiée car c’est le facteur productif le plus important pour une analyse de la pauvreté. Au Nigeria, au Sénégal, au Bénin et au Burkina Faso, la rémunération nominale de la main-d’œuvre non qualifiée est réduite par la réforme en raison de la baisse de la demande de cette main-d’œuvre. Au Nigéria cela est dû à une réduction de la production des autres cultures de 4,5 pour cent, secteur qui absorbe 4,4 pour cent du total du travail non qualifié".

✓ Pour les chercheurs d’Ibadan "Il faut s’attendre à une hausse du chômage urbain et rural" et "la consommation totale des ménages peut baisser légèrement".

✓ En réduisant considérablement les recettes fiscales des Etats d’AO, l’APE réduirait d’autant les budgets consacrés à l’éducation, à la santé, aux petits agriculteurs et à la protection de l’environnement. D’autant plus que l’AO fait déjà face à un triple défi : démographique, du changement climatique et du déficit alimentaire.

✓ Le nombre d’immigrants illégaux d’AO arrivés dans l’UE et le nombre des noyés en Méditerranée exploseraient, probablement plus et pour une période plus longue que l’exode actuel des Syriens, Irakiens, Afghans et Libyens, compte tenu de l’explosion démographique que connaitra l’AO. Selon FRONTEX leur nombre est passé de 35.000 en 2014 à 54.085 en 2015 : "Il est maintenant assez facile d’atteindre l’UE quel que soit le risque accru de mourir dans le désert ou en mer. La motivation pour la migration peut varier selon les individus, mais l’on estime que la plupart sont poussés par des motivations économiques".

✓ De même les Boko Aram et autres jihadistes d’ACMI et Ansar Eddine ont de beaux jours devant eux si l’APE est mis en oeuvre.

✓ C’est finalement l’UE qui, à travers les APE, violerait les droits de l’homme dans les pays ACP, et en particulier en AO.

Pourtant certains responsables politiques de l’UE avaient tiré la sonnette d’alarme de 2005 à 2008, en vain :

✓ Parallèlement à un rapport sur les APE de mars 2005 de la Commission du développement international de la Chambre des Communes, le Ministère du commerce et de l’industrie et le Ministère du développement international (DFID) du Royaume-Uni ont publié le même mois une prise de position intitulée "Mettre les APE au service du développement", soulignant que "Dans son travail sur les APE avec les groupements régionaux de pays ACP, l’UE devrait suivre une approche non mercantiliste et ne poursuivre aucun intérêt offensif. Les pays en développement peuvent tirer profit de la libéralisation à long terme, pourvu qu’ils aient la capacité économique et l’infrastructure dont ils ont besoin pour commercer de façon compétitive… Nous n’obligerons pas les pays en développement à libéraliser leurs échanges soit à travers les négociations commerciales soit à travers la conditionnalité de l’aide".

✓ La Commission internationale de l’Assemblée Nationale française a adopté à l’unanimité le 5 juillet 2006 le rapport d’information sur l’APE du député Jean-Claude Lefort : "Ces négociations vont droit à l’échec… Si la Commission persiste, l’Europe commettra une erreur politique, tactique, économique et géostratégique… Pouvons-nous vraiment prendre la responsabilité de conduire l’Afrique, qui abritera, dans quelques années, le plus grand nombre de personnes vivant avec moins de un dollar par jour, vers davantage de chaos, sous couvert de respecter les règles de l’OMC ? Croit-on que ce chaos se limitera à l’Afrique, ce qui serait déjà insupportable ?... Et si nous devions encore persister dans cette voie, nous aurons contribué au délitement, sinon à la fin, du partenariat UE-ACP… Il y a donc une nécessité absolue pour les politiques à donner un nouveau mandat de négociations à la Commission, à la suite d’une initiative franco-britannique".

✓ Quant à Christiane Taubira, ancienne Garde des Sceaux du gouvernement Valls, qui a remis le 15 juin 2008 un rapport sur les APE demandé par le Président Sarkozy, elle estime que "Les APE sont des accords de commerce et non de développement. La Commission l’assume. Mais je ne pense pas que le libre échange puisse mener au développement. Il n’y a pas d’exemple d’ouverture de marché qui ait conduit au développement. Les APE vont supprimer toutes les protections. En ouvrant complètement les marchés, on supprime non seulement les protections mais en plus on désarme les Etats. On les prive de recettes, de possibilités budgétaires et d’intervention dans l’économie… Est-ce que l’UE considère que les liens historiques, culturels et économiques qu’elle a noués avec les pays du sud, de par son histoire, doivent se prolonger aujourd’hui dans le monde globalisé ?".

