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Après la mascarade électorale

D 5 avril 2010     H 12:05     A Paul Martial     C 0 messages



Depuis la proclamation des résultats, l’UFC (union des forces
du changement) le principal parti de l’opposition continue sa
mobilisation dans la rue pour protester contre le vol de sa victoire
électorale. Des mobilisations de rue, auxquelles d’autres partis
notamment le CAR (comité d’action pour le renouveau) de Yawovi
Agboyibo et l’OBUT (organisation pour bâtir dans l’union un Togo
solidaire) d’Agbéyomé Kodjo se sont joints. Ces manifestations,
quand elles peuvent se dérouler sans provocation et sans
répression, connaissent un succès grandissant. Il est clair que le
système RPT (Rassemblement du peuple togolais), le parti au
pouvoir depuis des décennies est massivement rejeté. Même
dans le clan de Faure Gnassingbé on en est conscient à tel point
qu’il a essayé de prendre ses distances avec ce parti afin
d’apparaître plus comme le candidat soutenu par le RPT plutôt
que le candidat du RPT.

La stratégie de l’acceptable

Aussi, face à la mobilisation de l’opposition, le pouvoir en
place utilise une répression qui se révèle acceptable pour les
puissances occidentales. Cette stratégie de l’acceptable est la
même qui a présidé aux élections, c’est-à-dire une multiplicité de
fraudes qui, additionnées entre elles, a permis de déclarer
vainqueur le camp présidentiel. Mais ces fraudes se sont faites
sans violence, ni actes outrancier comme en 2005 où les
militaires pénétraient dans les bureaux de votes pour s’emparer
des urnes. Ainsi la répression est à l’identique de la fraude
discrète, peu spectaculaire, mais efficace. On emprisonne l’aile
radicale comme les militants du MCA (mouvement citoyen pour
Politique, économie et sociétél’alternance), pour la seule raison de leur slogan « l’alternance oula mort ».
On perquisitionne le QG électoral de l’UFC en prenant
le matériel informatique et les procès verbaux électoraux. Mais on
autorise cependant l’opposition à manifester une première fois
puis une seconde fois. Mais voyant que la mobilisation devient
plus massive alors, le ministère de l’intérieur proteste et menace
sur des soi-disant appels à la violence que les dirigeants de l’UFC
auraient tenu lors de leur prise de parole à l’issue de la
manifestation. On attaque violement le rassemblement de l’UFC
qui a eu lieu le mercredi 24 mars. Cela permet ainsi au pouvoir
de reporter la manifestation du 27 mars au 3 avril.
Mais cette stratégie de répression n’a pas comme seul but le
harcèlement de l’opposition, c’est aussi un message pour la
population entière qui signifie que les massacres lors des
élections de 2005 qui ont fait au bas mot plus de 500 morts est
toujours possible. Une façon d’utiliser ce traumatisme pour
installer une chape de plomb sur la société. Effectivement la
répression de 2005 reste dans toutes les têtes tant des Togolais
que des chancelleries occidentales. Ainsi ces dernières ont
placardé les murs des grandes villes pour prévenir cette violence
post électorale à tel point que le but des élections n’était plus de
désigner de manière honnête et équitable un président de la
République mais de sortir de cette consultation sans aucun mort.
L’absence de violence du niveau de 2005 devient une victoire
pour la communauté internationale et pour le RPT. Peu importe
les fraudes, peu importe la mascarade, peu importe que la
volonté populaire ait été bafouée. Voilà comment désormais chez
les gouvernements des pays riches, on analyse la situation.

Des faiblesses de l’opposition

L’opposition a cru à la fermeté de l’Union européenne pour
imposer des élections dignes de ce nom. Elle a cru que l’UE serait
une garantie de l’honnêteté du scrutin. Mais l’acceptation par
l’UE, avant les élections, des manigances du RPT, aurait dû leur
faire comprendre que les dirigeant-e-s de l’impérialisme ne sont
jamais source de démocratie sur le continent africain. Aussi, il
faut souligner la déception d’une population qui espérait de
l’opposition autre chose que ce qu’elle a eue. En effet, beaucoup
de critiques ont été émises. D’abord que l’opposition accepte de
participer au scrutin alors que celui-ci était à un tour, le boycott
des principaux partis de l’opposition aurait enlevé toute crédibilité
à ces élections. Ensuite, face au mode de désignation à un tour,
l’opposition est partie en ordre dispersé. Beaucoup considérait
qu’il fallait une candidature unique avec comme seul objectif le
renversement du RPT, quitte à ce que le scrutin législatif
permette la composition d’un gouvernement représentatif de la
volonté populaire. Mais aussi, nombre de militant-e-s font
remarquer que, même partie séparément, l’opposition aurait du
se mettre d’accord pour mailler le territoire et assurer ainsi sa
présence dans chaque bureau de vote, évitant que dans certains
villages, notamment dans le nord réputé pour être le fief du
pouvoir en place, des fraudes massives aient lieu.
Certes, l’opposition était bien incapable de rivaliser avec la
débauche financière de Faure Gnassingbé distribuant, tee-shirts,
bermudas, casquettes, stylos, éventails, à l’effigie du candidat du
RPT, que l’on voit encore sur les immenses panneaux. Faure a
mobilisé la plupart des artistes du Togo pour organiser des
concerts gratuits, il a distribué argent et riz et était présent sur
les trois chaînes de télévision. Mais l’opposition aurait dû en
riposte mieux ancrer la campagne présidentielle avec les
aspirations populaires. Avancer des revendications capables de
répondre aux besoins sociaux de la population notamment sur les
questions de logement, des prix des produits de première
nécessité, de la santé de l’éducation. En bref il s’agissait plus
d’une campagne qui permette à la population de saisir l’enjeu de
ces élections, plutôt qu’une campagne centrée sur la candidature
de Jean-Pierre Fabre qui a mis en exergue les dissensions
internes de l’UFC alimentant de nombreuses rumeurs qui ont
affaibli le principal parti de l’opposition.
Mais rien n’est gagné pour le pouvoir en place. Faure est
illégitime et dans le pays tout le monde le sait. La disponibilité de
milliers de personnes pour la mobilisation contre cette farce
électorale le prouve. En parallèle, des militant(e)s de la société
civile, impliqués dans les luttes au quotidien avec la population,
commencent à entamer une réflexion sur la nécessité de
prolonger la lutte sur le terrain politique. Les élections
municipales pourraient être une première échéance. Elles
permettraient de mener une campagne au plus près des
populations et d’ouvrir une autre voie politique, celle d’une force
qui se positionne clairement sur un projet de rupture avec le
capitalisme international. Un combat long et difficile, mais qui
saura être entrepris grâce au courage de ces militant(e)s.

Paul Martial