Pour conclure

Les Chefs d’Etat d’AO doivent se réveiller, reconnaitre la lucidité du Président Muhammadu Buhari du Nigéria en renonçant une fois pour toutes à la signature formelle de l’APE régional, et mettre en œuvre immédiatement une taxe anti-APE afin de préserver une certaine chance de promouvoir leur développement à moyen et long terme. Ils le doivent à leurs enfants et petits-enfants qui seront si nombreux demain. L’UE a trop montré son arrogance et son avidité. Comme le déclarait 19 mars l’ancien gouverneur de la Banque centrale du Nigéria, le Professeur Chukwuma Charles Soludo, "On exige maintenant de l’Afrique qu’elle accepte toutes sortes de conditionnalités intrusives et destructrices qui lient littéralement les mains des gouvernements africains en les empêchant d’utiliser les mêmes types d’instruments que tous les pays industrialisés ont appliqué pour bâtir des économies nationales compétitives… L’APE d’Afrique de l’Ouest serait un second esclavage".

Une rumeur circule selon laquelle, si la position du Nigéria de ne pas signer l’APE régional est définitive de sorte que l’APE serait enterré, la DG commerce envisagerait de perpétuer les APE intérimaires de Côte-d’Ivoire et du Ghana à condition qu’ils soient formellement signés puis ratifiés (la signature formelle suffit dans la pratique). Cela impliquerait que la DG commerce ne se soucie pas de la désintégration de l’AO alors que l’intégration est censée être le premier objectif de l’APE.

En effet les 14 autres Etats devraient percevoir des droits sur leurs importations venant de ces deux pays pour éviter d’être inondés des produits de l’UE importés à droits nuls. Non seulement le tarif extérieur commun (TEC) en vigueur depuis janvier 2015 disparaîtrait, mais aussi toutes les autres politiques communes mises en place avec difficulté depuis 1973, dont notamment la politique agricole (ECOWAP) étant donné le poids de la Côte-d’Ivoire (à un moindre égard du Ghana) dans les échanges agricoles régionaux. De fait les exportations totales de Côte d’Ivoire hors cacao en 2014 ont été supérieures de 72% vers la CEDEAO (2,024 Md€) que vers l’UE (1,176 Md€) puisque celles de cacao vers l’UE ont été de 2,237 Md€ et seulement de 1,7 M€ vers la CEDEAO. Il s’ensuit que, sur la base du TEC de la CEDEAO, la CI aurait eu à payer 269,8 M€ sur ses exportations vers la CEDEAO en valeur FAB sortie Côte d’Ivoire et, compte tenu d’un écart de FAB à CAF d’environ 15%, ces droits auraient été de 310 M€. Au lieu de s’obnubiler sur les 113 M€ de droits du SPG que la Côte d’Ivoire aurait eu à payer sur ses exportations vers l’UE en 2015 en l’absence d’APE intérimaire – droits qu’au surplus la société civile d’Afrique de l’Ouest a proposé de mutualiser pendant quelques années –, la Côte d’Ivoire devrait méditer sur ces deux chiffres et sur l’immense responsabilité politique qu’elle prendrait en provoquant la désintégration de l’Afrique de l’Ouest. La responsabilité des Institutions européennes est encore plus grande.

La CEDEAO doit aussi devenir membre à part entière de l’OMC afin de pouvoir négocier au nom de ses 15 Etats membres et renforcer ainsi son pouvoir d’influer sur ses règles. Cela lui permettra de bénéficier de DD consolidés – les seuls négociés à l’OMC – au niveau de la moyenne pondérée des droits de ses 15 Etats membres afin de pouvoir ajuster le niveau des droits appliqués – les seuls dont elle dispose avec le TEC (tarif extérieur commun) – en fonction des besoins de la conjoncture. Et ensuite de transformer ces DD en prélèvements variables pour de nombreux produits agricoles, afin de garantir des prix stables et rémunérateurs aux agriculteurs.

Dommage ! Dommage que même les capitalistes égoïstes de l’UE se tirent une balle dans le pied en ne comprenant pas que, pour profiter à moyen et long terme de l’énorme marché que représentera l’AO pour l’exportation de leurs produits et services à haute valeur ajoutée, il est indispensable de lui permettre dans un premier temps d’assurer sa souveraineté alimentaire et de protéger ses industries naissantes.